L’amphithéâtre où je pénètre en m’aidant d’une canne me semble triste. Des banderoles aux couleurs du drapeau tunisien sont visibles partout. Du regard je lis furtivement « Nous sommes contre les châtiments corporels sur les places publiques », ou bien encore « 10 ans de désordres, ça suffit»,une autre me saisit « Nous demandons un service minimum dans les hôpitaux pendant les heures de prière » enfin juste dans l’axe de mon regard « Pourquoi cette nouvelle loi interdisant aux femmes de circuler en rues non accompagnées ».
Mon Dieu, me dis-je, où étais-je pendant toutes ces années ? Ma mémoire n’aurait donc pas enregistré tous ces événements majeurs ? Je jette un regard circulaire pour prendre la température de la salle et me dirige vers ce qui ressemble à une estrade. Apparemment je suis l’orateur principal. Je ne sais même pas comment je suis arrivé là. Encore un trou de mémoire.
Je m’assieds sur la chaise qu’un homme tire en mon honneur. Je reconnais en lui mon Doyen. Je plonge ma main instinctivement dans la poche de ma veste avec le secret espoir d’y trouver un brouillon de discours. Ouf je suis sauvé.
Je déplie une feuille de papier sur laquelle je découvre la carte du monde arabe. Sur chacun des pays qui le compose il y a un ou deux noms manuscrits. Sur la Tunisie, je lis Tahar Haddad (1 930), Habib Bourguiba (1 934). Sur l’Egypte Rifa el Tahtaoui (1 830 – Paris) – Gamal Eddine Al Afghani (1 850), Nasser (1 952).
Soudain je suis interrompu dans ma lecture par le bruit d’une agitation qui m’oblige à lever la tête. J’aperçois des dizaines de jeunes gens la plupart barbus, drapeaux noirs en main, qui font irruption dans l’amphithéâtre en criant « Allahou Akbar », « Allahou Akbar », en saccageant tout sur leur passage et en déchirant le drapeau national. Rapidement ils se rendent maîtres de la salle.
Je sens aussitôt une main se poser sur la mienne qui semble m’inviter à quitter précipitamment les lieux par une porte dérobée. Je reprends ma canne avec difficulté et je suis la silhouette comme un automate.
– Merci monsieur, lui dis-je, en accélérant mes pas à la vitesse que commandent mes quatre vingts ans, sans même savoir s’il s’agit d’un homme ou d’une femme.
– Viens avec moi Khémaïs, me répond la voix qui s’avère être masculine et qui me semble familière. Tu ne me reconnais pas ?
J’ajuste mes lunettes, m’attarde sur le visage de mon secouriste et découvre en lui sans aucune hésitation Youssef Seddik, un ami d’enfance et surtout philosophe tunisien bien connu de sa génération. Il a joué un rôle majeur dans son domaine avant et après la révolution tunisienne.
Malgré que nous nous soyons perdus de vue pendant plus de 50 ans, nous sommes restés néanmoins en contact via les moyens modernes de communications.
C’est d’ailleurs grâce à ces nouvelles technologies que je le reconnais malgré cette longue séparation. Il apparaît souvent en vidéo sur des sites internet qui reprennent et rediffusent ses conférences ou ses émissions à la télévision.
J’ai encore en mémoire son excellente intervention lors d’un débat suite à une manifestation sanglante devant l’ambassade américaine au Lac, près de Tunis le vendredi 14 septembre 2012.
Ensemble nous traversons un petit chemin qui conduit à un plateau rocheux. En nous approchant je découvre une sorte de temple antique qui me fait penser aussitôt à l’Acropole d’Athènes si j’en juge par son architecture.
Adossées à ses colonnes, plusieurs personnes d’un âge avancé, toutes portent une barbe épaisse mais bien taillée qui inspire sagesse et respect. Leurs habits sont propres et colorés. Ce sont des hommes qui discutent paisiblement sans se soucier de notre arrivée.
Je demande à Youssef Seddik :
– Tu les connais ?
– Pas tous. Tu vois la 4e colonne à partir de ta gauche, me demande-t-il à son tour ?
– Attend, je compte, lui dis-je. Oui, il y a deux sages qui semblent être en désaccord.
– Eh bien celui qui est debout devant cette colonne, c’est Socrate et ceux qui lui font face ce sont Platon, Sénèque et Marc Aurèle.
– Et les deux autres qui me paraissent se disputer fortement, juste à droite de la même colonne ?
– Le plus grand de taille c’est Plutarque visiblement en colère contre Epicure.
Brusquement Youssef Seddik interrompt ce cours de philosophie auquel je commence à prendre plaisir, me lâche la main et se dirige à l’intérieur de l’Acropole. Je cligne des yeux et fonce mes sourcils pour améliorer ma vue et vérifier si mes maigres connaissances me permettent encore de reconnaître certains de ces personnages illustres.
Je distingue, quand même, assis en tailleur Al Farabi et Avicenne faisant face à Aristote et Maimonide, en grande discussion académique. Pendant que je m’amuse ainsi à voir tous ces philosophes de différentes époques réunis là, devant moi, je tente en même temps par curiosité intellectuelle de suivre du regard les pas de Si Youssef.
Lequel d’entre ces philosophes qui ont enrichi 2 500 ans de l’histoire de l’humanité serait l’ami de mon ami ? Je le vois saluer un à un les membres d’un groupe dont je reconnais Nietzsche et Heidegger sans s’attarder sur aucun d’entre eux.
