Les pourparlers autour de la nomination du futur chef du gouvernement ont montré une fragilité peu soupçonnée chez Nidaa Tounes. Le choix de Habib Essid et les réactions qu’il a suscité n’ont fait qu’appuyer ce constat.
Pourtant, les maux de Nidaa Tounes sont bien antérieurs à ce « non-choix ». Dès sa création, le mouvement fut une sorte de fourre-tout idéologique qui a brassé aussi large que possible. Son point d’ancrage tenait à son désormais ex-président, Beji Caid Essebsi. Jusqu’aux élections présidentielles, les rênes du parti étaient bien tenues. Aujourd’hui, les choses semblent plus poreuses.
C’est que des loups aux dents longues, il en existe à Nidaa Tounes. Mais, là où l’équation se joue, c’est comment réussir à aplanir certains égos tout en pérennisant l’existence du parti.
Nous l’avons dit à l’entre deux tours des présidentielles, certaines voix au sein du Bureau Exécutif avaient, secrètement, préféré la défaite de Caid Essebsi, afin « qu’il soit Premier ministre et ferme, donc, toute logique de consensus … en pérennisant la politique du parti ».
Avec Caid Essebsi à Carthage, la donne est différente. Brassant un large consensus pour la nomination de Habib Essid au poste de Premier ministre, le nouveau président de la République s’est surtout mis à dos le groupe parlementaire de son parti. Réuni en conclave à Hammamet, le 3 et 4 janvier dernier, celui-ci avait préféré une figure de proue de Nidaa. Si pour certains, ce choix est un défilement devant la responsabilité de gouverner, pour d’autres il s’agit d’une bénédiction.
Malaise au sein du parti
Le malaise est plus palpable au sein même du parti où des égos surdimensionnés se livrent à des combats de coqs. Trois tendances sont à relever: l’aile gauche majoritaire croyant profondément à l’émergence d’un parti au-dessus de toute personnalité et pour qui Caid Essebsi n’est que le fondateur. Certains nous diront même :
Il est le fondateur du parti. Il l’a amené de son propre chef le plus haut possible. Maintenant, il doit songer à son avenir en préparant des hommes d’Etat capable de prendre leurs responsabilités, de les assumer et d’accepter en cas d’échec les exigences de la démocratie. Certains au sein du parti croient que le plus dur a été fait. Faux et archi-faux, le plus dur reste à venir : montrer à nos électeurs que nous les avons écoutés, faire ce qu’ils nous ont demandés, et garder leur confiance, affirme un membre du Bureau Exécutif.
L’avenir du parti en dépend grandement. Si la rhétorique du « vote utile » a marché une fois, une déconfiture sur les cinq prochaines années de la politique de Nidaa Tounes, lui fera perdre toute crédibilité, auprès d’un électorat dont le vote a été influencé par deux facteurs : l’échec de la Troïka et la personnalité de Caid Essebsi.
Il n’y a pas, aujourd’hui, une autre personnalité de la trempe de Caid Essebsi, une personne capable de fédérer autant que lui et capable à lui tout seul de faire remporter à son parti une élection nationale. Si nous tombons dans le jeu d’une nouvelle « Troïka » , en ouvrant le prochain gouvernement à tout le monde, nous risquons de subir de plein fouet ce qu’a subi Ennahda, avec pour risque de la voir s’installer durablement comme premier parti du pays. Nous aurons alors tous échoué à maintenir la confiance de nos électeurs, nous a confié un membre du Bureau Exécutif de Nidaa Tounes.
La deuxième tendance observée est celle de la « garde rapprochée » fidèle à Caid Essebsi. Il voit en elle l’avenir du parti. Choyés et faisant partie de tous ses déplacements, les membres de cette garde n’hésitent pas à monter au créneau pour défendre l’indéfendable « entente » entre Ennahdha et Nidaa, espérant faire partie de l’avenir politique de la Tunisie.
Nous sommes tous fidèles au parti. Certains ont préféré être plus fidèles à Beji Caid Essebsi qu’au parti lui-même. Il est la figure de proue, certes, mais soyons réalistes. Il ne restera pas éternellement. Je ne suis pas contre l’idée d’ouvrir le gouvernement à d’autres partis. Cela est même nécessaire. Maintenant, il faut être pragmatique : soit on laisse Ennahdha dans l’opposition, soit on suit le même chemin. Auquel cas, on perd notre crédibilité, notre essence, notre raison d’être, estime une élue Nidaa Tounes à l’Assemblée des Représentants du Peuple.
