La Commission de Venise a été instituée en 1990 par le Conseil de l’Europe en vue de fournir des conseils juridiques à ses Etats membres et, en particulier, pour aider les États qui souhaitent mettre leurs structures juridiques et institutionnelles en conformité avec les normes internationales dans les domaines de la démocratie, des droits humains et de l’Etat de droit.


Elle contribue également à assurer la diffusion et la consolidation d’un patrimoine constitutionnel commun, en jouant un rôle unique dans la gestion des conflits, et fournit une «aide d’urgence constitutionnelle » aux Etats en transition.

La Commission est composée de 60 Etats membres: les 47 Etats membres du Conseil de l’Europe, plus de 13 autres pays (Algérie, Brésil, Chili, Israël, Kazakhstan, République de Corée, Kosovo, Kirghizistan, Maroc, Mexique, Pérou, Tunisie et Etats-Unis).

La Commission de Venise a été saisie à plusieurs reprises par diverses institutions tunisiennes depuis 2011 et notamment le parlement. Durant les travaux de l’ANC, la Commission de Venise a notamment largement participé à rapprocher les points de vue par ses avis sur la Constitution.

Durant cette 104e session qui s’est tenue les 23 et 24, la CV avait à examiner (parmi les 28 points à l’ordre du jour concernant divers pays) deux avis, l’un se rapportant au projet de loi organique relative à la Cour Constitutionnelle présenté par l’ARP et l’avis sur le projet de loi sur la réconciliation économique présenté par l’IVD.

A la demande des représentants de la Présidence de la République qui ont formulé leur dispositions à « travailler avec la Commission de Venise dans le but de proposer des amendements au projet de loi à la lumière des recommandations contenues dans cet avis intérimaire » (§62), la Commission a émis un avis intérimaire dont voici les conclusions :

52. La Commission de Venise rappelle que le fonctionnement de tout système de justice transitionnelle présuppose un large consentement. Son succès est, en plus, étroitement lié à de nombreux facteurs, dont en premier lieu l’indépendance des instances – nouvelles ou déjà existantes – prévues pour sa mise en œuvre.

53. La Commission de Venise a examiné les aspects institutionnels du projet de loi « sur les procédures spéciales concernant la réconciliation dans les domaines économique et financier » et est parvenue aux conclusions suivantes :

a) La création d’un organe supplémentaire de la justice transitionnelle en Tunisie, est-il conforme à la constitution tunisienne et aux objectifs de la justice transitionnelle ?

54. La Constitution tunisienne n’impose pas de forme ni d’organe particuliers pour la réalisation de la justice transitionnelle, et la loi organique n° 2013-53 n’interdit pas non plus l’adoption d’une législation spéciale relative aux domaines économique et financier. Il en découle que, en principe, le droit portant sur la justice transitionnelle peut être modifié par une autre loi organique. Dans le but de réaliser la justice transitoire « dans les délais prescrits par la législation qui s’y rapporte », il peut être en principe raisonnable que des mesures soient prises pour accélérer les procédures en cours, par exemple par le biais de la création d’une commission spécialisée chargée à s’acquitter des dossiers financiers.

55. Un système de justice transitionnelle « à double voie » – devant l’Instance de la Vérité et de la Dignité et devant la Commission de Réconciliation – ne pourrait toutefois être compatible avec l’article 148 de la Constitution tunisienne – qui prescrit l’application du système de justice transitionnelle « dans tous ses domaines » – qu’à condition que ces deux voies soient équivalentes, donc largement similaires, qu’elles puissent, les deux, atteindre les buts de la justice transitionnelle énoncés dans l’ordre juridique tunisien et qu’elles respectent les principes d’un Etat de droit.

a) Le transfert de compétences de l’IVD vers la Commission de Réconciliation, est-il compatible avec l’article 148 de la Constitution ?

56. De l’avis de la Commission de Venise, la Commission de Réconciliation ne présente pas de garanties suffisantes d’indépendance pour pouvoir considérer que le mécanisme de justice transitionnelle opéré dans le domaine de la corruption financière et le détournement des deniers publics serait équivalent aux mécanismes opérant dans les autres domaines.

b) La procédure prévue par le projet de loi sur la réconciliation présente-t-elle des garanties suffisantes à la considérer comme équivalente à celle se déroulant devant l’IVD ?

57. De l’avis de la Commission de Venise, la procédure devant la Commission de Réconciliation ne présente pas de garanties suffisantes d’établissement de la vérité ni de publicité.

c) La procédure de justice transitionnelle prévue par le projet de loi sur la réconciliation permet-elle de réaliser les mêmes buts des procédures prévues par la loi organique sur la justice transitionnelle n° 2013-53 ?

58. La procédure se déroulant devant la Commission de Réconciliation ne permet pas de réaliser l’un des objectifs de la justice transitionnelle, à savoir la réforme des institutions.

d) Le projet de loi organique sur la réconciliation, est-il suffisamment harmonisé avec la loi organique sur la justice transitionnelle n° 2013-53 ?

59. L’annulation de manière générale prévue à l’article 12 du projet de loi de «toutes les dispositions relatives à la corruption financière et au détournement de fonds publics mentionnées dans la Loi fondamentale n° 53-2013 du 24 Décembre 2013 est contraire au principe de la sécurité juridique. Elle risquerait de provoquer des conflits de compétence insurmontables entre la Commission de Réconciliation et l’IVD, ce qui ne saurait accélérer le processus de la justice transitionnelle, ni en améliorer l’efficacité.

60. La Commission de Venise considère que la base juridique de l’IVD ne doit pas être modifiée d’une manière qui, en effet, rendrait ses travaux sans objet et, ainsi, compromettrait l’objectif de réconciliation nationale.

61. Si la loi organique n° 2013-53 est considérée comme insuffisante pour atteindre ses objectifs, notamment dans les domaines économique et financier, une révision s’avère donc nécessaire, ce qui relève de la compétence du législateur, en respectant le cadre du droit supérieur. Il va de soi qu’un tel projet de loi ne pourrait être élaboré qu’en collaboration avec la société civile et les institutions compétentes en la matière, notamment l’IVD.

62. Les représentants du Président de la Tunisie ont exprimé leur disponibilité à travailler avec la Commission de Venise dans le but de proposer des amendements au projet de loi à la lumière des recommandations contenues dans cet avis intérimaire ? La Commission de Venise se déclare prête à collaborer avec les autorités tunisiennes dans ce but.