Il échange quelques salutations avec Pythagore en compagnie de Rhazes et Averroes mais se dirige en arborant un large sourire vers Baruch Spinoza en conversation avec Al Ghazali et Descartes.
Je cherche à lui trouver un point commun avec tous ses confrères. Comme Al Farabi, Youssef Seddik me semble doté d’une âme religieuse éloignée de tout fanatisme. Comme Plutarque, il nous parle des choses divines avec simplicité et met les sujets les plus compliqués à comprendre à la portée du grand public.
Son style d’écriture, le ton qu’il adopte, les mots qu’il choisit donnent une forme vivante à ses livres et à ses dialogues et les anecdotes qu’il nous rapporte font de ses chroniques non pas un pensum mais presque un divertissement.
Je n’ai pas fini mes comparaisons quand je le vois revenir sur ses pas pour parler avec Socrate qui vient de quitter Platon comme par lassitude. Soudain et sans raison apparente Youssef se met à courir droit devant lui.
Il escalade un chemin qui conduit vers une colline. En même temps j’entends une sorte de rumeur menaçante venant de la vallée. Je presse le pas et le suis pour ne pas le laisser seul face à un éventuel danger. La foule que je découvre est la même que celle qui avait envahi et saccagé l’amphithéâtre où je devais prendre la parole le 14 janvier 2021, pour célébrer le 10e anniversaire de la révolution tunisienne.
La masse humaine crie à tue-tête « Allahou Akbar », « Allahou Akbar ». Elle est déchaînée de colère et de détermination, menaçante. Du sang jaillit sur son passage et ceux qui essayent de ralentir son avance sont piétinés ou décapités au fil de l’épée. Saisi de peur et de crainte je cherche mon ami Youssef.
C’est alors que j’aperçois les gens qui forment la tête des manifestants se diriger en toute insouciance vers ce qui semble être un précipice. En même temps je vois et j’entends Youssef, debout sur un rocher, leur faire des grands signes de la main pour les avertir du danger mortel qui les attend en criant de toutes ses forces.
Sa position sur ce qui s’avère être une falaise lui permet de voir ce que les manifestants ne peuvent distinguer clairement car ils viennent d’en contrebas. Cependant ceux qui les enflamment par leur harangue sont juchés sur des véhicules et aperçoivent les mains de Youssef s’agiter dans leur direction mais c’est le dernier de leur souci.
Enivrés par leur pouvoir sur ces pauvres gens et soucieux avant tout de garder leur place confortable sur leurs engins de parade ils n’ont de regard que pour ceux qui les applaudissent alors que la tragédie se déroule sous leurs yeux.
L’écho des cris désespérés de Youssef est parvenu maintenant jusqu’à l’Acropole où plusieurs sages quittent le sanctuaire et pressent le pas pour venir à notre rencontre. Déjà mon ami lève ses mains vers le ciel en signe d’impuissance et je lis sur les visages de tout cet aréopage de savants toute la détresse du monde. Ni les sages paroles d’Alfarabi ni l’accolade d’Al Ghazali ne semblent suffire à consoler mon ami.
Voyant Si Youssef effondré je m’approche de sa position et lui prends fermement la main pour l’aider à se ressaisir et à descendre de la falaise sous le regard attendri d’Al Ghazali et de ses compagnons.
En même temps quelqu’un derrière moi me secoue légèrement l’épaule et je me réveille chez moi à Bruxelles. C’est Moune, mon épouse, qui vient me réveiller pour aller à ma conférence à l’Institut.
Le débat d’hier et surtout la dernière phrase de Youssef Seddik avaient provoqué probablement ce rêve. Youssef avait conclu par une mise en garde lourde de sens : « J’espère me tromper ». C’était donc un rêve et nous ne sommes pas le 14 janvier 2021 ni dans l’antiquité.
Une joie immense m’envahit, une sorte de sensation agréable comme si j’avais découvert pendant mon sommeil quelque chose de précieux qui va nous éviter un grand désastre. Mon premier mouvement fut de me diriger vers le calendrier pour vérifier la date et lire avec délectation: samedi 15 septembre 2012.
La lecture de cette date est une deuxième naissance pour moi. Tout donc peut-être évité me dis-je et nous n’avons même pas encore célébré le 2e anniversaire de cette révolution. Al Hamdou Lilleh.
Nous disposons tous de toute une nouvelle vie ou presque pour joindre nos signaux d’avertissement à ceux de Youssef Seddik, d’Al Farabi ou d’Al Ghazali. Nous disposons d’un trésor de plus de 2 500 ans de sagesse et du Coran en prime pour nous ressaisir et retrousser nos manches pour mieux voir et mieux prévoir notre avenir et celui de notre pays. Chacun pourra dès lors apporter sa petite pierre pour la construction d’une nouvelle Tunisie.
Pour ma part, il me faut d’abord retrouver mon élan du 14 janvier 2011 quand avec mon fils Karim on a bravé la police de Ben Ali pour réclamer la liberté et la dignité devant le ministère de l’intérieur sans savoir que nous vivions à ce moment-là un jour historique pour la Tunisie. On en est sorti plus fiers, plus patriotes que jamais.
Ce jour-là nous n’avions pas entendu un seul slogan sur l’identité arabe et musulmane du peuple tunisien et pour cause, il n’y avait aucune raison de les réclamer.
