Depuis les évènements du 14 janvier 2011, le pays est en pleine mutation ! Le rôle des médias et la place des journalistes deviennent des enjeux de pouvoir et les réformes engagées dans ce secteur cristallisent souvent les contradictions inhérentes à la nature même de la transition qui a cours dans notre pays. Celles-ci mettent à nu les difficultés et les écueils qui se dressent dès lors qu’il s’agit d’engager des changements profonds dans ce secteur, où les anciens schèmes demeurent encore tenaces, et parfois même de marbre. La conséquence qui découle de ce paradoxe, c’est que les journalistes qui ont vécu plus d’un demi-siècle sous le régime de la chape de plomb se sont trouvés, subitement, livrés à eux-mêmes, dans l’obligation d’agir dans un espace de liberté totale dans lequel ils n’étaient préparés ni professionnellement, ni culturellement. Dans le même temps, le champ de la liberté d’expression s’est considérablement élargi : plusieurs nouveaux titres paraissent depuis le 14 janvier 2011 et de nouvelles stations de radio et télévision ont été autorisées à émettre ou à diffuser. Et sur cette lancée, un dispositif juridique qui organise le monde des médias et la liberté d’expression constitué de deux textes fondateurs est publié au JORT en date du 2 novembre 2011. Mais, simultanément, on relève l’absence de volonté politique de mettre en application ces textes et de préparer les conditions qui doivent garantir la pluralité des opinions, la transparence des médias et l’indépendance des médias publics.
Pour des mécanismes d’auto régulation
Il ne fait pas de doute, aujourd’hui, que des défis et des menaces pèsent sérieusement sur cette liberté chèrement acquise. Mais il serait abusif de chercher à faire porter la responsabilité – uniquement – sur le pouvoir politique et la puissance de l’argent. En effet, et dès le déclenchement de la « Révolution », les journalistes avaient toute la latitude de se déployer au sein de leurs rédactions pour agir comme un “être collectif” afin de créer des mécanismes d’auto régulation destinés à la fois à se prémunir contre les risques d’ingérence, mais aussi à sanctionner toutes sortes de dépassements et de manquements commis par leurs confrères et consœurs.
Les évènements qui agitent des entreprises de presse comme La Presse de Tunisie, la Radio Shems FM et probablement bien d’autres, me semblent davantage liés au management rédactionnel, à la bonne gouvernance, aux difficultés pour les journalistes d’agir collectivement, qu’aux velléités de la mainmise du pouvoir politique sur les médias. Il est vrai que l’accusation portée au pouvoir politique de vouloir mettre au pas les médias trouve de larges échos dans la population, dans la mesure où elle alimente la polarisation rampante qui traverse la société et tend à détourner notre attention des véritables problèmes qui se posent au pays en général, et aux médias en particulier *.
La responsabilité aux journalistes
Pour ma part, j’insisterai davantage sur l’absence ou la défaillance des mécanismes d’auto régulation au sein des rédactions ; et la responsabilité de cette défectuosité en incombe aux journalistes eux-mêmes. En effet, dans un régime de liberté d’expression qui demeure encore vulnérable et fragile, et compte tenu de la nature même de la transition, nos journalistes devraient d’abord se mobiliser au sein de leurs rédactions en vue d’initier des mécanismes et des dispositifs d’auto régulation. Ces structures créées par leurs soins sont destinées à élaborer la ligne éditoriale de leurs médias, à dresser une charte rédactionnelle qui fixe les droits et les devoirs des journalistes qui exercent dans l’entreprise, à former un conseil de rédaction – élu – qui veille au respect de la ligne éditoriale et du travail rédactionnel au quotidien, à impulser des conférences de rédaction, véritable lieux de débats contradictoires entre les journalistes, ainsi qu’à bien d’autres instruments, en vue d’insuffler des traditions de débats et une culture démocratique au sein des rédactions.
L’intérêt de créer ces structures au sein des rédactions est triple. D’abord, il s’agit de protéger les journalistes dans leurs droits en réhabilitant leur statut au sein de l’entreprise de presse. Ensuite, de leur donner la possibilité d’initier, à chaque fois, dans les conférences de rédaction au quotidien, une auto évaluation de leur production. Et enfin, grâce aux mécanismes de protection qui doivent voir le jour au sein des rédactions, le souci premier est de les mettre à l’abri des interventions de leur hiérarchie administrative et d’ériger un rempart contre toutes ingérences extérieures, que celles-ci proviennent des puissances de l’argent, des politiques et autres groupes de pression. Il va de soi que ces instances d’auto régulation doivent disposer de moyens d’agir pour réprimer et sanctionner toute infraction ou manquement à la charte des droits et des devoirs des journalistes commis par un journaliste de l’entreprise. L’idéal serait que les salles de rédaction se muent toutes, sans exception, en rempart contre l’autoritarisme et contre le retour de la chape de plomb !
