Par Farhat OTHMAN
Contrairement à ce que pensent certains esprits encore éblouis par la modernité occidentale pourtant évanouie, le fait religieux est plus vivant que jamais. Le retour du religieux est même la marque majeure de la postmodernité, notre époque actuelle. Et cela est vérifiable partout dans le monde sous des formes diverses.
Certes, durant la période déjà finie de la modernité occidentale, on a cru enterrer Dieu et la religion; or, on n’a fait que désenchanter le monde.
Avec la postmodernité que nous vivons, le réenchantement du monde est, en fait, un retour à la religion. Plus que jamais, le droit au sacré est revendiqué et s’impose à tous.
Toutefois, que l’on y prenne garde; il ne s’agit pas nécessairement de retour à une forme rigide de la religion, salafie par exemple comme on le voit chez nous, mais à une forme plutôt populaire de spiritualité.
Or, cette religiosité de nouvelle génération est en gestation en Tunisie.
Car l’islam n’est pas qu’un culte; il est une culture. Aujourd’hui, on doit le dire et le redire.
On doit aussi rappeler à ceux qui l’oublient que notre religion est universelle et est rationnelle, ne répudiant aucune tendance avérée de scientificité.
Puis, l’islam n’appartient pas à une coterie ou à des savants autoproclamés en sciences religieuses. L’islam abolit tout intermédiaire entre Dieu et ses fidèles; aussi, ils n’ont de compte à rendre qu’à Lui. Et, surtout, ils ont son Livre et la Tradition de son prophète pour y trouver la guidance de leur comportement. Ils n’ont besoin en cela ni de clercs ni d’église.
Aussi, on ne peut plus se contenter de se retrancher derrière un héritage qui fut assurément riche et grandiose, mais qui ne nous dispense pas de l’obligation d’en faire l’inventaire afin de l’enrichir encore et toujours davantage aux lumières de notre religion.
L’islam commande d’user de la raison et d’innover au lieu de ressasser ce qui ne fut que l’œuvre géniale de jurisconsultes ayant entrepris l’exégèse et l’herméneutique de leur religion pour leur temps et rien que pour leur temps.
Cela a donné un corpus qui a satisfait des générations de musulmans; mais qui n’est plus d’actualité, ne trouvant aucun écho dans les cœurs des nouveaux fidèles, notre jeunesse.
Que voit-on, en effet ? À l’exception de quelques minorités activistes usant de force et de violence, agissant par mimétisme en robots sans cervelle, nos jeunes se désintéressent des préceptes de notre religion, ne se reconnaissant nullement dans le moule obscurantiste où elle se trouve coulée.
Pourtant, pour qui sait lire correctement le Coran avec un esprit libre et libéré des conditionnements antiques et qui interprète honnêtement la geste prophétique, il y a moyen de trouver des enseignements en phase avec les exigences des jeunes d’aujourd’hui, n’étant en rien opposés à leur élan vital, leurs désirs et leurs rêves.
Aujourd’hui, en notre temps postmoderne, on ne peut plus vivre sur le legs de nos ancêtres et délaisser les trésors de notre religion qui sont encore plus beaux s’ils étaient confrontés aux impératifs du temps présent.
L’islam est la religion postmoderne par excellence; or, à nous accrocher à une conception éculée, une interprétation dépassée, celle léguée par des jurisconsultes géniaux, mais dont le génie était approprié à leur temps, on fait du tort à notre islam, le ramenant au statut d’une religion dépassée. Et d’un islam des Lumières on fait une religion des ténèbres !
Que ceux qui se prétendent révolutionnaires en ce pays, tout en se réclamant d’un islam que la dictature déchue ne renierait pas, se le disent donc : L’islam de papa et de papy, c’est fini !
Pour retrouver vivace notre foi dans les cœurs des jeunes, il faut leur parler de leur religion selon les canons de leur temps, une religion postmoderne, forcément. Et je parle de tous nos jeunes, y compris de ceux qui dansent dans leurs lycées comme leurs semblables dans le monde entier, car il est un temps pour tout; et notre religion est la première à honorer la danse et l’amusement comme étant indispensables à la santé de la jeunesse.