Nous les avons et elles sont dans nos veines depuis plus de quatorze siècles. Nous manifestions uniquement contre la dictature et pour ce que nous n’avions pas c’est-à-dire la liberté, la dignité et du travail pour nos jeunes.
Sur le chemin de l’Institut, je me dis que je devrais sensibiliser mes étudiants à s’intéresser à l’œuvre de Youssef Seddik. Ils peuvent être mis à contribution pour faire connaître davantage ce philosophe au monde contemporain et aussi établir les comparaisons que je n’ai pas su faire ni développer entre lui et les autres sages dans mon rêve de cette nuit.
L’amphithéâtre où je pénètre est calme et serein. Aucun drapeau ni banderoles. Je m’assieds comme à mon habitude derrière mon pupitre. Je plonge ma main dans la poche de ma veste à la recherche de mon aide-mémoire.
Je déplie ma feuille sur laquelle j’ai noté les titres des Œuvres de Youssef Seddik et je décide de mettre ma promesse de ce matin à exécution. Je tapote sur le micro pour tester le son puis je me lance :
Mesdemoiselles, Mesdames, Messieurs, chers amis,
J’avais préparé soigneusement mon intervention sur le rôle du traducteur dans la transmission du savoir mais voilà qu’un rêve auquel j’attache beaucoup d’importance est venu bouleverser mon projet et me conduit par une force intérieure irrépressible à vous parler plutôt de philosophie et d’un philosophe tunisien plus particulièrement dont j’espère voir certains d’entre vous le prendre pour leur thèse.
Khémaïs GHARBI
Professeur à la Haute Ecole Francisco Ferrer (3ème cycle)
Bruxelles, le 15 septembre 2012.
On dit que la sagesse vient avec l’âge. Ceci n’a pas toujours été le cas en Tunisie. Je me rappelle un vieux dictateur fasciste, sénile et criminel qui croyait dur comme fer que le peuple devait être mené à la cravache. Comme un chef de bande il avait ses tueurs à gage qu’il envoyait jusque dans des pays lointains liquider ses adversaires. En Tunisie même il avait érigé des centres de torture bien équipés où ses hommes de main après avoir torturé les victimes qu’ils leur désignait se chargeaient de les égorger avec un couteau de boucher pour ensuite les dépecer en quartiers comme on fait avec un boeuf ou un mouton dans un abattoir. Ce criminel reste encore vénéré dans notre pays où chaque ville affiche son nom dans sa rue principale. En ce qui le concerne le vieil adage de “crime et châtiment”, n’a jamais été appliqué. Les temps ayant changé, j’ai pensé que ces images d’horreur et de cauchemar avaient été enterrées avec lui. Les tentatives pour réhabiliter ce vieux criminel par un des ses anciens sbires qui a déjà un pied dans la tombe m’ont paru tout au plus pathétiques. L’avenir de la Tunisie n’est pas dans un tel passé mais dans l’espoir. Mais tout à coup je me suis senti désorienté en lisant les élucubrations de l’auteur ci-dessus. Quelle mouche a piqué ce monsieur qui se dit en âge avancé et qui serait chargé d’enseigner la philosophie pour divaguer de la sorte? “Oh âge, ôh vieillesse ennemie!” a écrit Corneille. Mais a-t-on le droit de confier l’enseignement de la philosophie à quelqu’un qui voit l’avenir en images d’apocalypse? Quelle est cette pédagogie qui consiste à agresser le lecteur avec pareil choix de mots offensifs, de phrases et de scènes stigmatisantes pour notre pays? Même s’il s’agit d’un rêve il aurait pu garder ses fantasmes pour lui. Ne suffit-il pas ce qu’on a dû encaisser les derniers temps avec cet infâme film d’un Copte frustré puis de cet opportuniste de Charb? À cela est venue s’ajouter cette dernière infamie du pied-noir François Coppé, un autre opportuniste avide d’obtenir la présidence de l’UMP. Pour jeter de l’huile sur le feu du racisme il a fait savoir qu’il est devenu le champion des victimes du racisme anti-blanc qui sévit dans les banlieues. On n’a pas besoin de dessin pour comprendre. Tout le monde sait qu’en France les jeunes blancs qui s’appellent Jean-Pierre, François, Nicolas ou Jacques et qui téléphonent pour un emploi sont refusés d’office. Mais voilà, ils ont maintenant un champion qui, il faut le dire, est au-dessus de tout soupçon de racisme, car ce juif pratiquant d’après sa fiche, n’est-t-il pas marié à une algérienne musulmane, Nadia Hamama? Mais revenons à Khemaïs Gharbi. J’ose affirmer que même lorsqu’il était petit garçon il n’y avait pas en Tunisie de loi interdisant aux femmes de circuler non accompagnées dans la rue. Ses divagations n’ont donc aucun fondement de vérité faisant craindre un retour en arrière. S’agit-il peut-être d’un fantasme à la suite d’une soirée un peu trop arrosée pour quelqu’un qui ne peut plus tenir le coup? Ou veut-il par jalousie prouver à Charlie Hebdo qu’il peut aller encore plus loin dans la provocation avec ces morceaux d’anthologie: “Jeunes gens pour la plupart barbus criant Allahou Akbar, Allahou Akbar”? “Des jeunes gens saccageant tout sur leur passage et déchirant le drapeau national”. “Manifestation sanglante devant l’ambassade américaine”. “La masse humaine crie à tue-tête Allahou Akbar, Allahou Akbar”. “Elle est déchaînée de colère et de détermination, menaçante. Du sang jaillit sur son passage et ceux qui essayent de ralentir son avance sont piétinés ou décapités au fil de l’épée”. Mais sommes-nous en Tunisie ou sur France24? Est-ce l’image que la Tunisie offre à ses visiteurs? Dans les pays civilisés comme celui où Khemaïs Gharbi réside les médias ont un sens de la déontologie et s’interdisent de publier des images trop choquantes pour ne pas émousser la sensibilité du public qui risque de devenir blasé. Encore une fois: Comment est-il possible qu’un prof qui enseigne la philosophie soit tellement dénué de bon sens et de sens pédagogique? Comme consolation je ne peux que dire: Heureusement que ce n’est pas en Tunisie qu’il enseigne. Mais je me demande aussi comment les Belges qui souvent se plaignent des blagues peu flatteuses pour leur intelligence s’accomodent de ce prof et le laissent enseigner la philosophie chez eux. Je ne peux donc que conclure par une blague sur les Belges: “Comment reconnaît-on un Belge dans un sous-marin? C’est le seul qui porte sur lui un parachute.”
