Le déni comme stratégie
S’il y a une constante en Tunisie dans la manière de gérer les problèmes en tout genre, c’est bien la stratégie du déni. Misselech, taw tekbar w tensa, 7at chey, 7keya fergha, Mouch lezem, ma tkassarch rassek, sont de populaires expressions du bon sens tunisien. Malheureusement ce schème de pensée cause de nombreux dégâts quand il s’étend aux questions économiques.
Il y a aujourd’hui consensus autour de la reconnaissance que les injustices sociales sont à l’origine de la révolution du 14 janvier. Ça n’a pas toujours été le cas. Durant l’ère Ben Ali, il était courant d’entendre les discours apologétiques du régime sur le miracle économique tunisien même en dehors des canaux de propagande habituels. La croyance dans une classe moyenne en progression constante était un mythe essentiel à la survie du régime, largement partagé parmi cette même prétendue classe moyenne. Cette croyance si profondément ancrée a même poussée certains analystes de premier plan telle que Béatrice Hibou à parier sur la continuité du régime dans son ouvrage “La force de l’obéissance. Économie politique de la répression en Tunisie”. Quand en 2008, les émeutes de la faim secouaient l’Egypte et les pays d’Afrique, en Tunisie, calme en apparence, certains continuaient à nier la possibilité d’émeutes similaires en Tunisie en évoquant le fort taux de diplômé du supérieur. Ce semblant de calme n’était en réalité qu’un leurre puisque Redeyef fut le bastion d’une révolte sociale et morale de grande ampleur contre la corruption dans l’attribution des postes lors des concours de la Compagnie des Phosphates de Gafsa (GPG). Pourtant, nombreux furent ceux qui continuèrent à nier la terreur causée par la répression policière.
Du miracle tunisien à la faillite tunisienne ?
Avec la révolution, le discours dominant est passé d’une phase de déni à un pessimisme qui frise le cynisme. On nous rétorquera qu’au moins les thématique des pauvretés, des inégalités entre régions n’ont pas eu de cesse d’être mentionnées. Certes mais quasi exclusivement dans le registre du pathos ou de l’instrumentalisation à des fins de mobilisation en faveur d’un camp contre un autre. A tel point que de Nessma TV à Ansar Chariah tous ont mis en scène dans des vidéos larmoyantes la misère de ces région sans lésiner sur les trémolos dans la musique de fond et un zoom presque indécent sur tous les détails surlignant la pauvreté.
Prenons l’exemple de la cherté de la vie. Des reportages composés uniquement de zoom sur les prix de telle ou telle denrée de base dans un marché de Tunis sont devenus monnaie courante. Les politiques débattent à coup de “prix du kilo de poivron”. A mesure que le sujet de l’inflation des produits alimentaires de base prend de plus en plus d’ampleur dans le débat public, il finit par subir ce que toute problématique sociale et économique subit en Tunisie : récupération et dépolitisation. Récupérée en étant réduite à un réquisitoire contre son ennemi politique de toujours . Pour les partisans de Bardo, c’est le gouvernement et la Troïka qui sont responsables de la situation économique. De son côté, le gouvernement – et en particulier Ennahdha- incrimine les grévistes, l’UGTT ou les “forces de l’ancien régime” comme responsables. Mais cette recherche du bouc émissaire n’a rien d’une recherche du responsable, c’est-à-dire de l’acteur capable de renverser la donne. Il s’agit purement et simplement d’une chasse aux sorcières dépolitisante visant à désigner à la vindicte de la classe-moyenne-mythique un coupable désigné qui permette à chacun de vaquer à son train-train quotidien, rassuré de savoir contre qui maugréer. Désigner un coupable pour mieux nier le problème.
D’ailleurs la question sociale passa aux oubliettes aussi tôt que l’actualité du moment était devenu le “dialogue national” entre Nida, l’UGTT et Ennahdha comme si plus rien ne se passait dans le pays.
Du déni à la dépolitisation
Le dernier acte de cette triste farce est celle de la Loi des finances 2014. Cette loi, comme le reste de l’action gouvernementale, manque cruellement de cohérence et de vision d’ensemble. Au lieu d’être le prétexte à un débat économique de fond voilà que comme critique économique, les médias tunisiens mobilisent le dinosaure Chedli Ayari dont la critique majeure est de reprocher au gouvernement de la troïka de ne pas avoir reconduit la stratégie soviétique des plan quinquennal. La planification plus le néo-libéralisme, quel drôle de remède ! D’autres, telle que l’UTICA et les médias, s’émeuvent de la hausse de la fiscalité. Il semblerait ainsi qu’à l’approche de l’aïd al-Adha, ils aient confondu le peuple tunisien avec des moutons de Panurge… Sauf que vous pouvez être sur d’une chose : le peuple tunisien sacrifié à l’autel de leurs idéologies ne sera pas partagé avec les pauvres.