Parler aux jeunes de leur religion selon la mentalité de leur temps est bien possible et se fera, qui plus est, en total respect de l’authenticité même de l’islam, en nous référant à son esprit, à ses visées. En effet, en nous liant au texte qui ne reflète qu’une partie minime de la parole divine, on ne le respecte point; cette parole, outre son apparence formelle, ayant un génie qui est son esprit et où se concentre le message divin véritable par-delà le temps et l’espace, étant éternel.
Certes, dans notre pays, on ne se rend pas assez compte encore de cette réalité que je décris et qui travaille comme une centralité souterraine en sous-sol de notre socialité. Cela a essentiellement pour cause l’accès de fièvre extrémiste qui n’est que le résultat logique de tant d’années de dictature et d’oppression. Mais, la religion en Tunisie ne sera pas celle dont rêvent ces égarés, et certainement jamais à l’image de ce que nous connaissons au Moyen-Orient, ne serait-ce que parce que ces pays n’ont pas réalisé ce qui constitue l’honneur de la Tunisie, son Coup du peuple.
De plus, l’islam tunisien, déjà bien avant la révolution, avait son originalité propre, tirant sa spécificité d’une composition ternaire, étant basé sur le rite malékite, avec un zeste du rationalisme asharite et surtout un attachement certain, bien ancré dans la population, au soufisme d’origine, cet islam spirituel de grande facture.
Ce n’était déjà que l’islam de nos parents; et les jeunes d’aujourd’hui ont besoin d’encore plus d’originalité pour non seulement comprendre leur religion, mais aussi bien apercevoir qu’elle compose leur identité.
Or, qui parle d’identité, sauf à accepter qu’elle soit perturbée, débordant de troubles psychologiques et du comportement, ne peut envisager une religion qui ne parle pas aux jeunes, ne cadre pas avec leur vie de tous les jours.
Il leur faut donc un islam de leur temps, ce temps d’internet et des technologies de communication. Et notre islam, qui est fondamentalement révolutionnaire et est éternel dans sa prétention à l’universalité et à la scientificité, est le fait religieux le plus adapté à notre temps. Il est même de ce temps dans son esprit, bien évidemment, et pas sa lettre.
Aussi, il nous faut retrouver, en notre Tunisie révolutionnaire, un islam qui soit cette révolution qu’il a été et qu’il reste, un islam toujours d’actualité étant le sceau des Écritures saintes. Il est donc temps de proclamer la Tunisie pays de l’i-slam ! Quèsaco?
La neuvième lettre de l’alphabet français désigne aujourd’hui tout ce qui a trait au monde virtuel et à la circulation de l’information via internet; c’est plus qu’une manière d’être, une philosophie, et c’est la religion profane d’aujourd’hui.
Le slam, mot d’origine américaine pouvant signifier, en argot, la claque, l’impact, est synonyme, en français, de poésie orale, ouverte à tous. Très exactement, c’est une déclamation publique faite pour surprendre et émouvoir l’auditoire.
Or, qu’est-ce que l’islam sinon ces préceptes universels, cette inspiration spirituelle humanitaire qui est à la base du respect de la règle partagée spontanément comme tout ce qui se partage sur les réseaux sociaux. Et ses signes extérieurs ne sont-ils pas le symbole désignant la qualité de la distinction de la communion en des valeurs suprêmes immatérielles telles celles réunissant les adeptes des mondes virtuels ?
Qu’est-ce que l’islam, lorsqu’on écoute le coran, sa substantifique moelle, sinon cette déclamation qui charme et qui fait venir les larmes aux yeux du fait de sa splendeur formelle et sa sagesse matérielle ? Que serait l’islam, selon la tradition du prophète, sinon un hymne à l’art de vivre et l’appel à l’harmonie avec la nature ?
Aussi l’islam est bel et bien aujourd’hui, au pays de la révolution 2.0, un i-slam !
Notons, par ailleurs, que le slam peut désigner également ce plongeon que l’artiste fait, de nos jours, dans la foule pour qu’elle le porte à bout de bras, créant une communion avec elle, une symbiose absolue. Nos nouveaux religieux s’adonnant à l’i-slam seraient alors tels ces artistes pour une osmose inévitable entre tous les croyants musulmans, les sublimes préceptes coranique étant une sorte de plongeon dans leurs consciences.