@FETHI, bonjour,
vous avez oublié le “service minimum pendant les heures de prière” et les 50 ans de contacte par le biais des moyens de comm modernes .
Ha, ha, ha. Elle est bien bonne cette blague Belge. Trés fine. MDR. Bref, si je vous ai bien compris cher Fathi, vous avez une dent contre Bourguiba; aucun espoir de vous voir chez “Nida Tounis”; si nous avons des problèmes c’est la faute des racistes de France (juifs de surplus), et tout va trés bien dans notre chère Tunisie. Mais vous revez ou quoi?
Votre talent de caricaturiste m’a bien fait rire. Les occasions se font rares. Donc grand merci.
Si la Tunisie a su changer le 14 janvier, elle le doit beaucoup à Bourguiba qui a ouvert les yeux aux tunisiens. Le grand héritage qu’il nous a légué, c’est l’éducation et c’est incontestable.
C’était l’homme qu’il fallait pour la Tunisie après l’indépendance.
Non monsieur GHARBI vous ne rêvez pas. Les épées sont brandis et utilisées en Tunisie depuis l’arrivée au pouvoir d’Ennahdha et même dans notre faculté. Lisez le communiqué d’aujourd’hui. Voici le début pour votre facilité. TUNIS, 4 oct 2012 (AFP) – Le conseil scientifique de la faculté 9 Avril à Tunis a indiqué jeudi suspendre les cours durant trois jours à la suite de violences ayant opposé la veille des étudiants proche des islamistes au pouvoir en Tunisie et des militants du syndicat estudiantin UGET. Lisez aussi le vocabulaire du sieur Fathi pour vous rendre compte de son niveau “torturé les victimes qu’ils leur désignait se chargeaient de les égorger avec un couteau de boucher pour ensuite les dépecer en quartiers comme on fait avec un boeuf ou un mouton dans un abattoir”
“Le conseil scientifique a décidé la fermeture de la faculté à la suite des violences survenues mercredi dans l’enceinte de l’université”, a indiqué la faculté à l’AFP.
“Des étudiants de l’Union générale des étudiants tunisiens (UGET) se sont opposés à un groupe d’étudiants nahdaouis (appartenant au parti islamiste Ennahda, ndlr). Ces altercations ont vite dégénéré”, a indiqué le doyen de cette faculté Noureddine Kridiss au quotidien La Presse.
“Une trentaine d’éléments étrangers à l’établissement, armés de gourdins, de couteaux et d’épées, sont venus en renfort au deuxième groupe d’étudiants”, a-t-il ajouté.
Bravo plutôt monsieur le Professeur pour votre rêve qui est notre cauchemar quotidien maintenant. Il a été publié d’ailleurs dans le quotidien la Presse de Tunis. Heureusement ce ne sera jamais le cas du texte de boucherie et des abattoirs du sieur anonyme Fathi.
Je ne vais pas discuter avec vous. Je me contente de vous renvoyer au journal La Presse du samedi 30 avril 2011 où vous pourrez lire ce passage sur le Bourguibisme dès l’indépendance de la Tunisie en 1956. Je vous rappellerai aussi que cet article qui se réfère au livre de Béchir Turki “Ben Ali le ripou” a été publié alors que l’ancien chef de la Gestapo de Bourguiba, Béji Caïd Essebsi pour ne pas le nommer, était premier ministre intérimaire. Lisez et ne vous en prenez pas à moi car l’article est signé Samira Dami. Encore une chose que je vais ajouter et qui n’est pas de moi non plus, est le vieux proverbe tunisien: Al jahel moussiba. Avec mes respects.