Enfin, dernière tendance, minoritaire, celle des nostalgiques des méthodes de l’ancien régime. Si en théorie, ces derniers sont absents côté cour, ils sont bel et bien présents côté jardin, manipulant certains Nidaistes. Les discours polarisés, ce sont eux. Persuadés que ce rapprochement entre Nidaa et Ennahdha les éloignera de leur base, ils pratiquent la méthode Coué, attendant le moment opportun pour être la « troisième voie ».
« Il faut arrêter avec ce fantasme RCD. Il n’y a pas de RCDistes à Nidaa Tounes. Il y a bien des brebis galeuses à l’intérieur du parti qui voient les choses différemment. Il y a même certains qui voudraient voir le parti se planter pour en récolter les cendres, mais ils sont minoritaires et nous les maitrisons », renchérit ce membre du Bureau Exécutif. « A contrario, pourquoi ne pas vous poser la question de savoir si ce n’est pas une frange d’Ennahdha mécontente de ce rapprochement qui est derrière ce discours ? Après tout, Hamadi Jebali a autant à gagner qu’une figure hypothétique de l’ancien régime émergeant comme par magie de Nidaa Tounes », conclut-il.
Le futur gouvernement de consensus mettra-t-il le feu aux poudres ?
Lors de la réunion du bloc parlementaire d’Ennahdha à Hammamet, il a été question de voir le mouvement de Rached Ghannouchi se doter de deux à cinq portefeuilles ministériels. Aussitôt démenti par Samir Dilou, cela a plutôt agacé les élus de Nidaa s’estimant écartés de la prise de décision au sein de leur parti, amenant Khemais Ksila à monter au créneau sur les ondes de Cap FM.
La décision de nommer Habib Essid en tant que Premier ministre a été prise par le Bureau Exécutif de Nidaa, sans concertation du bloc parlementaire. Cette décision a amené les élus à menacer de ne pas voter la confiance à ce gouvernement si Ennahdha obtient des portefeuilles ministériels. Il serait cocasse de voir le gouvernement d’Essid obtenir une confiance numéraire supérieure du bloc Ennahdha que de Nidaa Tounes.
Pour le membre du Bureau Exécutif de Nidaa que nous avons contacté la réponse est toute trouvée : « Dire que nous n’avons pas prévenu nos élus est faux. Beji Caid Essebsi a été plus que claire sur certains points, et cela bien avant les élections législatives. Tout comme il a insisté sur le fait que les élus à l’ARP ne seraient pas ministrables, il a dit, à maintes reprises, qu’il s’agira d’un gouvernement de compétences, d’union la plus large possible, et de consensus. Dépêtrer le pays du marasme dans lequel il se trouve requiert l’ensemble des forces vives du parti mais aussi en dehors du parti. N’en déplaise à certains ».
Pour l’élue de Nidaa à l’ARP, la réponse est tout autre :
La vérité c’est qu’on se sent bafoués. On nous a vendu un projet, qui s’avère dans la pratique tout autre. Cependant nous avons la chance d’avoir une discipline au sein du parti dont Beji Caid Essebsi est le garant. Malgré nos états d’âmes, nos craintes et même nos déceptions, nous sommes tous conscients qu’il y va de la pérennité du parti. Il n’y a aucun risque d’implosion. Que les décisions nous plaisent ou pas, il y a une ligne directrice fixée par le Bureau Exécutif et nous nous y tenons. Nous avons tout de même le droit d’exprimer notre frustration n’en déplaise à certaines fortes têtes du parti.
Nidaa Tounes serait-il déjà assis sur un brasier ardent ? Si son présent n’est pas menacé, il risque de payer au prix fort ses atermoiements à la fin du quinquennat. Car si l’implosion ne vient pas du bal des faux culs à l’intérieur du parti, elle viendra, inexorablement, des urnes sanctionnant l’absence de courage politique attendu par ses électeurs.
Bon debarras si implosion y est.