Enfin, pour revenir au sens originel de l’argot américain, l’appliquant cette fois-ci à tous ceux qui nient l’importance de la religion en notre postmodernité, l’i-slam serait alors comme une claque qu’ils recevraient en voyant auprès des foules, notamment jeunes, l’impact considérable qu’il mérite, un accueil chaleureux digne de ce qu’ils réservent habituellement à leurs grands artistes préférés.
Alors, souhaitons en Tunisie la bienvenue à l’islam postmoderne, cette religion spirituelle, une religion des Lumières ainsi qu’elle le fut des siècles durant, illuminant le monde plongé dans les ténèbres.
Saluons donc l’avènement de l’i-slam en Tunisie, berceau du printemps arabe; disons tous, en Tunisie Nouvelle République : Bonjour i-slam !
vous avez une grille de lecture qui reproduit le même shémas d’antan et qui oppose radicalement la modernité à la religion.vous présenter le retour du fait religieux comme une victoire sur la sécularisation.” la modernité occidentale pourtant évanouie,”.vous appeler plus bas à une adaptation de l’islam “Il leur faut donc un islam de leur temps”
finalement ce que vous décrivez ce n’est pas la victoire de l’un sur l’autre mais une rechèrche d’une symbiose entre modernité et religieux.le religieux cherche à se faire une place dans la modernité pour répondre à une forte demande indéniable de spiritualité.cela dépend essentiellement de la capacité de la religion à s”adapter.il reste à savoir quelle place et quel champs les organisations religieuse comptent prendre?
l’islam fait partie de notre identité mais il faut avoir la conscience que la modernité fait également partie de notre identité.il faut comprendre qu’ils ne sont pas opposés et qu’il faut arrêter de présenter la modernité comme un corps étranger fruit de l’occident.il faut appeler à une symbiose tout simplement.
Mon cher Monsieur,
C’est évident, vous vous arrêtez à “Malheurs aux orants!” ويل للمصلين. Si vous me lisiez ici et ailleurs, vous auriez vu ce que je pense vraiment et vous n’aurez jamais dit ces inepties du genre opposer radicalement la modernité à la religion ou le retour du fait religieux comme une victoire sur la sécularisation. Je soutiens justement le contraire.
Je ne vais pas me répéter ici, mais juste vous rappeler que je milite pour un i-slam, un islam de son temps, c’est-à-dire postmoderne.
Je suis en effet de ceux qui pensent que la Modernité est finie; nous sommes en postmodernité qui est un retour au sacré et une revanche des valeurs du Sud. Vous lirez bientôt à ce sujet, sur le seul autre site où je m’exprime, le témoignage du pape actuel de la Postmodernité, Michel Maffesoli, que je viens d’interviewer.
Donc, réveillez-vous, cher ami; se réclamer de la modernité, c’est se réclamer d’une momie!
S’agissant de la lecture que je propose de l’islam, elle est claire dans mes articles ici où j’ose, textes à l’appui, heurter les tabous les plus incrustés dans les consciences figées. Je propose une approche cultuelle et non culturelle de l’islam.
Je suis à votre disposition pour continuer cette discussion quand vous aurez fait montre du minimum d’objectivité nécessaire en lisant pour le moins certains de mes articles ici, dont la série que j’ai commencée sur la rénovation du Lien indéfectible تجديد العروة الوثقى où je renouvelle de fond en comble la vision islamique des choses.
Bonne lecture et surtout bonne réflexion !
Rebonjour,
Errare humanum est, disaient les anciens !
L’erreur étant donc humaine, il fallait bien lire : “Je propose une approche culturelle et non cultuelle de l’islam” et non pas ce que j’ai écrit, par erreur : “une approche cultuelle et non culturelle de l’islam”.
Mais, perspicace comme vous êtes, vous aurez certainement rectifié de vous-même, à n’en pas douter.
Avec mes excuses, malgré tout !
cher monsieur
Vous enterrez la modernité trop vite. Nous commençons tout juste à observer la construction originale de l’individu moderne, ainsi que la modernité elle-même, qui actuellement, commence à se mettre en place au niveau du lien social par le biais de ses pires apories et de ses propres dévoiements idéologiques. La crise est indéniable, elle est causée par la victoire de la raison instrumentale ou matérielle sur la raison philosophique porteuse de sens celle qui cherche les fins et qui les détermine. Il y a crise pace que la technologie la science et l’économie se sont libérées des valeurs et de la morale, et c’est là, que la religion doit contribuer avec sa dimension philosophique pour donner du sens. La modernité est un projet inachevé elle est en mouvement elle est entrain de concilier dans sa raison la part rationnelle et la part émotive.