“L’activité des vigiles est ultrasecrète. Elle est centralisée dans un vieux local, labytrinthe de galeries et de couloirs, de trappes, de puits et de caves, situé rue de l’Obscurité ou «Sabatt Edhlam», dans la Médina de Tunis. On y accède par le boulevard Bab- Benat, via rue Bir Lahjar. Ce local est en fait un lugubre traquenard. Il attend et accueille ses proies dans le noir, l’obscurité effrayante et le silence angoissant. On ne peut mieux choisir pour abriter des chambres de torture. De ce quartier général (Q.G.) sinistre et macabre où les «visiteurs» sont pratiquement happés, on ne sort jamais. Le trébuchet se referme impitoyablement. Parfois le voisinage entend des hurlements inhumains de douleur et des cris atroces de frayeur. Parfois des âniers font sortir de ce lieu sinistre de gros sacs maculés de sang qu’ils chargent sur leur âne. Quand j’ai mené mon enquête, en 2004, des riverains, encore en vie, de «Sabatt Edhlam», ont apporté leur témoignage, remontant le temps, se remémorant et confirmant, d’un air impressionné, malgré le passage des années, «les cris et hurlements» ainsi que la présence d’âniers chargeant des sacs maculés de sang. Dans ce «centre» de torture officiaient les «maillons» de la chaîne : le pourvoyeur, qui envoie les victimes soupçonnés être des Youssefistes dans ces centres de la mort, en leur faisant croire qu’ils y trouveront de l’aide et du travail, l’assistant qui accueille l’envoyé et enfin l’égorgeur qui faisait le sale boulot.
Pour faire disparaître les corps, on les plongeait dans un bain d’acide. Faute d’acide, on se servait d’ânes pour transporter les sacs contenant les corps des exécutés découpés en morceaux.
Une autre espèce de tueurs agissant en groupe ou en solitaire ratissent le pays et éliminent tout opposant préalablement désigné. Le coup de main est furtif et ne laisse aucune trace, aucun indice.
Il y a même plus étonnant : Bourguiba avait ordonné, à plusieurs reprises, à l’Armée tunisienne — à peine née — de combattre les Youssefistes et autres rebelles réfugiés dans les montagnes du Nord et du Nord-Ouest du pays.
Pire est cette demande de Bourguiba à l’autorité française, peu après l’indépendance du pays, pour que l’armée d’occupation, encore présente dans le pays, l’aide à exterminer les partisans de Ben Youssef terrés dans les djebels du Sud. Le Haut commissaire de France acquiesce. Il utilise, pour répondre au vœu de Bourguiba, les unités du 8e Régiment des tirailleurs appuyés par l’aviation et l’artillerie.
Le Bey ayant eu vent de cette affaire protesta auprès du Haut commissaire de France, ce qui n’a pas, du tout, été apprécié par Bourguiba qui tenta de renverser la situation en sa faveur en accusant le Bey de vouloir garder la sécurité du pays sous tutelle de la France. Pour ce, il demanda à Tahar Ben Ammar un témoignage écrit qui le blanchirait de toute accointance avec la France, mais celui-ci refusa net. Ce sera là l’origine de la vindicte du leader à la fois contre le Bey et contre le signataire du protocole d’accord de l’indépendance.
Ce sont là les faits cruels et les péripéties douloureuses de l’histoire de la torture et de l’élimination physique dont ont souffert les martyrs de la décolonisation du temps de la résistance contre le colonisateur et les Youssefistes dès l’autonomie interne de la Tunisie. La torture fut ensuite érigée en système aussi bien sous Bourguiba que sous Ben Ali”.
Je pourrais aussi vous conseiller de lire le professeur Amira Aleya Sghaier, l’historien spécialisé dans l’histoire du mouvement national tunisien qui affirme que malgré la répression coloniale française qui souvent a coûté la vie à des nationalistes tunisien, pas un seul tunisien n’est mort sous la torture pendant la période coloniale qui a duré 80 ans. Cela a commencé avec Bourguiba. Vous pouvez aussi consulter sur ce site de Nawaat l’interview de l’ancien psychologue de la police Yosri Dali. Il y décrit les modalités du viol telles que Bourguiba les a conçues et introduites pour réprimer l’opposition. Dans les cellules les opposants politiques étaient violés par des officiers de police sous les yeux de leurs femmes et les femmes étaient violées sous les yeux de leurs maris. L’ancien opposant Ahmed Manaï, expert des Nations Unies, raconte dans son livre «Le supplice tunisien» comment pendant son interrogatoire les flics l’ont menacé de violer sa femme et ses enfants sous ses yeux. A-t-on idée combien de fois cette menace a été mise à éxécution?
Je clos également cet échange car il y a autant de contre-vérités dans votre texte que de lignes qui le composent. Les livres que vous citez sont publiés à la demande sinon à l’instigation d’Ennahdha après la révolution pour ternir le régime de Bourguiba. Heureusement cela n’a pas marché. Voyez comme la majorité du peuple tunisien met aujourd’hui tous ses espoirs dans le retour de BCE au pouvoir sans parler de ceux aussi nombreux qui souffrent de voir la Tunisie de Bourguiba, moderne et rayonnante sombrer dans la décadence. La description que vous faites est révoltante et une si belle plume devrait se consacrer à aider à la construction qu’à la propagation de mensonges et à la destruction. Venez à la fac cette semaine (Al Manar) je vous montrerai le niveau que nous avons atteint à tout point de vue. Venez voir les épées en action et la liberté violée et des étudiantes contraintes de baisser la tête et de longer les murs. Fin de cet échange.
