À la date du 4 juillet 2013, nous avons publié une vidéo-lettre dans laquelle les familles des Tunisiens disparus en Italie sollicitent Giusi Nicolini, le maire de de l’île de Lampedusa, pour intervenir en faveur de la création par le Parlement européen d’une commission d’investigation. Les familles demandent également au gouvernement tunisien des informations sur le sort de leurs proches, partis depuis février 2011. Malgré des photos et des vidéos publiées dans certains médias italiens, qui montrent que certains d’entre eux ont pu gagner l’Italie sains et saufs, on ne sait toujours pas ce qu’ils sont devenus. Les autorités italiennes n’ont pas fourni de réponses convaincantes. Leurs confrères tunisiens, quant à eux, ne sont pas en mesure de mener des pourparlers diplomatiques sérieux afin de mettre fin à ce drame. L’énigme persiste toujours dans cette affaire, autant qu’aucun des États impliqués n’a pu soulager les familles touchées.
Comme demandé par les familles tunisiennes, Giusi Nicolini s’adresse aux institutions compétentes pour contribuer à l’établissement de la vérité via un appel humanitaire intitulé « Prenons au sérieux cette douleur ».
Nous mettons à votre disposition le texte tel qu’il nous a été transmis, ainsi qu’un dossier joint documentant la période allant de septembre 2010 à septembre 2013, envoyés par les mères des disparus, et où l’on trouve d’importantes informations relatives au départ de leurs enfants.
Chères Mesdames,
J’ai recueilli votre appel et je l’ai adressé aux institutions italiennes et européennes qui peuvent donner une réponse à vos questions. En tant que maire de Lampedusa, l’île qui sauve la vie à beaucoup de personnes contraintes aux voyages de l’espoir ou qui a pitié des corps restitués par la mer, je ressens le devoir d’écouter votre demande de vérité et de vous donner mon petit aide, petit comme petite est mon île et mon voix. C’est vous qui êtes grandes, votre douleur et votre ténacité, votre force qui refuse le silence et la résignation, votre voix. J’espère pouvoir vous accompagner encore et vous être sœur dans ce chemin.
Je vous embrasse et vous salue,
Giusi Nicolini
Prenons au sérieux cette douleur
Pourquoi la douleur des femmes tunisiennes ne devrait-elle pas être considérée ? Le silence ne peut pas apaiser cette douleur, ni arrêter la recherche de la vérité, ni empêcher leur lutte, ni la rendre vaine. Même une vérité dramatique peut conforter qui a vu partir et disparaître son fils, son époux, son frère. Le silence est la seule réponse que nous ne pouvons pas accepter. Sans nos lois, nos conventions internationales, sans les accords entre les Pays de frontière, sans nos choix politiques, ces hommes, ces jeunes, ne seraient jamais montés sur un « bateau de l’espoir ». Considérer les naufrages et les victimes uniquement comme une conséquence de la criminalité qui gère le trafic des êtres humains, sans reconnaître que ce trafic existe parce qu’il y a des personnes auxquelles nous n’avons pas reconnu le droit de voyager librement au-delà des frontières, c’est un alibi plus fragile du silence et de l’indifférence. Le silence face à leur demande de vérité ne cache pas les responsabilités effectives des choix politiques qui empêchent cette liberté de mouvement. Sans la lutte de ces femmes, ces hommes disparus dans le rien n’auraient jamais existé pour nous. À ces femmes, je crois, il faut donner une réponse, parce que c’est grâce à elles que ces hommes n’ont pas cessé d’exister. Par conséquence, en joignant ici le dossier concernant la période septembre 2010-septembre 2013 que les mères et les familles des migrants tunisiens disparus m’ont envoyé, et où l’on trouve les informations des jours de départ de leurs enfants et les coups de fil reçus pendant leur voyage, je demande :
– Au Président de la Commission spéciale pour la protection et la promotion des droits de l’homme du Sénat de la République, Monsieur Luigi Manconi, de s’engager pour l’ouverture d’une enquête sur ces événements et la mise en œuvre d’examens sur les corps retrouvés dans les jours suivant les dates de départ mentionnées dans le dossier, afin que l’on puisse comparer leurs prélèvements ADN avec ceux de leurs parents en Tunisie.
– Au Ministre de l’Intérieur, Monsieur Angelino Alfano, et au Ministre des Affaires étrangères, Madame Emma Bonino, d’examiner, pour ce qui concerne les jours de départ des migrants tunisiens disparus, les images de monitorage de cette zone de la Méditerrané et le mouvement des bateaux civils et militaires employés dans le Canal de Sicile et leurs éventuels repérages, suivis ou pas d’interventions de secours.
– À l’Union européenne d’ouvrir une enquête, comme il est demandé dans le texte de l’appel que les mères et les familles des migrants tunisiens disparus ont adressé à cette institution au mois de mars, et de faire connaître les activités de l’agence Frontex dans les eaux nationales et internationales au cours de la période qui correspond aux dates indiquées dans le dossier.
Giusi Nicoli, Maire de Lampedusa et Linosa
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