Il incombe aux parents et à l’État de garantir à l’enfant la dignité, la santé, les soins, l’éducation et l’enseignement. L’État doit assurer toutes les formes de protection à tous les enfants, sans discrimination ; ceci conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant.Article 47 de la constitution tunisienne.
La nouvelle Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 mentionne expressément, pour la première fois, la garantie des droits de l’enfant. Ce succès est le fruit des nombreux efforts et pressions de la société civile pour que les droits de l’enfant soient constitutionnalisés. La Loi fondamentale énonce, ainsi, que l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer sur toute décision qui le concerne
Pour rappel, la Tunisie a ratifié la Convention internationale des droits de l’enfant, en 1991, et a levé, depuis juin 2008, toutes les réserves la concernant. La Tunisie a promulgué en 1995 un Code de protection de l’Enfant qui est une référence en matière protection de l’enfant, selon les Fonds des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF). Dans ce cadre, plusieurs lois ont été modifiées afin d’améliorer la situation juridique et civile de l’enfant dans les différents domaines ( le CSP – le Code pénal – la loi sur les stupéfiants – la loi relative à l’attribution d’un nom patronymique aux enfants abandonnés et de filiation inconnue …) et promulgué plusieurs décrets, arrêts et circulaires ministérielles pour arrêter les mesures susceptibles de réaliser la protection et la sauvegarde de l’enfant.
Cependant, il existe un décalage entre la réalité et le cadre législatif. C’est ce que nous confie Aïa Ghorbel, spécialiste de l’enfance à l’UNICEF, qui évoque un certain nombre de lacunes au niveau de l’application de la loi, dues au manque de suivi, de contrôle, de coordination et de formation des cadres et spécialistes de l’enfance. Selon des chiffres publiés par l’UNICEF, malgré les avancées apparentes, des inégalités dans l’accès aux services et aux protections pour les enfants persistent. Ainsi, le taux de pauvreté demeure élevé. Un enfant est considéré comme pauvre s’il souffre au moins d’une privation de l’un de ses droits fondamentaux (nutrition, santé, sanitaire, éducation, logement, eau, information, protection contre la violence). À l’échelle nationale, 60% des enfants de moins de 5 ans sont pauvres, selon le dernier rapport d’analyse de la pauvreté infantile en Tunisie élaboré par l’UNICEF et le ministère du Développement et de la Coopération internationale. D’autres chiffres sont alarmants, affirme Aida Ghorbel, comme celui des enfants violentés, du décrochage scolaire, de la disparité entre les régions, ou encore du travail forcé des enfants et leur exploitation économique…
L’écart entre les textes juridiques et leur mise en œuvre dans la pratique est exacerbé par l’inexistence d’un mécanisme indépendant de contrôle et de suivi des droits de l’enfant. C’est ce que souligne Mehyar Hamadi, délégué général à la protection de l’enfance, qui détaille les difficultés rencontrées par les structures institutionnelles concernant le suivi des droits de l’enfant et la garantie de sa protection. À commencer par le manque de moyens humains et matériels mis à la disposition des délégués à la protection de l’enfance, mais aussi l’absence de coordination entre le juge de la famille et les différents intervenants sociaux, l’absence de campagnes de sensibilisation, l’inefficacité du numéro vert pour signaler les différentes formes de violence subies par l’enfant. À ce propos, le délégué s’est dit inquiet de voir la question de l’enfant reléguée au second plan par l’État. Selon le responsable, il s’agit d’un problème de prise de conscience générale qui constitue un réel obstacle à l’amélioration de la condition de l’enfance sur le long terme. La création d’un mécanisme indépendant est seule capable d’améliorer les mécanismes mis en place, dont l’action demeure incomplète et limitée.