Je n’avais nullement l’intention de revenir sur le sujet mais j’ai été si profondément touché par votre haute intégrité intellectuelle que je me suis senti moralement obligé de vous offrir une autre occasion de déceler des contre-vérités. Comme la fois précédente j’ai bien pris soin d’en mettre quelques unes dans chaque ligne que j’ai tracée. Je saisis aussi cette occasion pour condamner le plus fermement possible Ennahdha qui a commandité à un de ses ennemis jurés, Béchir Turki, d’écrire après la révolution un livre dénigrant l’homme-miracle de la Tunisie. Des millions de Tunisiens ont été gratifiés de l’ultime bonheur d’avoir vécu l’Age d’Or sous Bourguiba et sa Gestapo. Entre autres Béchir Turki qui a terminé son livre le 31 décembre 2010 comme il l’affirme dans sa préface. Lucky Luke est célèbre pour dégainer plus vite que son ombre mais en écriture Béchir Turki est encore plus rapide que lui. Celui qui par contre est lent à réagir, est Si Béji, l’ancien chef de la Gestapo de Bourguiba qui en tant que premier ministre par intérim, aurait dû poursuivre l’auteur pour diffamation. Je ne comprends pas non plus comment il a pu permettre à La Presse qui en ces jours-là était encore servilement inféodée au gouvernement de publier des extraits du livre blasphématoire. Heureusement que Si Béji a rapporté dans son livre sur Bourguiba, publié n 2009, des témoignages attestant de sa grandeur et de sa grande sensibilité surtout lorsqu’il s’agit de la dignité des femmes. En page 394 on peut lire le récit d’une promenade du Comabattant Suprême dans la campagne désolée de Aïn Drahame. Si Béji l’accompagnait ainsi qu’un nombre de gorilles et de hauts dignitaires. Je cite: “Nous étions déjà en rase campagne lorsqu’une bédouine nous coupe la route en criant: ‘Monsieur le Président’. Rapidement ceinturée par les agents de sécurité, elle fut aussitôt libérée sur ordre du Président. ‘Qu’y -a-t-il?’ lui demande-t-il. ‘Je suis pauvre monsieur le Président. Les temps sont durs. Je n’arrive pas à subvenir aux besoins de ma famille. Aidez-moi.’ Le Président se tourne vers le délégué: ‘As-tu de l’argent sur toi?’. Le délégué sort de sa poche 5 billets de 1 dinar. Le président en prend 3 et les tend à la femme. Elle lui rend l’argent d’un geste brusque. ‘Non! Non! 3 dinars? Un Président ne fait pas un don de 3 dinars. Que puis-je acheter avec 3 dinars?’ Interloqué par tant d’audace et d’arrogance, il gifle la femme en la traitant d’impertinente. ‘Est-ce qu’on s’adresse ainsi au Président de la République qui vous a libérés du joug colonial?’. Les policiers éloignent la malheureuse et m’interrogent du regard. Je leur fais signe de la relâcher dès que le cortège du Président se sera éloigné”. Ici, je suis vraiment touché par la magnanimité du chef de la Gestapo. Sous Hitler il l’aurait envoyée au four crématoire. Je souligne aussi que Si Béji, en tant qu’avocat rompu aux joutes oratoires a plus tard défendu la femme devant le Libérateur Suprême de la gent féminine. “C’est une femme rustre et inculte qui n’a pas de manières et n’est pas consciente de tous les changements intervenus ces dernières années. Il est vrai que 3 dinars ne sauraient améliorer sa situation: un litre d’huile et un kilo de semoule, tout au plus.” Ah! Comme il était beau l’Age d’Or!
Une autre description de l’Age d’Or que je vous offre est extraite du livre du colonel Azzeddine Azzouz, grand résistant Tunisien décédé en 1983, donc bien avant qu’Ennahdha arrive au pouvoir. Ce livre est son témoignage sur la Tunisie pendant les années 1938-1969. Il a pu être publié en 1988 après la destitution de Bourguiba. Voici comment il décrit l’Age d’Or tunisien sous le Combattant Suprême: “Il suffit d’être le protégé de monsieur X ou de madame Y pour accéder aux plus hautes fonctions, pour bénéficier des avancements les plus rapides, pour obtenir les licences d’importation les plus recherchées, pour disposer du maximum de devises étrangères de la Banque Centrale et même pour faire passer des « valises intouchables » par la douane. Tous les membres des familles Bourguiba, Ben Ammar, Bouzgarrou, Caïd-Essebsi, Ben Salah, Ladgham, Nouira, etc., étaient nantis et bien nantis. Tous ceux qui appartiennent aux cadres du Néo-Destour et ses organisations intitulées « nationales » jouissaient et jouissent toujours des plus larges facilités pour obtenir des prêts « non remboursables » afin de construire des petits palais ou des villas majestueuses dans les quartiers résidentiels de Tunis et autres grandes villes, et de somptueuses résidences estivales aux bords des plages à la mode.” En 1962 Béhi Ladgham qui ne portait pas Azzouz dans coer pour des raisons personnelles a profité du complot ourdi contre Bourguiba pour le faire arrêter. Azzouz n’était au courant de rien mais bien qu’il ne fût pas jugé, il a passé deux années à l’ombre avant d’être relâché. Voici comment il raconte son incarcération au ministère de l’intérieur, royaume de Béji Caïd Essebsi: “Je réalisai promptement que l’interrogatoire nocturne commençait… Je ne peux décrire ici ce que j’ai entendu ce soir-là : tortures, supplices, cris inhumains, coups de cravache, étouffements à l’eau, brûlures à la cigarette et à l’électricité, supplice de la bouteille, etc. Je ne pouvais en croire mes oreilles et m’imaginer vivre en plein vingtième siècle, dans une Tunisie moderne et indépendante sous la présidence de Bourguiba. Un policier de stature colossale fit irruption dans la pièce où j’étais, une cravache à la main et tout en sueur à force de frapper les détenus…
