Il aura fallu la commission, par des jeunes Français se réclamant de l’islam radical takfiriste, des attentats de Paris du 7 au 9 janvier derniers pour que la question de la réintroduction d’un service national revienne avec force dans les débats. Selon un récent sondage, une large majorité des Français est favorable à son retour. Des députés PS, quant à eux, se sont déjà mis au travail. Ils planchent depuis quelques jours sur le type de service que le pays devrait adopter : service civil plutôt que militaire, durée, fractionnement des moments consacrés à cette obligation pour les jeunes actifs, âge d’incorporation, cycles de formation délivrés à l’occasion. François Hollande, enfin, a parlé lors de sa conférence de presse du 5 février de « service universel ».
Comme sur d’autres sujets, et sans que cela ne soit vu comme de l’entrisme d’aucune sorte puisque tout citoyen a le droit de s’exprimer sur les orientations prises par notre pays, les musulmans français doivent pouvoir donner leur avis sur la question. Je suis de ceux-là. J’aimerais démontrer dans ce texte en quoi les musulmans de France, ou prétendus comme tels, ont tout intérêt à appuyer le retour d’un service obligatoire en faveur de la patrie. Un service, au demeurant, plutôt civil que militaire parce qu’il n’est plus question, pour des raisons tactiques, d’envoyer le contingent dans des conflits armés dans lesquels la France s’engage, sans que n’existe au préalable, d’ailleurs, une adhésion unanime des Français…
Les logiques de la « vie de quartier »
Né et ayant grandi dans une ZUP, j’ai longtemps été « irradié » par les valeurs provenant de ce que j’appelle la « vie de quartier ». Constituées entre autres par l’idée de solidarité avec ses proches qui, seuls, étaient considérés, elles ne nous inclinaient franchement pas à nous apprendre, à nous les jeunes des quartiers issus majoritairement des pays viviers de l’immigration type du deuxième XXème siècle, à aimer notre pays. Pire, elles favorisaient souvent l’indifférence vis-à-vis du drapeau français et des valeurs qui y étaient rattachées. Des mots comme « république » ou « laïcité » n’étaient pas du tout compris dans leur essence.
Malgré l’école, dont le rôle reste indispensable pour l’instruction des futurs citoyens, nous nous sentions étrangers au pays qui nous avait pourtant vus naître. Je me souviens, d’ailleurs, d’une anecdote, que je livre ici : mon ami d’enfance et moi-même parlions, alors que nous avions environ 8 ans, d’un match de football qui allait être diffusé à la télévision et qui devait voir l’opposition de l’équipe de France à celle d’Angleterre. Je lui demandai quelle était l’équipe qu’il allait supporter. Il me répondit, sûr de son propos : « Les Anglais. Parce que, comme nous, ce sont des étrangers [sic] ».
La nature humaine doit être apprivoisée pour viser le mieux
Au regard de ce vécu qui, je le concède, n’est pas exhaustif, et relève avant tout de l’« anecdotisme » (même si je suis sûr qu’il fut le ressenti de beaucoup des jeunes enfants d’immigrés ayant vécu dans les grands ensembles urbains construits à l’écart des centres des villes), j’appuie toute mesure visant la réintroduction d’un service civil obligatoire et universel.
Car, il est clair que lorsque l’on est issu par ascendance d’autres pays, l’attachement au « pays d’adoption » des parents ne relève pas de l’inné. Il constitue plutôt une valeur qui s’apprivoise et qui s’acquiert. Il se construit sur le long terme dans l’esprit des nouveaux arrivants, et a besoin pour ce faire de l’aide de la collectivité. Bref, le sentiment national ne se décrète pas, puisque la nature humaine n’est pas cet être figé que Jean-Paul Sartre fustigeait, mais bien la somme des potentialités présente en nous dès notre naissance.
Il n’y a aucun déterminisme. L’on peut ainsi tous, en fonction des situations et des circonstances, devenir un « gentil » ou un « méchant », un terroriste ou une personne respectueuse de la vie humaine, ou bien, parmi ceux nés ou devenus musulmans, et parce que ceci est l’enseignement tiré de notre temps, travailler en faveur du dialogue interreligieux ou aller s’engager dans les rangs de l’Etat islamique.
Quelques bienfaits d’un service civil obligatoire
Être obligé de s’engager sous les drapeaux pendant quelques mois ou un an possède un certain nombre de bienfaits.
Premièrement, cela démontrerait aux jeunes le « prix à payer » (les devoirs) par les citoyens en faveur de leur patrie, laquelle leur garantit par ailleurs un certain nombre de droits inaliénables (dont la liberté de conscience et de culte ainsi que l’égalité devant la loi).
De plus, l’incorporation imposerait un brassage social d’une intensité incomparable à ce qui se produit à d’autres moments de la vie. Des juifs, des chrétiens, des musulmans, des bouddhistes, des athées ou des adeptes d’autres religions y vivraient les mêmes épreuves, celle, par exemple, leur imposant d’être mutuellement solidaires face aux injonctions, parfois sèches, de la hiérarchie militaire si l’armée prenait en charge la tâche d’organiser le service civil. Ils construiraient à leur insu la cohésion nationale du futur.