En septembre 2012, une conférence internationale s’est tenue, à Tunis, pour la mise en place d’un mécanisme indépendant de suivi des droits de l’enfant, avec la participation des principaux acteurs du projet, à savoir Sihem Badi, ministre des Affaires de la Femme et de la Famille, Samir Dilou, ministre des Droits de l’Homme et de la justice transitionnelle, le vice-président et la vice-présidente de l’Assemblée Nationale Constituante, ainsi que le coordinateur des Nations Unies et la représentante de l’UNICEF en Tunisie. Tout ce beau monde a décrété l’urgence de la mise en place de ce mécanisme indépendant qui aura pour mission de surveiller l’action de l’exécutif, de veiller au respect des droits de l’enfant et de dénoncer les atteintes potentielles. L’instauration d’une telle institution signifierait, surtout, que l’État accepte de rendre des comptes au sujet de ses engagements.
Un sondage d’opinion relatif à la mise en place d’un mécanisme indépendant de suivi des droits de l’enfant a été réalisé par le bureau du délégué général à la protection de l’enfance, sur le site web du ministère, afin de faire participer les différentes composantes de la société civile dans l’élaboration des options en matière de surveillance indépendante des droits de l’enfant en Tunisie. Les résultats de cette consultation, qui a duré 40 jours (du 29/11/2012 au 09/01/2013), ont montré que 84,2 % sont en faveur de la création d’une institution indépendante dédiée aux droits des enfants contre 15,8 % seulement pour la création d’une section intégrée au Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
En dépit de la concertation et des débats élaborés par les différentes composantes de la société civile, des organisations et des acteurs du secteur de l’enfance, le verdict est venu de l’Assemblée nationale constituante qui a décidé, unilatéralement, de créer un comité ou une cellule pour l’enfance au sein de l’Instance Constitutionnelle des Droits de l’Homme et non pas une instance indépendante autonome de suivi des droits de l’enfant.
Wahid Ferchichi, professeur de droit et président de l’association tunisienne de défense des libertés individuelles, a déploré cet échec, appelant la société civile à remettre le dossier de l’instance indépendante pour la protection des droits de l’enfant sur la table du pouvoir législatif. Il a également signalé les défis que risque de rencontrer le secteur de l’enfance en se heurtant aux nouveaux projets de loi.
Le rôle de la société civile n’est donc pas fini. Car un nouveau plaidoyer doit s’organiser en faveur de la mise en place d’une institution indépendante de suivi des droits de l’enfant. Une nouvelle forme de réseautage entre les différentes ONG devrait émerger pour contrecarrer les blocages politiques qui empêchent le travail laborieux de la société civile d’aboutir. Les solutions découleront, assurément, de ces nouvelles stratégies et alliances entre les acteurs-clés du secteur de l’enfance afin de mieux peser sur la décision politique.
Enfin, la politique de l’enfance portera toujours en elle ces carences qui relèvent des manques au niveau l’État à considérer systématiquement la place de l’enfant pour tous ses projets de développement.
On n’insistera jamais assez sur le fait que l’enfant est un sujet de droit et non l’objet que l’on assiste. Limiter le fossé entre le texte et la pratique est, pour l’État, non pas un défi, mais un devoir impératif.
La société Tunisienne vit une grande souffrance vis à vis des conditions de vie de ses enfants “d’une grande partie d’entre eux”. Le politique depuis l’indépendance est pleinement responsable.
Cette responsabilité a commencé essentiellement à travers deux mauvais choix:
– la mauvaise répartition des richesses nationales. L’état de l’indépendance était incapable, de mieux faire ”repartir ses richesses entre ses propres citoyens d’une manière qui garantit l’égalité des chance et une justice sociale”,
– la mauvaise répartition du pouvoir entre les territoires. Le non démocratisation de la gestion publique a beaucoup nui aux équilibres et aux solidarités entre les différents territoires. D’où la marginalisation, d’où la grande précarité qui a touché et qui touche encore des dizaines des milliers de familles et des centaines de milliers d’enfants.
La lutte contre le terrorisme ne doit pas nous éloigner des missions fondamentales de l’état républicain (sociale, santé, éducation, logement, infrastructure, emploi).