Même les policiers qui assuraient le service de nuit arboraient un air dégoûté et grinçaient des dents. L’un parmi eux, un vieux, remarqua : C’est une honte, on n’a jamais vu ça, même du temps du colonialisme français’. Il fut ensuite conduit en prison. “C’est dans la cellule numéro onze que je fus jeté un soir d’avril 1963: c’était l’une des cellules réservées aux condamnés à mort considérés comme très dangereux. Seul, désabusé, affamé, transi, le cœur gros, je me suis effondré sur mon matelas en crin, très mince, jeté à même le sol en ciment. De l’autre côté du mur, de la cellule numéro neuf, provenaient des cris rauques et des lamentations lugubres, suivis de silence. De temps en temps, cette voix haletante poussait des cris incompréhensibles”. Pour plus de détails consultez le livre qui est en vente libre à Tunis. Après deux ans passés pour rien dans des conditions abominables Azzouz a reçu une proposition: demander grâce à Bourguiba pour un crime qu’il n’a pas commis. Il a quand même obtempéré. Quelque temps après il fut convoqué au palais présidentiel pour remercier son bienfaiteur. Ce qu’il a fait dans une brève entrevue. Puis: “Bourguiba me reconduisit jusqu’à la porte de son cabinet, et me tendit la main à la manière de Lamine Bey pour le fameux baise-main. En ces circonstances pénibles et redoutables, j’ai exécuté cet «ordre» du président afin d’exprimer ma soumission…en attendant des jours meilleurs”.
Je voudrais aussi citer quelques extraits d’une lettre ouverte envoyée à Bourguiba par un autre nationaliste tunisie Ahmed Tlili qui après avoir encouru la disgâce a dû son salut à l’exil en France. En 1966 il écrit à Bourguiba: “« Depuis l’indépendance la police a plus que triplé pendant que la garde nationale a presque quintuplé en comparaison avec l’ex-gendarmerie française. Mais cet appareil ainsi que les dépenses qu’il occasionne pèse très lourdement sur le petit pays qu’est le nôtre. Actuellement tout citoyen, quel que soit son rang dans la société ou ses fonctions politiques, est étroitement surveillé par plusieurs polices qui s’affrontent dans une surenchère qui les oblige à inventer les renseignements. Les surveillances s’exercent de la façon la plus maladroite même dans les ministères sur les hommes politiques et sur les techniciens, dans les organisations nationales et même dans le Parti. A l’Université où les agents pullulent, on pousse le zèle jusqu’à charger les étudiants, dans la proportion de 1 sur 10, de se surveiller les uns les autres et d’épier les faits et gestes de leurs professeurs, ouvrant ainsi de tristes perspectives pour notre jeunesse montante.
La pratique de ces méthodes policières qui n’ont aucun rapport avec la défense et la sécurité nationales, s’exerce contre les nationaux même à l’étranger. La plus grande arme dans ce genre d’activité est le passeport. Le passeport est un droit constitutionnel dont bénéficie en principe chaque citoyen, il est souvent retiré ou refusé au gré des autorités administratives sur la base de faux renseignements fournis par les informateurs intéressés. C’est ainsi que les étudiants, parfois voués à une carrière brillante dont le pays peut être bénéficiaire, se voient privés de leur passeport et empêchés de terminer leurs études commencées à l’étranger. Sur simple présomption, ils se trouvent ainsi brisés. Les victimes peuvent aussi être des travailleurs qui perdent le gagne-pain de leurs familles à cause du retrait de leur passeport, à l’occasion du congé passé en Tunisie, parce qu’ils sont signalés comme n’étant pas orthodoxes par des agents sans scrupules.
Lors des élections des sections de l’Union Générale des Etudiants on truque les votes ou on intimide les jeunes électeurs, créant ainsi une atmosphère telle que les étudiants se trouvent acculés à se jeter aveuglément dans les mouvements extrémistes d’opposition les plus divers.
Des sommes considérables sont ainsi chaque année gaspillée sur les fonds des départements de l’Intérieur et des Affaires Etrangères au lieu d’être utilisées par les Ministères de l’Education Nationale et des Affaires Sociales à l’amélioration des conditions d’habitat des travailleurs et des étudiants ».
De France aussi vient le témoignage suivant: un reportage du Monde Diplomatique effectué en Tunisie et publié en décembre 1975. Les reporters dont l’un parle l’arabe sont emmenés en visite dans un centre de formation pour jeunes filles: “« L’atelier se compose de deux pièces étroites, séparées par une cour intérieure recouverte d’une véranda: à cinq heures de l’après-midi, la chaleur – une chaleur pleine de poussière de laine – est encore lourde et sèche. Une vingtaine de fillettes nous attendent; vêtues d’un corsage blanc et d’une jupe rouge,. Mais nous ne sommes pas dans une école, et les gamines (quelques-unes n’ont que sept ans) ne gardent pas les bras croisés: les unes cousent des chemises ou des tabliers, d’autres se penchent sur une broderie ou, assises sur un banc très bas, devant un métier, confectionnent un tapis.