Je pense que le retour du fait religieux ou ce que vous appelez le retour au sacré n’arrive pas au stade d’une nouvelle conception que vous appelez la postmodernité. Ce sont des symptômes d’un corps malade mais pas encore moribond. Si on regarde bien ces phénomènes on se rendra compte que ce sont des réactions de catégories exclus ou victimes de la modernité et du progrès, ce sont des populations qui s’opposent à un monde auquel elles ne peuvent avoir accès.
L’islam le plus virulent et le plus visible c’est l’islam qui se transforme en religion politique. C’est un islam fondamentaliste qui vient disputer la scène politique sur les décombres du panarabisme. C’est un islam porteur de l’idée de la « oumma » en opposition à l’impérialisme occidental qu’il ne faut pas confondre avec la modernité. Certains affirment de plus en plus que cet islam politique n’est qu’un instrument dans les mains de l’impérialisme occidental.
L’évangélisme américain qui se propage à vitesse grand v partout dans le monde se présente essentiellement sous la forme d’une « thérapie » sociale destinée à soigner la société et les individus des troubles de la modernité : anomie, individualisme, matérialisme…
On remarque également un essor du prophétisme en Afrique et en Asie qui s’est développé sur un fond identitaire et anticolonial. Je peux citer aussi les sectes qui se développent de plus en plus.
Ce repli communautaire et identitaire est la conséquence de la panne que la modernité a eue à produire de l’universel qui transcende.
Les besoins et les expressions du fait religieux ou spirituel, qu’on observe dans le monde, sont tellement divers qu’on ne peut pas les classer dans un concept structuré que vous appelez postmodernité.
Mon cher ami,
Je ne suis pas le théoricien de la postmodernité, je n’en suis que l’adepte bien modeste. Pour mieux en saisir les tenants et les aboutissants, je vous réfère à ses théoriciens dont le plus novateur en France aujourd’hui est, sans conteste, mon maître et ami Michel Maffesoli.
Je me permets, à ce sujet, de préciser que la postmodernité ne se résume point au retour du sacré qui n’en est qu’un aspect, certes majeur, mais parmi d’autres, comme la nécessité du recours à l’imaginaire, la tribalisation du monde, les communions émotionnelles, etc.
Mais attention, en parlant de fin de la Modernité, il ne s’agit nullement de ma part de nier les indéniables réussites de la civilisation de la Modernité, véritable apogée des acquis en termes de valeurs humaines d’égalité et de libération individuelle. Il ne s’agit pas non plus de jeter aux orties la nécessité du corollaire de la Modernité que fut l’explication rationnelle du monde et du progrès scientifique ! Le problème est que la Modernité a fait de la raison raisonnante un dogme et a versé dans le scientisme, rejetant toute autre explication possible, aboutissant au désenchantement du monde. Les travaux de Maffesoli, par exemple, ont montré de la plus magistrale façon qui soit comment l’idéal de l’homme voulu maître de son destin et de l’univers a irrémédiablement abouti à ce que Heidegger qualifiait de « dévastation du Monde ».
Se focaliser sur la Modernité, sur ses réussites, c’est oublier ses échecs et surtout la nécessité de la compréhension de l’imaginaire postmoderne : comment une société vit, s’écrit, se rêve et se dit? Il y a une ambiance nouvelle qui résume l’époque, cet âge des foules marqué par l’importance des rituels, des croyances collectives, des comportements quotidiens, ce que Durkehiem appelait effervescence et Maffesoli qualifie d’affoulements; et c’est ce que nous voyons chez nous, par exemple.
S’agissant de la crise, elle est dans nos têtes, comme le dit encore mon maître Michel Maffesoli dont je présente la pensée à l’occasion de l’interview exclusive qu’il a donnée au site Leaders (en ligne toutes deux depuis aujourd’hui et dont je reprends ici quelques passages).Elle manifeste juste le passage trouble mais nécessaire d’une épistémè ou paradigme saturé, ayant épuisé ses effets, à un autre ordre des choses et de pensée.