Mais tous ces appels au changement structurel au sein des rédactions ne peuvent être suivis d’effets qu’à la condition que les journalistes eux-mêmes ne ressentent véritablement ce besoin d’apparaître comme une profession soudée par des principes professionnels et éthiques, mus par des valeurs de liberté et de démocratie et conscients du rôle qu’il leur est imparti dans cette phase de transition où leur sens de la responsabilité et du professionnalisme doivent être préservés.
Aujourd’hui, face au malaise qui agite certaines rédactions, un constat s’impose : quand on observe les conditions dans lesquelles se débattent aujourd’hui nos médias, on constate que c’est la crédibilité même du statut du journaliste qui est en jeu. Et quand la crédibilité du journaliste en pâtit, la liberté d’expression et le droit du citoyen à l’information s’en trouvent menacés !
Notes
* Notre contribution in La Presse de Tunisie, lundi 22 Juillet 2013. Opinions – Processus démocratique : Mettre en avant le socle de nos valeurs communes).
Comme mécanisme de protection il est indéniable qu’il faut, comme vous dites, “ériger un rempart contre toutes ingérences extérieures, que celles-ci proviennent des puissances de l’argent, des politiques ou autres groupes de pression”. Par “ingérences extérieures” faut-il aussi entendre les lobbys étrangers dont les noms ne sont pas dévoilés et qui jouent les sponsors de certains sites sur internet? Pour “la bonne cause”, bien sûr. D’après l’ambassade de France en Tunisie, l’ancienne puissance colonisatrice aurait après l’échec du plan Alliot-Marie d’envoyer des flics donner un coup de main à Ben Ali, formé des centaines de journalistes tunisiens qui ont été ensuite lâchés dans la nature pour promouvoir la démocratie. Pour nous assurer que cette générosité n’a rien à voir avec une ingérence extérieure pour influencer l’opinion publique tunisienne, n’a-t-on pas le droit de connaître les noms de ces journalistes, d’après quels critères ils ont été formés et les médias où ils exercent leurs talents de bâtisseurs de démocratie?
[…] Source : Nawaat.org […]
Il n y a actuellement presque pas vrais journalistes professionnels en Tunisie. La majorité des pretendus journalistes actifs ont éte formés de par, et sous le regne des deux dictatures. Du role de la profession de journaliste respnsable dans un pays democratique, il ne savent presque rien. La majorité des journalistes, appartiennent malgré tout aux elites urbaines qui refusent le perte de leur hegemonie politique, sociale et economique et qui veulent perpetuer leur pouvoir en se mettant au service d agendas de partis politiques. Ils ne tiennent pas le role d informateurs professionnels qui aident le citoyen a internaliser le mentalité et le comportement democratiques, bien au contraire ,mais comme les autres politiciens ils participent a la lutte pour le pouvoir!!,,Tout comme au temps de la dictature, la majorité des journalistes continuent et encore plus fort , a diaboliser,diffuser rumeurs et fausses nouvelles, desinformer, insulter , diffamer et porter atteinte a la dignité d autrui, le tout sous le couvert de la liberté d expression…. Autant que le terrorisme, l histoire constatera que le pretendu journalisme d aprés la revolution est un des principaux saboteurs de la naissante democratie en Tunisie. L exercice de la violence (inaceptable bien entendu), armes des faibles et des malmenés contre les journalistes
s explique en grande partie par l abscence quasi-totale de l auto-crtique et du refus des journalistes , de reviser les methodes de travail et de convaincre l opinion que les journalistes veulent vraiment exercer un journalisme responsable qui contribue a la promotion des valeurs democratiques. Merci pour une analyse sobre et rigoureuse, mais seul un recyclage quasi-total des journalistes actuels et la venue de nouvelles generations de journalistes pourra empecher
le journalisme de continuer a jouer le role de fossoyeur de la nouvelle democratie en Tunisie.