Les appelés y apprendraient également le sens de l’abnégation et de la discipline, dont on a tant besoin aujourd’hui devant l’impatience des foules provenant des générations post-soixante-huitardes qui veulent tout, tout de suite, sans qu’elles ne supportent les échecs de la classe politique dans les domaines complexes de l’emploi et de l’économie. Non pas qu’il ne faille pas lutter contre les injustices sociales et la hausse actuelle des inégalités de revenus et de conditions. Mais, pour revenir à l’exemple des quartiers populaires, l’un des maux qui les touchent provenant de la prolifération des trafics, dont celui du cannabis, les jeunes qui pourraient être tentés par la vie facile engendrée par ceux-ci trouveraient dans le service civil ou militaire d’autres valeurs que celles, perverses, véhiculées par la société de consommation.
D’autant plus qu’à un moment où, pour les jeunes sortis du parcours scolaire sans aucune qualification comme pour tous les autres, les questions sur le but à se donner dans la vie n’arrivent généralement pas à maturité mais ne font simplement que commencer leur long cheminement, un engagement obligatoire à dix-huit/vingt-ans couperait net la logique d’enfermement de l’esprit sur une vie de quartier qui n’offre pas beaucoup d’alternatives, sauf celle, pour caricaturer, entre l’islam total et la délinquance.
Conclusion : vers l’accouchement d’une nation multiculturelle en paix avec elle-même ?
Après la survenue des attentats, Manuel Valls, tirant les leçons du passé, a été le premier chef de gouvernement français à reconnaître ce que beaucoup condamnaient avec force depuis longtemps : la France vit un état d’apartheid territorial, social et ethnique.
Les musulmans comme les non-musulmans se doivent de considérer leur propre responsabilité. Si nous voulons assurer la paix dans notre pays, il est de notre devoir de multiplier les expériences de brassage social et d’aller vers l’Autre.
L’introduction du service civil universel et obligatoire va incontestablement dans ce sens, et ce, parmi un lot de mesures à prendre et de politiques et débats à conduire sur la « gallicanisation » de l’islam de France, sur la prise en compte dans les programmes d’Histoire du tableau ethnique inédit de notre pays, ou sur la lutte contre les discriminations envers les personnes d’origine immigrée ou à l’encontre des femmes voilées.
Le désarroi qui saisit les “décideurs” dans ce pays pourrait les inciter à s’interroger sur les motivations qui fabriquent des despérados, devenus des kamikaze après avoir longtemps servi de repoussoir au point que la police pouvait s’autoriser à tirer dans le dos un gamin s’enfuyant à pied ou en voiture nommamnt cela une “bavure”.
Quels espace, repères identificatoires, ou place qui fut faite à cette partie de la jeunesse encore nommée par une assignation à des origines comme pour la tenir hors espace national, dénier son appartenance à la nation ou au pays? Beaucoup n’eurent d’autre choix que d’endosser ce placement-classement, comme par retour du stigmate, et se laissèrent gagner par une “identité musulmane”, seule offre sur le marché des idéologies, et qui se montra tout aussi bien accueillante que porteuse, à leurs yeux, d’une image valorisante à quoi se raccrocher.
On a trop pris l’habitude, depuis un certain temps, de ne leur trouver aucune circonstance atténuante, jugeant leurs faits et gestes sous la figure d’un groupe dangereux qu’il convient de mater, procédé peu subtil et hautement irresponsable, outre le fait qu’il permet de s’éviter tout questionnement, autorise tous les discours les plus extrémistes et légitime une violence sociale avant la violence des appareils d’Etat.
Aujourd’hui, un cran au-dessus est franchi dans la mise à l’index de toute une population sommée de montrer patte blanche, presque comme pour sussurer qu’il serait opportun qu’elle se départisse de ce qui fait son identité.
On pourrait garder la tète froide et admettre que la violence dont certains sont responsables est dans ses causes et ses motifs une créature du réel de ce pays. Ce qui ne devrait pas laisser dire à certains que l’Islam représente un problème civilisationnel à la France, ou que les musulmans ne vivraient pas dans la mème temporalité que les européens.
On pourrait combattre les bas instincts et le racisme ravageurs. Davantage que de charger de tous les maux toute une population en ces temps de crise dont elle paye le prix fort, étant fragile parmi les fragiles par sa composition sociologique.
Bref, je crains voir le contraire s’installer, de nature à segmenter encore plus la population en opposant ses composantes entre ceux d’ici et ceux “venus d’ailleurs”, y compris lorsqu’ils sont des “iciens” selon la formule de Jamel Debbouze.
Alors, croire que la réinstauration d’un service national, sous quelque forme qu’on le réinvente, participerait de la fabrication d’un commun, effacerait les clivages, pacifierait les rapports sociaux ou recomposerait le lien social refondant un certain esprit d’appartenance pour tous, c’est faire fi du travail idéologique en cours et qui travaille à la mise en place d’un séparatisme et son activation, faisant le lit de certaines abjections dont on se plait à faire accroire qu’elles seraient des idées.