Comme tout sociologue compréhensif qui se respecte, il nous faut reposer sans cesse la question : comment se fait-il, malgré tout, que cela continue, qu’est-ce qui fait vie, comment cela tient-il ensemble? Car le désordre n’est qu’une multiplicité d’ordres éclatés (des ordres) et l’anarchie comme un ordre sublimé, la confusion comme une fusion, une congruence avec ce qui fait l’essence du peuple et le déséquilibre comme une pluralité d’équilibres (des équilibres). Tout cela n’a pu être compris par la Modernité ni ne peut être expliqué par la raison scientiste qui est toujours réductionniste, cherchant une synthèse qui peut être illusoire.
Dans la postmodernité de laquelle nous relevons, il y a une quête jubilatoire d’un nouveau rythme de la vie qu’il s’agit d’explorer en se laissant aller sans se retenir à la dérive telle que théorisée par G. Debord et les situationnistes. Je crois déceler cela en Tunisie où existe une empathie populaire réelle avec autrui, l’altérité y étant identité, ou encore mieux, appartenance et apparentement dans un habitus propre fait de gestes assez dilettantes et une ouverture constante, tout ce qui relève d’une société postmoderne.
Donc, pour me résumer, si la Modernité est morte, c’est du fait de la saturation des valeurs du progrès, du rationalisme, ainsi que d’une organisation sociale fondée sur l’assignation à identité individuelle, avec ce que cela implique de réduction du lien social et de la proxémie. Maffesoli, par exemple, pour le citer à nouveau, soutient que l’on doit désormais passer du contrat social et de l’idéal de la démocratie représentative au pacte de socialité, une nouvelle manière d’être au monde tenant compte de cette quête jubilatoire d’un nouveau rythme de la vie que j’évoquais ci-dessus. C’est ce qu’il qualifie d’Écosophie, ce qu’on pourrait appeler volontiers le vrai Mektoub islamique.
Pour ce qui est de l’islam, ou du fait religieux, son retour sur la scène n’est pas propre à la Tunisie, il est lié au retour plus généralement observé dans le monde du fait spirituel dans le cadre de la revanche des valeurs du Sud sur celles, arrogantes, du Nord, dans le cadre de cette postmodernité. Certes, on a en Tunisie, comme ailleurs, des expressions extrémistes, mais cela ne résume pas l’islam et est surtout le contrecoup des années de la dictature. Le balancier finira pas se stabiliser sur une conception apaisée de l’islam, celle pour laquelle je milite et qui consiste, pour l’essentiel, en des retrouvailles avec ce qui fait l’honneur de l’islam, son interprétation soufie, le soufisme des maîtres, bien évidemment. Car l’avenir de l’islam, tout en étant ce retour à son réel message authentique purifié des scories de l’âge et des avanies du temps, est dans cette superbe spiritualité humaniste.
J’espère vous avoir répondu assez clairement en m’excusant de la longueur de la réponse sur un sujet d’actualité et aussi inépuisable en richesse thématique.
Je ne terminerai pas, cependant, sans vous conseiller de lire, outre Maffesoli, les ouvrages de son maître Gilbert Durand dont, par exemple, Science de l’homme et tradition; ou encore Introduction à la Mythodologie. Mythes et sociétés; et bien sûr : Les Structures anthropologiques de l’imaginaire.
Et bonne réflexion ! Vous verrez alors que ceux qui se croient “modernes”, au sens d’avancés ne sont, en fait, que des attardés; car la vraie modernité au sens classique du terme est, aujourd’hui, la postmodernité !
