L’île de Djerba, plus connue sous le nom de Djerba la douce, est la destination privilégiée de nombreux touristes, mais aussi des autochtones, en cette période estivale. Cette image de carte postale peut être fortement nuancée, une fois l’envers du décor mis à nu.
Une situation écologique intenable
Après un grand remue ménage, qui a nécessité l’intervention des ministres de tutelle pour de mettre un terme à la décharge à ciel ouvert, on s’attendait à trouver une ville débarrassée de ces ordures. Tel n’était pas le cas. Le long des routes et les bordures d’hôtels étant infestées de sacs plastiques et de produits en tous genres. Bien que la zone touristique soit, en apparence, épargnée par ce phénomène, le reste de l’île ne l’est pas. Dans les environs de Guellala et d’El May, nombre de champs et de terrains croulent sous le poids des ordures. Un propriétaire terrien, dans les environs de Guellala, nous confie :
Constatez par vous-même. Ma maison est située 900 mètres à l’intérieur des terres, et les déchets et sacs plastiques recouvrent l’ensemble du paysage sur la route. S’il n’y avait pas les oliviers qui retiennent certaines ordures, moi, ma femme et mes enfants vivraient dans une décharge.
Pour comprendre l’évolution du problème, c’est tout naturellement que nous avons contactés la municipalité afin de voir pourquoi, malgré les vives protestations des habitants de la région, ce problème persiste :
Nous avons fait du mieux que nous pouvons. En collaboration avec les hôteliers et les habitants de la région, nous avons discuté afin de mieux contenir ce flux de décharges. Il y a eu près de 600 mille visiteurs sur l’île, jusqu’au 31 juillet derniers, (588 000 plus exactement), et depuis le début du mois d’août, l’île est archicomble. Entre une hausse du nombre des visiteurs nationaux, des touristes, et les événements qui, à nos frontières, amènent beaucoup de Libyens à s’exiler ici, nous avons du mal à tout contenir. Nos capacités, bien qu’excellentes en temps normal, se trouvent quelque peu dépassées. Mais nous somme bien loin de la grave situation du mois de juillet dernier
Certes, la situation écologique a favorablement évoluée sur Djerba la douce, cependant, demeure un équilibre fragile et précaire qui peut basculer, à tout moment. Entre le ras le bol des habitants et les difficultés rencontrées par les autorités, ce mois d’août risque d’être un mois charnière dans la politique environnementale de l’île. Un deuxième test de grande envergure pour les secrétaires d’Etat aux Collectivités locales et au Développement durable chargés de ce épineux dossier épineux.
Un tourisme « discriminatoire »
Profiter de la plage privée d’un hôtel à Djerba ?! Cela est impossible pour les petites bourses. En effet, il faut payer 170 dinars à l’entrée pour pouvoir accéder à la plage, sans aucune consommation comprise dans ce prix. Idem si vous souhaitez une chambre d’hôtel, si vous êtes tunisien, on vous lancera le fameux : « on est complet ». Alors comment expliquer qu’à travers les agences de voyages, on trouve facilement des chambres d’hôtels ?!
Pour comprendre le pourquoi du comment d’un tel comportement, nous avons contacté une agence de voyage sise à Tunis qui nous explique pourquoi :
Tout est une question de marges : il est beaucoup plus profitable aux hôtels de passer par les agenciers. Dès le départ, on convient avec eux d’un lot à un prix fixe, puis nous rajoutons nos marges. Cela arrange les deux parties. En fermant leurs hôtels aux particuliers, ils les obligent à passer par les agences, ce qui fait que tous deux, nous faisons des marges bien plus élevés, et ce parfois au détriment du consommateur.
