Croisée au Congrès national contre la violence au Palais des congrès, El hadja Mounira Chakraoui pleure à chaudes larmes, explicitant instinctivement les maux d’une maman dont la seule espérance est de revoir un fils disparu, Amine Ben Hssine, étudiant qui a fuit la Tunisie le 9 septembre 2010 depuis Bizerte, suite à une poursuite judiciaire. Elle fait le va-et-vient à l’entrée sans vouloir s’asseoir pour ne pas rater une chance, une discussion ou une quelconque promesse. Notre interlocutrice n’est pas négative. En dépit des circonstances, elle compte franchir le Rubicon.
Elle cogite : « Pensent-ils sérieusement à solutionner notre drame ? » Une quinquagénaire qui contraste manifestement avec l’allure d’une scène composite. « Dans un État qui joue à l’arlésienne, est-il possible que ces messieurs puissent apaiser nos maux et nous rendre enfin nos fils après deux ans d’attente ? »
Elle a eu des entretiens avec, respectivement, le président de la République, les quatre ministres des Affaires étrangères, le ministre de l’Intérieur Habib Essid, Ali Laarayedh, les secrétaires d’État, etc. Selon elle, tout le monde use de la cause des familles de disparus à des fins propagandistes. C’est plutôt la politique de l’autruche. « La Tunisie a besoin d’hommes d’État indépendants. Les considérations partisanes l’emportent dans l’équipe gouvernementale actuelle. A part quelques exceptions bien sûr. »
« Ils sont bel et bien vivants, pourquoi leur ôter le droit de retourner chez eux ? Ce sont des Tunisiens, des vrais ! Les gouvernements doivent avoir honte de leur nonchalance. On les a élus pour nous servir dans le bien et le mal. Toute la région de Ras Ejbel est aujourd’hui importunée. » Elle semble plutôt sans espoir : « Nous avons frappé à toutes les portes, sans retour ».
Elle est sur la sellette. Sami Ben Omar l’a qualifiée de faux jeton. Dans une émission télévisée, il a déclaré qu’elle profitait de la souffrance de son fils pour récolter de l’argent auprès des ambassades, qu’elle jetait de la poudre aux yeux. Les autorités ont vainement été sollicitées par les familles des disparus sans que leurs voix ne soient entendues. Le discours officiel fait faux bond.
« Nous avons contacté les autorités italiennes. Lors de sa première visite à Rome, l’ex-Premier ministre Hamadi Jebali nous a roulés. Il dit avoir assuré toutes les nécessités pour que nous réussissions notre mission. Dès notre débarquement, les autorités italiennes nous ont poliment informés que notre présence n’avait rien d’officiel ou de diplomatique. » Aucune consigne ou recommandation spéciales à leur sujet.
Lors d’une entrevue avec Ali Laarayed, à l’époque où il était à la tête du ministère de l’Intérieur, celui-ci a excellé en argumentation : « Comment donner aux Italiens les données personnelles de mes fils ? »
C’est grâce à Federica Sossi, activiste dans un collectif féminin en Italie, qu’elles ont entamé leur mission sans qu’un appui gouvernemental leur soit accordé. Elles étaient logées, nourries et guidées pendant onze jours sans contrepartie. Grâce à cette activiste, des rencontres avec le président de l’Italie, le Premier ministre Berlusconi, le ministre des Affaires étrangères, le ministre de l’Intérieur ont eu lieu.
« Si » Mokhtar Aljdidi promettait naïvement l’agneau de l’Aïd à toute personne l’aidant à retrouver son fils. Générosité d’un tiers prêt à tout faire pour revoir son enfant à ses côtés. Purement Tunisien, ce paysan semble contraster avec « un pseudo temps moderne », avec sa chechia et sa balgha. Il n’a pas l’air de quelqu’un qui peut facilement baisser les bras. Confiant et déterminé, il n’hésite pas à s’imposer en osant déclencher des discussions à gauche et à droite. Il s’expose aux micros, expliquant sa cause et ses revendications. Une fois épuisé, il regagne un coin à l’entrée, une bouteille d’eau dans les mains. Il reprend inlassablement le tour dès qu’une nouvelle personnalité influente apparaît sur scène.
Le départ de Ben Ali a excité une réaction réflexe, instinctive, auprès des jeunes chômeurs tunisiens, chez lesquels la révolution a paradoxalement attisé un rêve de gagner « le paradis ».
Leur départ a déclenché un drame qui perdure depuis deux ans et dont les acteurs principaux sont les mères elles-mêmes. Désemparée, Yamina Mbarki, mère de Karim Mbarki, s’est jetée du premier étage. Bien que des rapports médiatiques démontrent que son fils est encore en vie, les autorités tunisiennes échouent à l’épreuve diplomatique auprès de Rome. Les familles croisent les doigts. Le consul tunisien à Palerme a été sévèrement critiqué, notamment pour avoir confirmé le sauvetage de 126 jeunes sans qu’il puisse les rapatrier. En réaction, les familles ont entamé une grève de faim. Sans aboutissement.
Le 24 avril, lors de sa visite en Tunisie, la ministre de l’Intérieur italienne Anna Maria Cancellieri a déclaré que « son pays [était] conscient de la souffrance des familles des jeunes disparus en Italie. »
Votre honneur, peut-on traduire ce scrupule de conscience en acte de rapatriement ? La solution, selon ce que les familles avancent, se résume dans l’envoi d’un CD contenant les empreintes digitales des disparus pour pouvoir les reconnaître en Italie. Etrangement, à plusieurs reprises, les familles ont reçu un contenu inapproprié, et Rome a refusé de divulguer une quelconque information sans avoir ce fameux support de reconnaissance. La procédure n’est pas aussi complexe. Notre ministère de l’Intérieur excelle dans la récolte des données sur ses citoyens, en particulier ceux qui touchent à ses liens amicaux avec les partenaires du nord de la Méditerranée.
Les familles des disparus viennent de lancer une vidéo-lettre adressée à Giusi Nicolini, maire de l’île de Lampedusa. Nous publions cet appel à la demande de l’activiste Federica Sossi pour l’institution d’une Commission d’enquête du Parlement européen sur la disparition de ces jeunes Tunisiens.
[…] la date du 04 juillet 2013, nous avons publié une vidéo-lettre dans laquelle les familles des Tunisiens disparus en Italie sollicitent Giusi Nicolini, le maire de […]