[…] Sur l’i-slam, cf. ma présentation : Dites bonjour à l’i-slam en Tunisie ! […]
cher ami
« Je me permets, à ce sujet, de préciser que la postmodernité ne se résume point au retour du sacré qui n’en est qu’un aspect, certes majeur, mais parmi d’autres » là je reconnais un début d’objectivité qui rompt avec un précédant commentaire « Je suis en effet de ceux qui pensent que la Modernité est finie; nous sommes en postmodernité qui est un retour au sacré et une revanche des valeurs du Sud. ». Ma première intuition était la bonne, vous êtes en train de faire du prosélytisme religieux avec une connotation identitaire, cela reste votre droit mais cela vous fait perdre une certaine crédibilité et une certaine rigueur intellectuelle. Vous vous emparez de l’idée plus globale de la postmodernité pour faire de l’éveil du sentiment religieux sans pour autant donner des exemples concrets sur la manifestation de ce concept dans nos liens sociaux. Vous êtes en train de lancer des affirmations abstraites qui n’ont aucun rapport avec la réalité de la Tunisie pour justifier le postmodernisme et le retour au sacré comme un fondement de nos rapports sociaux. A moins que vous considérez que l’organisation de mariages et de circoncisions collectifs sont les signes du retour au sacré et de nouvelles solidarités sociales. Votre message subliminal à forte connotation politique qui sous-entend que la modernité en Tunisie a tué le droit au sacré est une grande tromperie. La Tunisie d’aujourd’hui qui est en train de se construire montre des signes d’aspiration à une rationalisation de ses rapports sociaux et politiques et une envie de conforter ses acquis de la modernité. Il ne faut pas confondre le sentiment religieux et les partis islamiques avec une quelconque nouvelle conception de rapports sociaux ou politique basée sur le sacré. Vous rejoignez en quelque sorte l’idée illusoire de l’islam politique, qui prétend que l’islam est un système social et politique, et qu’une fois au pouvoir on se rend compte que ce n’est qu’une volonté hégémonique au nom de l’islam parce que cette conception n’existe pas et elle n’a jamais existé.
Je reviens sur le postmodernisme pour dire qu’il s’est construit sur une critique de la raison et c’est justement ce que la modernité est en train de faire en conciliant rationalité et subjectivité. On n’a pas encore changé de matrice, comme je vous l’avais expliqué dans un autre commentaire, la modernité est mobile et tout ce qu’on observe actuellement n’est pas un changement de paradigme. Je vous propose la définition de Baudelaire « La modernité est ce qui est éphémère, fugitif, contingent au moment ; c’est la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable ».
Une autre de Habermas, « le concept séculier de modernité exprime la conviction que l’avenir a commencé : c’est l’époque qui vit pour le futur, qui s’ouvre à la nouveauté du futur ».
En ce qui concerne maffesoli et sa théorie de « tribu » qui serai annonciatrice du postmodernisme. Ces groupes d’orientation religieuse sexuelle ou autre ne demandent pas la rupture du contrat social ils veulent l’étoffer. Dans le fond c’est la liberté individuelle qui s’exprime en collectivité comme un moyen de pression politique. Ils ne demandent pas des droits propres mais des droits reconnus.
Justement c’est ce que j’ai expliqué précédemment si la modernité échoue à garantir le vivre ensemble et à donner foi en l’avenir(le progrès) il y aura amoncellement de la société et un repli identitaire et communautaire.
Cher ami,
Juste quelques éléments rapides qui ne vous dispensent pas de l’effort à faire de bien vous documenter sur ce que vous évoquez non pas en hypothèses, ce qui pourrait être accepté à la limite, mais en affirmations pompeuses, à la manière bien connue en Modernité :
– Vous apportez des arguments ad hominem, contre vous-même. Quand, dans un tableau, on parle d’un détail, c’est toujours de ce tableau qu’il s’agit et non d’un autre. Or, votre esprit positiviste à outrance, ce qui illustre les travers de la Modernité, est réducteur et vous empêche de voir qu’il s’agit du tableau, combien même on concentre le propos sur l’un de ses détails. Et c’est normal que je parle du retour du religieux postmoderne dans une analyse centrée de la religion; je ne fais pas pour autant une présentation de la postmodernité. Au lieu de parler de ce que vous ne savez pas, puisque vous semblez tout ignorer de la postmodernité, documentez-vous donc ! Ainsi, au moins, vous seriez scientifique et en tout cas plus crédible.
– Vous caricaturez particulièrement la pensée de Maffesoli. Lisez-le avant d’en parler, vous seriez plus sérieux ! Il est à l’affiche sur Leaders. Profitez de l’occasion pour mieux le connaître; vous y gagnerez en consistance ce que vous perdrez en vaine superbe !
– Non, la postmodernité n’est pas une critique de la raison, elle est une critique de l’instrumentation de la raison; sinon, elle la réhabilite dans toutes ses facettes, ce que Maffesoli appelle une raison sensible dans le cadre d’une connaissance ordinaire, ouverte à tous les savoirs et non ceux que certains prétendus penseurs réservent à une prétendue élite. C’est de cette modernité là qu’il s’agit, et non de la modernité dont vous parlez. Car, ainsi que vous le faites, vous êtes comme M. Jourdain, faisant en quelque sorte de la postmodernité sans le savoir .