Tiens puisqu’on parle de fêtes religieuses. Nous ne pouvons parler des problèmes économiques et sociaux en Tunisie sans bien sûr aborder la problématique de la séparation de la religion de la politique, des acquis de la femme et de libertés individuelles ! Je plaisante. Enfin, moi auteur de cet article je plaisante. Mais en Tunisie, ces thématiques sociétales sont devenues les meilleurs armes ces deux dernières années pour enterrer définitivement les questions économiques.
Quand l’an dernier à peu près à la même période des activistes de la société civile mettaient en cause le problème de la dette, et en particulier sa part odieuse dont nous pouvons obtenir l’annulation, en demandant simplement un audit de cette dette, ils ont été eux aussi accueillis par le déni total. Ainsi des campagnes contre la dette odieuse ont capoté simplement parce que des élus de gauche laïque tunisienne refusaient d’y participer si d’autres élus de tendance islamique soutenaient l’initiative. Bientôt défendre la souveraineté économique sera taxé d’obscurantisme. Et lutter contre la dette odieuse ? Un affront aux droits de la femme à consommer librement ! Ne parlons même pas de ceux qui ont le malheur d’évoquer la problématique de la souveraineté économique. Au mieux regardés comme des extra-terrestres, au pire dénigrés comme des identitaires qui, selon leurs détracteurs, voudraient isoler la Tunisie du reste du monde telle la Corée du Nord.
Trêves de plaisanteries. Il devient impératif de sortir du déni et de l’instrumentalisation et d’affronter les problèmes au delà des clivages hors de propos. Nous avons besoin de débats de fond, éloignés des enjeux partisans et des intérêts personnels.
Ainsi l’association Uni*T, dont je suis trésorier, a pris l’initiative d’organiser, une conférence-débat sur l’économie tunisienne notamment la dette et la souveraineté économique le 27 octobre 2013 à la Maison de la Tunisie (Cité Internationale – Paris 14ème). Les experts Mohamed Balghouthi, économiste fondateur du CRET (Comité de Réflexion sur l’Economie Tunisienne), et Achraf Ayadi, expert international en finances viendront nous apporter leurs précieux éclairages théoriques pour un débat plus riche. Tous les Tunisiens et les soutiens de la révolution tunisienne, dans leur pluralité, sont invités à participer.
[…] Il y a aujourd’hui consensus autour de la reconnaissance que les injustices sociales sont à l’origine de la révolution du 14 janvier. Ça n’a pas toujours été le cas. […]
Bonjour, j’aimerais bien demander aux organisateurs de réaliser un live-streaming et de partager le lien pour qu’on puisse nous les tunisiens qui ne sont pas à Paris de regarder la conférence.
Cordialement, Ahmed
L’économique , le régionalisme et la continuation de la politique appauvrissante du peuple suivie par le ” Beylik “(des temps anciens et modernes) sont les poclains creusant en continue les multiples fossés entre Dirigeants (1 °/000 ) et Dirigés les (999°/000) de la population marginalisés , écrasés ,bafoués ….. feu sous cendre qui se propage et allume le FEUd’un mouvement populaire , de temps à autre pour marquer l’indignation et l’insoumission . c’est dans le sang quoi que les Tyrans fassent pour réduire ce peuple à l’ésclavage ! Avant le mécontentement contre zaba , sa hajjama et sa famille ,faut se souvenir des événements dites du ” pain 78 , 80 et 82 ” . . . remontons à la révolution du ” Cadhi ” juge de son etat , le martyr ALI ben GHEDHAHEM . les mêmes causes produisent les même effets . je boucle sur les points de départ :Tant que L’économique , le régionalisme et la continuation de la politique appauvrissante du peuple et l’équité ne trouvent pas de solutions radicales Les poclains continuent à creuser les fossés séparateurs entre le peuple et les pseudo – polichinels politichiens de tout bord ./
Je m’étonne que vous n’ayez pas pensé à me faire participer à votre conférence. L’appartenance à une formalisation politique de gauche vous gênerait-elle ? L’économie serait-elle devenue neutre et affaire d’experts ? Je ne peux que m’étonner que de ce renvoi dos-à-dos de toutes les formations politiques comme si certaines dans l’opposition avaient été délibéremment complice de la perfidie faite à la question de la dette odieuse (enterrée par ce gouvernement), la question de la “souveraineté” et bien d’autres sujets. Vous semblez n’avoir jamais pris connaissance d’aucun de plus d’une centaine d’articles consacrés à ce pays que nous aimons tant. Il vous appartient de possiblement corriger cette erreur, car là aussi mais cela vous aura échappé j’ai été un des rares à interpeller Hollande précisément sur la dette française. Pour info donc, J’ai écri sur l’ALECA, sur le code d’investissement , sur le crédit stand-by….toutes choses que vous retrouverez sur les principaux web-press (Leaders et autres). Merci de me répondre. Cordialement
Il s’agit d’une conférence / débat. Donc bien entendu, il y aura une large part de l’évènement consacré au débat et donnant la parole au public dont vous Monsieur n’ayez pas de craintes à ce sujet.
