« Monumentales ». C’est le deuxième terme qui accompagne, actuellement, le titre d’une exposition à l’Institut du Monde Arabe. Précisément, « Œuvres monumentales », sont un ensemble d’ouvrages de l’artiste plasticien français Stéphane Pencréac’h, entre peinture et sculpture, qui se présentent sous trois thématiques de notre histoire contemporaine immédiate : le « Printemps » arabe, le conflit syrien et les dernières journées meurtrières qui ont pris Paris pour cible en Janvier 2015.
Voulant réfléchir et représenter les événements sociopolitiques qui confondent nos sociétés, il use (abuse ?) de figures, de symboles, de signes qui tendent à mettre en image peinturée et sculptée ce que les autres ont appelé les « printemps arabes ». Emblèmes, drapeaux, foule, armes, sang, portraits de présidents déchus, tout y passe et tout y est agencé dans le sens d’une lecture directe, linéaire, sans place aucune à l’interprétation. L’artiste nous enferme dans une réalité qui n’est pas celle des événements qu’il veut retranscrire.
Au-delà de la théâtralisation outrancière de ces néo-tragédies urbaines, l’artiste veut-il proclamer une esthétique nouvelle qui se chargerait de raconter l’histoire à la place des livres ? A l’instar d’un Eugène Delacroix qui dessine et peint les journées révolutionnaires françaises de 1830, à l’instar de ces peintres qui joignent autour d’une même périphérie peinture et histoire, Stéphane Pencréac’h, Français, Parisien, résident et travaillant à Paris, choisit de prendre comme sujet pour sa peinture ce qu’ « ils » qualifient de « Printemps arabes », ce en se basant sur des images télévisées, des coupures de journaux ou encore des captures du net.
Et dans ce flou sémantique, il projette de raconter/peindre les conflits qu’ont traversé ou traversent encore, la Tunisie, l’Egypte, la Libye, la Syrie et le Mali. Sur lesquels viennent se greffer les événements qui se sont succédés suite à l’attentat de « Charlie Hebdo ». Aujourd’hui exposées par l’Institut du Monde Arabe (après l’avoir été en 2014 par le Musée d’Art Moderne et Contemporain de Nice), les œuvres de Pencréac’h gagnent-elles en légitimité car exhibées en territoire dédié aux cultures arabes ? Et que pensent ceux qui ont été dans le feu de l’histoire et son bouillonnement en temps réel, de ceux qui la représentent de loin ?
Faire la critique d’art des « Œuvres monumentales » de Stéphane Pencréac’h ne sera point notre propos ici. C’est plutôt la question que son exposition soulève qui nous intéresse d’avantage : peut-on tout représenter ? Donner contours et formes à une réalité, une fiction, une idée. Visualiser même l’impossible vision. Et au final, qu’est-ce que la représentation ? Si l’on se fie à la définition étymologique du mot, cela serait l’ « action de replacer [un objet, un sujet] devant les yeux de quelqu’un ». Placer ou replacer, rendre visible, présenter. Et c’est dans cette présentification que l’on rendrait présent, par la forme, l’absent ou l’abstrait.
Il y a différents modes de représentation. Par l’action directe ou indirecte, par le graphisme, par l’image cinématographique ou vidéographique, et même par l’abstraction. La question de la représentation habite l’ensemble des systèmes qui structurent nos sociétés et son organisation sociale. Elle construit tous les domaines qui régissent les Hommes, allant de l’histoire à la psychologie, en passant par la philosophie.
L’on se fait tous une représentation du monde dans lequel nous sommes, l’image qu’on se fait de la vie dans laquelle nous évoluons, rythmée par les divers événements privés ou publics qui la jalonnent. Ces imageries restent bien souvent enfouies dans un mystérieux labyrinthe.
Toutefois, nous les découvrons parfois au détour d’expressions artistiques individuelles ou collectives, car l’acte de représentation est en effet intimement lié à l’art. Ces formules ou locutions créatrices communément appelées « œuvres d’art » sont bien le fruit d’une représentation propre à l’auteur(e) artiste qui la met au monde. Il accouche de son œuvre, et dans sa représentation lui donne vie. Et c’est quand l’artiste s’appuie sur une réalité quelconque qu’il devient épineux de la retranscrire par l’image dessinée ou peinte ou sculptée. Le risque étant de trahir le réel qui perd de sa justesse et de sa vérité, une fois enfermé dans le cadre de la représentation. Un cadre qui peut bien des fois se transformer en prison.
Certains faits nécessitent tellement de recul et de retenue. Leur représentation, si elle se fait, doit se vêtir d’évanescence et de minimalisme et non pas être dans l’expressionnisme outragé. Comme une femme qui se maquille trop pour se faire voir, ce type de représentation se pare d’une infinitude d’artifices qui, en définitif, masquent le réel en lui ôtant la beauté de sa fragilité.
Sans les sacraliser, certains faits demandent le respect du dépouillement. Comme certaines situations exigent le silence car de trop longs discours y deviennent cacophoniques et bruyants. Les mots perdent alors tout leur sens.
Comme cette tournure « Printemps arabes » qui n’a jamais voulu rien dire et qui, aujourd’hui, à part son non sens originel, devient insensée et insultante pour ceux qui marchent, encore et toujours, sur les sols rocailleux de ses territoires.
Certains artistes, de ceux qui ont commercialisé la « révolution », ont fait gratuitement de ce sujet l’objet de leurs travaux ; ils l’ont défigurée. Des artistes qui n’ont jamais eu de propos engagé, qui ne se sont jamais intéressés à la Cité, de ceux qui exposaient auparavant des bouquets de fleurs sur une table nappée, des corbeilles de fruits ou autres natures mortes.
A l’ère du sentimentalisme, nous sommes tombés dans un marchandage des sensations et des émotions. Notre propre pays fait son business avec la « révolution », ses parallèles et ses retombées. Nous sommes aujourd’hui dans un folklore de la « révolte du 14 Janvier » et les quatre années qui se sont écoulées depuis. L’on a troqué la médina et le sefsari, pour le drapeau national et les étendards patriotiques pour ceux qui ne l’ont jamais été. Regardez les événements programmés par le ministère du Tourisme. Et cette idée obsessionnelle de toujours opposer terrorisme et « events » promotionnels culturels. Est-ce réellement le résultat d’un travail en profondeur ou simplement un slogan vendeur à retrouver dans l’attirail « cartes postales » ?
Précisément, il ne s’agit pas ici de couvrir une actualité de manière « classique », mais de soulever des interrogations actuelles tout en invitant tout un chacun à la réflexion et à la discussion.
Sans tomber dans le billet d’humeur narcissique et unilatérale, « Hkeya » veut attrouper et convoquer des histoires pour faire avancer le débat citoyen.
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