– Il n’y a de repli identitaire qu’en apparence; il y a, en fait, une envie contrariée de l’altérité et de l’universel que les esprits bornés régissant le monde actuel contrarient, ce qui donne cette apparence de repli. Ce n’est donc un repli et du communautarisme que pour qui voit les choses à la surface. Vous n’êtes pas sociologue, cela se voit; on ne peut pas parler des faits sociaux en juriste, par exemple, sauf à faire de la sociologie du droit, ce que vous ne faites même pas !
Vous savez quoi? Vous illustrez de la plus parfaite manière l’esprit dogmatique que vous critiquez, cet esprit où a versé la Modernité et qui l’a tuée. Quand vous vous serez documenté sur ce que vous évoquez pompeusement sans preuve crédible, vous me retrouverez à votre écoute.
Je terminerai juste avec cet extrait de la préface d’un des livres que je vous ai conseillé de lire et de nature à décrasser votre esprit; il s’agit de l’Introduction à la mythodologie. Mythes et sociétés de Gilbert Durand. Michel Cazenave, qui avoue avoir pensé de travers, un peu à votre manière, dit ce qu’il est advenu de lui après la lecture de Durand. Je suis sûr qu’après la lecture de la nourriture spirituelle que je vous ai indiquée, c’est vous qui parleriez ainsi : “Éduqué et formé, en effet, selon les canons d’un positivisme assez strict, aux lumières d’une raison qui ne voulait rien admettre d’autre que son territoire balisé où veillaient les dragons universitaires (et ne pas admettre, surtout, qu’il y avait d’autres raisons — dont les raisons, à tout prendre, étaient tout aussi légitimes), j’étouffais à demi, pour ne pas dire tout à fait, dans une atmosphère de pensée où l’on condescendait tout de même à reconnaître qu’il y avait, dans l’histoire de la culture, de bien étranges curiosa — comme les mystères égyptiens, les religions à sauveurs, le baquet de Mesmer ou le rêve éveillé du grand romantisme allemand : ces phénomènes, peut-on dire, étaient tellement massifs qu’on ne pouvait quand même pas les ignorer, mais on les récupérait aussitôt, selon des techniques éprouvées, en les réduisant férocement, soit à leurs conditions “objectives” d’apparition dans leur contexte économique et social, soit à leur nature supposée d’excroissance en forme de fanatisme que permettait encore, à leur époque, l’inachèvement de l’histoire d’une raison dialectique en train de s’instaurer.”
Je vous laisse finir de lire en vous souhaitant de connaître la joie intellectuelle de découvrir ce livre et son auteur. Vous ne m’en remercierez jamais assez, je peux vous le certifier.
Ultime cadeau : si vous êtes de passage à Paris, je vous conseille l’excellente exposition sur le romantisme au musée d’Orsay, et ce jusqu’au 9 juin. Vous le savez sans doute, le romantisme est bien plus qu’un mouvement artistique, il a marqué la bascule d’un paradigme à un autre, annonçant la postmodernité en ayant commencé la critique de la raison, privilégiant l’émotion et la sensibilité. Et vous n’êtes pas sans savoir, non plus, que nous sommes dans l’ère des foules et des sens débridés, l’âge des communions émotionnelles, de l’homo eroticus, selon Maffesoli.
Le reste, vous l’apprendrez en vous documentant tout seul comme un grand que vous êtes.
D’ici là, je vous dis adieu, au lieu de perdre du temps à une discussion que vous semblez, pour l’instant, vouloir oiseuse. À perdre du temps, je préfère le consacrer à quelque chose d’utile, car je reste un ignorant qui cherche toujours à apprendre. Or, vous le savez certainement, nul vrai savant n’osera même prétendre savoir, ou alors il est ce prétendu savant d’un temps de la Modernité qui brille comme une étoile lointaine, mais bien éteinte depuis si longtemps.
Amicalement vôtre !
[…] [4] Cf. mon article : Dites bonjour à l’i-slam en Tunisie ! […]
[…] لقد أعلنت نشأته على موقع نواة : Dites bonjour à l’i-slam en Tunisie ! http://nawaat.org/portail/2013/02/27/dites-bonjour-a-li-slam-en-tunisie/ […]