Quant aux directeurs d’hôtels, aucun de ceux que nous avons contactés n’a voulu nous répondre. Seul un intermédiaire entre les tours opérateurs étrangers et les hôtels à Djerba a accepté de nous en dire plus :
Ce n’est pas de la discrimination anti-tunisienne, mais il faut comprendre que les étrangers viennent à Djerba pour une certaine qualité de services. Sans vouloir être insultant vis-à-vis de mes concitoyens, mais généralement quand ils viennent, ils mettent la pagaille. Nous avons eu beaucoup de réclamations à ce sujet via certains tours opérateurs. Même si je dois vous concéder que le Tunisien consomme plus qu’un européen, nous préférons tabler sur la quantité et la fidélisation de la clientèle européenne. Quand un européen vient et loge dans les meilleures conditions, il reviendra en moyenne 2 à 3 fois dans les 2 ans qui suivent, le tunisien reviendra une fois dans les 5 ans. Si vous voyez les clients de nos hôtels, ils sont tous déjà venus plusieurs fois ici, et continueront à revenir pour la qualité qu’on leur offre.
Le calvaire libyen
Premier constat à l’arrivée sur l’île : l’afflux massif de Libyens fuyant la terreur des milices armés. En ces temps de crise économique, plusieurs d’entre eux choisissent de s’y installer, le temps que la situation se tasse. Une aubaine pour certains, un calvaire pour d’autres.
Un hôtelier de la région affirme: « Nous avons déjà vécu cela, il y’a 3 ans, et nous sommes capables d’absorber ce flux. En tant qu’habitant, j’y trouve mon compte. On leur loue des logements 3 à 4 fois le prix habituel. En tant qu’hôtelier idem, ils ont de l’argent, ils consomment, on en profite. Il faut arrêter de les voir comme une menace, c’est plutôt un avantage : ils dépensent plus que les étrangers et les tunisiens eux-mêmes. Grâce à eux, en quelques jours, on fait des recettes que l’on ferait en un mois. »
Du coté des quartiers plus populaires de la région, le son de cloche est différent. Attablé à la terrasse d’un café, un septuagénaire accepte de nous donner son avis : « Ils viennent, s’installent, se croient tout permis, nous insultent, alors que nous les accueillons, chez nous, à bras ouverts. Ils ont beau avoir de l’argent, ils n’ont ni valeurs, ni principes, ni respect pour qui que ce soit. Mon fils a loué sa maison pour 3 jours, quand il est passé pour chercher ses clés, il a trouvé sa maison ouverte sans personne à l’intérieur, dans un état lamentable : des chaises cassées, des trous dans les rideaux et tapis, une armoire brisée avec une trace de poing…. Nous somme accueillant, ici, à Djerba, vous pouvez le constater vous-même, mais parfois il faut être pragmatique, ces personnes ne sont pas les bienvenues chez nous. »
Les libyens eux même ne se sentent pas forcément les bienvenus dans l’île. Une famille de réfugiés rencontrée à Midoun, nous explique : « On sent parfois des regards suspects, on sent qu’on ne nous apprécie pas forcément. Mais on ne s’y attarde pas trop. Nous sommes, ici, simplement de passage, le temps que la situation se décante dans notre pays. Maintenant si ca n’évolue pas, nous resterons à Djerba. »
Lui ayant dressé un portrait caricatural du « comportement à la libyenne », celui-ci rétorque : « Nous ne sommes pas mal élevés ou impolis. L’argent n’achète pas tout, on est d’accord, mais ça aide énormément. Je ne suis pas venu en Tunisie pour flamber, frimer et me comporter salement. Certains de mes compatriotes ont, certes, perdus leurs têtes, et je les comprends, mais moi, grâce à Dieu je sais ce que m’a offert Djerba, pendant ces 3 années. C’est la troisième fois que j’y viens, les deux premières ont été pour de longues périodes, mais j’espère que celle-ci sera plus courte, parce que malgré l’hospitalité des gens, on n’est jamais mieux que chez soi. »
Dans un autre contexte, c’est le calvaire subi par les personnes de couleur, à Djerba. Bien que les tunisiens soient épargnés par ce racisme, ce n’est pas le cas, des « noirs » étrangers qui se prétendent être des « esclaves modernes ».
