Alors que la constitution est presque achevée, les députés se sont également penchés sur une question sensible: l’examen du projet de loi de justice transitionnelle. Après une audition du ministre des droits de l’Homme et de la justice transitionnelle, la commission poursuit encore ses travaux cette semaine.
Rappel : qu’est-ce que la loi sur la justice transitionnelle?
Le processus de justice transitionnelle est inhérent à tout pays sortant d’une dictature ou d’un conflit. Expliquée sur Nawaat en trois parties, la justice transitionnelle doit marquer les jalons du processus démocratique. En Tunisie, une des priorités de la justice transitionnelle porte sur
- les réparations pour les victimes de l’oppression
- la réconciliation nécessaire entre les deux parties.
Deux commissions ont été créées dans ce sens depuis la révolution: la Commission nationale pour la vérité sur la corruption et le Comité national pour enquêter sur les faits de violations enregistrées au cours de la période du 17 décembre 2010 au 14 février 2011. Malgré quelques procès, l’amnistie générale et d’autres indemnisations, certaines violations, notamment celles remontant à la période Bourguiba n’ont pas encore été traitées.
A l’instar des 32 commissions vérité mises en place dans 28 pays dans le monde, la Tunisie a inscrit dans son article 24 de la loi d’organisation provisoire des pouvoirs publics la mission de l’ANC de promulguer une loi sur la justice transitionnelle en concordance avec le Ministère des droits de l’Homme créé après la révolution.
Le ministère en question a assuré la coordination entre organisations suivantes pour l’élaboration de cette loi :
Le Centre Al Kawakibi pour la transition démocratique, le Centre tunisien pour les Droits de l’Homme et la Justice transitionnelle,le Réseau tunisien de la Justice transitionnelle, le Centre de Tunisie pour la Justice transitionnelle, la Coordination nationale indépendante pour la justice transitionnelle et l’Académie de la justice transitionnelle.
Un dialogue national a eu lieu sur le sujet en 2012 avec la constitution de différentes commissions pour mener à bien le projet. Des consultations régionales auprès des victimes ont eu également lieu pendant l’année. Aujourd’hui de nombreux enjeux sont encore présents comme le montre les débats autour du projet de loi à l’ANC qui a été déposé par la Commission technique le 28 octobre 2012. Composée de 75 articles, le projet est discuté en commissions parlementaire depuis une semaine.
Audition du Ministre des droits de l’Homme
Ce n’est pas la constitution mais le projet est tout aussi important d’après le Ministre Samir Dilou qui a fait une comparaison entre les deux textes lors de son audition le jeudi 30 mai. Selon lui, les deux textes doivent avant tout s’adresser au peuple et non pas seulement à une majorité électorale. Mais pourtant, le projet de loi présenté par la commission technique n’est pas si évident pour tous. Les députés de la commission des droits, des libertés et des relations extérieures, ont pris la parole pour interroger le ministre sur certains points sensibles. La préoccupation majeure reste de savoir dans quelle mesure cette loi peut garantir un non-retour aux pratiques répressives du régime Ben Ali et permettre la réhabilitation des victimes. Pour indication, la loi fixe les dates d’application des violations au 20 mars 1956. Elle prend donc également en compte les victimes du régime de Bourguiba.
Vidéo de l’audition du Ministre par Al Bawsala
La commission de la vérité et de la dignité
Depuis mardi 28 mai, les questions des députés ont porté sur la précision de certains articles comme l’article 3 relatif aux violations graves et préméditées. L’élue Hajer Azzaiez d’Ennahdha a demandé quel serait le critère pour déterminer la violation par exemple. L’élue Amel Ghouil d’Ennahdha a estimé les articles 43 et 44 ne sont pas assez précis sur le type de violations et les réduisent à celles commises par l’Etat. Le ministre leur a répondu qu’il s’était basé sur la «littérature de la justice transitionnelle» pour déterminer les types de violations. Mais c’est surtout l’instauration d’une commission de vérité et de dignité qui semble poser problème. La limitation de ses prérogatives notamment pour l’accès aux documents «susceptibles de porter atteinte à l’ordre public et à l’intérêt de la défense nationale».
Lors de la réunion du mercredi 29 mai, l’élu Samir Ben Amor, a proposé une autre formulation afin de concilier les prérogatives de la commission et l’intérêt de la défense nationale. Pour ce comité, le Ministre Samir Dilou a déclaré que si ce dernier était convaincu par le caractère non secret du document, il peut demander au Ministère de lui fournir le document complet. Il a ajouté qu’il fallait une certaine « immunité » à la commission afin de ne pas entraver les membres dans leurs fonctions. Cette question de l’immunité a été copiée sur le type d’immunité accordée aux magistrats car ce comité est une commission semi-judiciaire. D’autres élus ont dénoncé le manque de précisions sur la commission comme Rim Mahjoub qui a posé une question relative au choix des magistrats et sur l’article 39 qui ne fixe pas les modalités de démission du président du comité.
La caisse de réparation
La caisse de réparation décidée par l’article 11 a également soulevé de nombreuses questions. Celle-ci fixe le montant des indemnités de chaque réparation. Elle est indépendante du comité de vérité et de dignité selon le Ministre. Les autres interventions du vendredi 31 mai ont d’ailleurs porté sur l’indépendance de cette caisse des réparations (article 43). L’élu Mohamed Gahbiche a demandé plus de précisions sur celles-ci car la loi ne précise pas par qui et comment elle sera financée.
Les débats ont repris vendredi 31 mai avec les discussions autour de l’article 48 sur la sous-commission d’arbitrage et de vérité qui va être créée au sein du comité. Pour Samir Ben Amor, il faut préciser quels dossiers de corruption peuvent être soumis à un processus de réconciliation. La président de la commission de la législation générale, Kalthoum Badreddine, a soutenu l’idée selon laquelle il faut diviser cet article afin d’ajouter certains points. A noter, un consensus a été trouvé sur l’article 47 relatif à la préservation de la mémoire collective et nationale mais les élus restent divisés sur la formulation du terme.
Les discussions reprennent cette semaine autour du projet.
Par Lilia Blaise
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