Par ailleurs, si nous avions invité des militants comme experts, j’aurais pensé à ceux d’ACET car ils ont une expérience concrète de ce que je décris ici. C’est-à-dire qu’ils ont expérimenté concrètement comment à force de se renfermer sur la défense d’une identité moderniste-progressiste franco-centré, une part de la gauche tunisienne finit par oublier sa raison d’être : la justice sociale. Au point où certains craignent d’affronter le FMI ou la Banque Mondiale.
Autre point qu’a oublié la gauche : la déconstruction de la parole dominante de la bourgeoisie tunisienne notamment des “principaux web-press”. Donc si j’avais à proposer un autre militant expert, j’aurais invité quelqu’un qui n’a PAS publié dans ces médias ou plutôt qui a publié pour déconstruire leur assujétion au néo-libéralisme. D’où la partie avec un éclairage d’experts nous permettra de débattre avec quelques éléments théoriques permettant de déconstruire la pensée dominante.
belle photo je connais bien cette homme il est dans la misère rien n’a changé dans sa vie
Je ne suis pas expert et je ne veux pas entrer dans un débat de fond, mais il me semble que demander l’annulation partielle d’une dette (même illégitime) ne peut se faire que si l’on n’a pas besoin d’emprunter de nouveau. me trompe-je ?
Il me semble qu’il n’ y a pas lieu d’exhiber de la lutte pour les droits naturels des gens, et des “problématiques sociétales” pour les oposer à ceux qui s’en réclament et les portent. C’est cette mème problématique qui fut disqualifiée sous la dictature sous l’argument de l’essor économique, tant vanté urbi et orbi par Ben Ali et ses soutiens. Là où vos voyez une contradiction, il y aurait complémentarité. Et, les partisans des luttes démocratiques ne séparent chez le citoyen les domaines de l’ètre et du besoin. Pour eux, les libertés démocratiques sont autant les droits sociaux et les droits économiques.
@Houcine, je n’oppose pas les “droits naturels” aux “droits économiques”. En réalité, je ne distingue pas vraiment les 2. C’est simplement que je n’ai pas la même conception des “droits naturels”. Je pense que c’est précisément parce que la compréhension des “droits naturels” de cette gauche-là est erronée qu’elle finit par sacrifier les droits économiques et sociaux. En réalité sa compréhension des “droits naturels” conduit tout droit au libéralisme.
La complémentarité entre ces 2 dynamiques aboutit à une contradiction qui éclate de temps à autre comme durant le Bardo, ou en 88 sous Ben Ali où mise devant le pied du mur, cette gauche-là choisit. Et souvent elle choisit les “droits naturels”. A l’exception d’une minorité. Minorité dont sont issus Mostapha Ben Jaafar et Moncef Marzouki par exemple…
Mon cher Bader, je n’ai pas pour objectif de réhabiliter l’image de cette “gauche-là” à vos yeux. En revanche, je défends le principe qu’une politique de gauche ne peut subsidiariser les “conditions réelles d’existence” à des droits naturels ou à la “démocratie bourgeoise”.
Vous semblez mieux connaitre que moi-mème les projets et les pratiques politiques de la gauche tunisienne. Et, si ce que vous en dites est avéré, je ne peux que me ranger à votre avis. Au moins sur ce point.
La gauche que je connais assez bien est la gauche française, et la concernant, cet argument tombe. Je veux dire, la gauche dont participe monsieur Mélenchon.
Je vous avais opposé mes arguments, en la matière, et pourtant vous me sembliez avoir maintenu vos récriminations à l’égard de monsieur Mélenchon. Mais, ceci est une autre affaire…
En revanche, messieurs Marzouki et Ben Jaafar ont servi à Ennahdha de caution et continuent de le faire.
Monsieur Ben Jaafar a fait un coup d’éclat en mettant en panne une ANC peu démocratique. Dans ses débats elle donnait à voir son mépris pour les opposants, par Meherzia…intronisée vice-présidente; et dans les coulisses toutes les magouilles avaient cours, jusqu’à la réécriture de textes votés. On sait ce qu’il en est aujourd’hui, et monsieur Ben Jaafar est toujours Président.
Monsieur Marzouki, a beaucoup gràcié, surtout les affidés de Ennahdha, et beaucoup nommé et promu.
Il n’a pas beaucoup pris la parole pour dénoncer les atteintes aux libertés des journalistes, des opposants, ni protesté contre toutes les saletés déversées au quotidien par les agents de Ennahdha contre tout ce qui ne partage pas leurs vues.
Aurait-il monnayé son silence? Il accepte de continuer à sièger avec des gens dont il est avéré qu’ils ont partie liée avec le terrorisme. Par complicité, ou par complaisance.
Ces deux hommes, un ancien du sérail et un rallié, sont peu représentatifs, à mes yeux, de ce que la jeunesse du pays appelait de ses voeux et ..de sa vie.
Je ne voudrais pas y ajouter la faillite économique et sociale. La misère est plus grande, désormais, et les résultats économiques en disent long sur l’impéritie de ces gouvernements d’amateurs, plus compétents à distribuer les invectives ou réciter les versets.