Au bord de la plage, il est courant de voir ce qu’on appelle « une Mauricette » (surnom donné aux femmes âgées étrangères) être totalement prise en charge. En ayant rencontrés l’un d’entre eux, on sent de suite l’émotion et la pudeur qui entoure ses propos :
Avant de m’installer à Djerba, j’ai essayé de m’installer plus à Tunis, et je vous avoue qu’a Tunis c’était pire. Ici même si je suis parfois snobé par certaines personnes, les étrangers qui vivent ici eux me respectent. Pour trouver du travail ici, j’ai dû essuyer bon nombres d’insultes à cause de ma couleur. D’ailleurs, on ne m’a proposé aucun travail gratifiant, il s’agissait surtout de cueillette d’olive ou de nettoyage de jardin. Je n’avais jamais le droit d’entrer à la maison, ne serait-ce que dans l’ombre d’une terrasse pour me protéger un peu du soleil. Par contre, avec les étrangers, c’est plus soft. Il y a beaucoup plus de respect, même si les tâches sont beaucoup plus ingrates. Je m’occupe de tout dans la maison et même en dehors, mais au moins, on me parle correctement.
Miser sur la culture
Une des spécificités de Djerba est son attrait culturel. A travers ses différentes manifestations, la ville vit au rythme des événements culturels qui se succèdent et ce pour le bonheur des puristes. Entre le festival international de Djerba du 7 au 13 août, le « Tomorrow Island », du 15 au 17 août, le festival Detrathe revenant sur la culture traditionnelle Djerbienne, le 15 et 16 août, et le projet « Djerbahood », premier musée de street art, à ciel ouvert, à Erriadh, c’est toute une ville vibre au gré des événements durant tout le mois d’août.
Un des habitants d’Erriadh, semble particulièrement étonné d’un tel afflux de personnes dans son quartier :
C’est exceptionnel ce qu’ont réussi à faire ces jeunes artistes. Drainer autant de monde, loin des sentiers battus de Djerba, il faut le faire. Nous n’avions pas l’habitude de voir beaucoup de monde dans notre quartier. Aujourd’hui, à toute heure du jour et de la nuit, des dizaines de personnes se promènent dans ce petit havre de paix. Cela contribue à montrer le charme de la ville, mais aussi de ces habitants. Il nous est arrivé d’accueillir des personnes à boire un verre d’eau ou de citronnade, voir même à déjeuner chez nous. Ca démontre combien nous sommes chaleureux et les gens nous le rendent bien. Si seulement ce genre d’événements avait lieu plus souvent.
Quant au festival Detrath organisé par l’association Djerba Insolite, il vise, quant à lui, le tourisme alternatif basé sur le patrimoine Djerbien : métiers traditionnels, habits, architecture, spécificités culinaires. Ainsi, pour 3 dinars seulement, la chance est donnée aux présents de découvrir le charme particulier d’une île tout entière, son histoire, sa magie.
Enfin, à travers « Tomorrow Island », c’est une toute autre clientèle qui est visée avec 3 jours de musique électronique non stop. DJ’s tunisiens et internationaux se relaieront sur les plages de Djerba pour envoûter des jeunes à la recherche d’exultation. Espérant attirer près de 2000 touristes, en plus des tunisiens, ce projet d’un montant de 642 000 dinars, va redorer l’image de la Tunisie auprès des « clubbers » étrangers. Faire de Djerba une place incontournable de la scène électronique internationale est l’idée de base.
La conclusion, nous la laissons à un gérant de restaurant de Houmet Essouk : « Ces maux sont temporaires. Il ne faut pas oublier que Djerba est une île et comme toute île, elle est plus attachée à sa culture, ses valeurs. Ceux qui viennent ici, repartent toujours des rêves pleins la tête. Par contre pour nous, habitants, ici, été comme hiver, ça a quelque peu évolué, mais comme toujours nous avons su nous adapter. Djerba est et restera, malgré tout, Djerba la douce ».
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