Rencontre avec Chico Whitaker. Né au Brésil en 1931, cet architecte de formation et père fondateur du Forum Social Mondial, a œuvré toute sa vie durant pour un monde meilleur, plus juste et plus équitable. Du Brésil à la France, en passant par le Chili ou l’Afrique, cet infatigable militant altermondialiste court toujours pour partager sa vérité.
Propos recueillis par Mohamed El Amine Mahieddine
Cela fait maintenant près de soixante ans que vous militez, qu’est-ce qui vous fait encore courir ?
Chico Whitaker : On ne peut pas s’arrêter, rester chez soi à se reposer. Dès l’instant où l’on prend conscience des injustices, des inégalités sociales, des problématiques que rencontrent les gens au quotidien, on ne peut pas dormir l’esprit tranquille. Dès l’instant où l’on a encore des forces physiques ou ne serait-ce que mentales, il faut continuer la lutte, on en a l’obligation. Pour ma part, seule la mort m’arrêtera… ou la perte de raison.
Etes vous le même militant qu’à vos débuts ?
C.W. : Mon militantisme a beaucoup évolué avec les années et au fil de mes expériences. Avec le temps, j’ai changé de type d’action, j’ai notamment été parlementaire, ce qui m’a permis de constater les dysfonctionnements de la démocratie représentative. Cela a été pour moi un processus continuel de nouveaux défis. Et lorsqu’on rentre dans le circuit on est automatiquement appelé à d’autres choses, cela ne finit jamais. Quand j’ai découvert la lutte, j’étais étudiant et je me battais pour avoir une bonne université et qu’elle soit liée à la résolution de problèmes sociaux. Ensuite, les gens venaient à moi pour me proposer d’autres combats.
Vous êtes l’un des pères fondateurs du Forum Social Mondial, imaginiez-vous que cela prendrait une telle ampleur ?
C.W. : Jamais, jamais, jamais… on aurait imaginé une telle chose ! On a pratiquement été obligé de faire le deuxième forum alors qu’on n’avait pas nécessairement décidé d’en faire d‘autres. Après avoir vu ce qui ce passait, l’opportunité d’enclencher ce processus était devenue obligatoire. La méthodologie même du forum a été une découverte progressive.
La voie prise par le forum au fil des années était-elle, celle que vous souhaitiez ?
C.W. : Il y a depuis toujours… une bagarre [Ndlr : il hésite] plutôt une grande discussion à l’intérieur même du forum, sur son caractère et sur ce que c’est réellement : un espace ou un mouvement ? Cela a toujours créé une tension. Me concernant, je suis un défenseur du forum en tant qu’espace, mais j’ai dû me battre car beaucoup voulait le voir devenir un mouvement. S’il était devenu un mouvement, le forum serait terminé car cela requiert un commandement, une direction, une discipline. Des programmes et des objectifs auraient été nécessaires et on se serait divisés car c’est la loi des mouvements pyramidaux. J’ai donc préféré un espace horizontal, ouvert à la discussion pour éviter la lutte à l’intérieur de la pyramide et trouver des conclusions aux discussions.
Comment souhaiteriez-vous voir évoluer le forum à l’avenir ?
C.W. : Quand je vois les jeunes présents aujourd’hui qui discutent, échangent sur le nucléaire par exemple, cela me conforte dans l’idée que les forums sociaux sont une nécessité. Un autre monde est possible et souhaité par beaucoup. Je voudrais voir à l’avenir s’organiser un forum social mondial dans un pays du nord même si cela est très compliqué à envisager, notamment à cause des visas.
Entretien réalisé dans le cadre du projet « Reporters Transméditerranée »
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