– Quel âge as-tu ?
– Neuf ans. – Tu as fini l’école ?
– Je ne suis pas allée à l’école.
– Vous savez, intervient la monitrice, certains parents ont encore une mentalité rétrograde. Mais comme dans notre pays tout le monde est libre, on ne peut pas forcer les gens. La fillette Najet sourit. D’ironie? de tristesse ? de gentillesse, simplement?’Elle nous regarde, attentive.
– Tu travailles ici depuis combien de temps ?
– Deux ans.
– Qu’est-ce que tu dis? s’exclame la monitrice. Deux mois, voyons, tu es ici depuis deux mois. Tu entends ?
– C’est vrai, corrige la petite. Deux mois. J’ai oublié … Confuse d’avoir oublié … sa «leçon », Najet reprend son fil rouge, et baisse la tête.
Autour de nous, on s’agite, se coupe, se contredit et, oubliant, dans le feu de la discussion, que l’un de nous parle arabe. On nous découvre une réalité qu’un accueil « trop »gentil s’efforçait de camoufler: Najet et ses compagnes sont des apprenties, qui restent environ deux ans dans l’atelier. Au bout de quelques mois – huit à dix – elles sont aussi productives qu’une ouvrière confirmée; mais elles n’ont pas son statut, puisque, précisément, elles « apprennent». Elles ne reçoivent donc pas un salaire, mais une « aide» : 2 dinars 600 millimes par mois. Pour ce prix-là, elles travaillent huit heures par jour, et fabriquent des tapis que les services du développement rural revendent 150 ou 200 dinars. Au bout de deux ans, elles retournent chez elles. Il ne leur reste plus qu’à acheter de la laine, et continuer”. Les reporters vont aussi visiter des usines d’investisseurs étrangers. “Pas d’usines, qui permettraient, demain, d’en créer d’autres, mais des charpentes métalliques, démontables en vingt-quatre heures. Pas d’intégration économique. Les « usines» n’utilisent pas les produits locaux et ne se complètent pas, mais un système d’enclaves, assez comparables aux bases militaires de l’époque coloniale. Aucun transfert de technologie, puisque les opérations sont en majorité mécanisées. La loi d’avril 1972 ne permet pas le décollage industriel du pays”. Et: “En 1973-1974, quatre ans après l’abandon de la politique de socialisation, le pourcentage des enfants non scolarisés passe de 27,3 % à 37,4 %. Si l’on tient compte des quarante-neuf mille trois cent soixante-treize enfants renvoyés de la sixième année primaire en 1973-1974 (3,5 %), on constate que près de la moitié de la population est condamnée à demeurer analphabète.
La presse, contrôlée par le parti ou le ministère de l’information, et célébrant, chaque jour, le génie historique du Combattant suprême n’est diverse qu’en apparence: « l’Action », « le Temps» ou « Es-Sabah» ne sont que la version vulgarisée du « Journal officiel ». Des jeunes fondent-ils un hebdomadaire, « Tunis-Hebdo », qui s’exerce à la critique ou, pire, à la caricature, leur journal est suspendu; un an après, il reparaît: l’équipe a changé – et le ton aussi.
Mais qu’est-ce qui n’est pas interdit dans la Tunisie d’aujourd’hui ? Les libertés fondamentales ne sont pas respectées. Des étudiants se rencontrent-ils pour discuter de questions idéologiques, ils « complotent» contre l’Etat, et la police les arrête. Formule-t-on l’hypothèse, dans un écrit théorique, que la révolution est inséparable de la violence, on fait figure de terroriste, et la police, qui déjà cherche les armes, vous interpelle, en attendant que le tribunal vous emprisonne; un fonctionnaire reçoit-il, par la poste, un exemplaire d’El Amal Tounsi (« L’ouvrier tunisien »), que publient, à Paris, des opposants de gauche, et l’apporte-t-il à son supérieur par crainte d’être suspecté, il est arrêté, inculpé d’association de malfaiteurs et jeté en prison. Un étudiant exprime dans un tract l’opinion que « Thieu est une marionnette des Etats Unis »: poursuivi pour diffamation d’un chef d’Etat étranger et, par ricochet, du chef de l’Etat tunisien -puisque les présidents Thieu et Bourguiba sont amis, – et inculpé de diffusion de fausse nouvelle, il est condamné à six mois de prison pour chaque accusation – au total, dix¬huit mois. Etudiante, elle aussi, Neila ne fait pas de politique; elle prépare sagement sa licence de lettres, et son trousseau. Mais son frère vient d’être condamné: la jeune fille se voit confisquer son passeport à la frontière; elle attendra deux ans pour le récupérer». Les reporters n’oublient pas non plus de rapporter cette remarque succulente du Combattant Suprême qui se plaint littéralement de “mes gourbis où l’on se reproduit comme des lapins». Elles en ont de la chance les tunisiennes qui ont vécu cet Age d’Or de la dignité. Même Le Pen n’aurait pas utilisé des mots pareils. Je veux maintenant en finir en rapportant quelques extraits du rapport annuel de 1973 sur la Tunisie par Amnesty International. “La Tunisie, État à parti unique étroitement contrôlé par son président, Habib Bourguiba, a, semble-t-il, fréquemment employé la torture du moins depuis 1968. Ceci apparaît principalement dans le contexte des procès d’étudiants et d’intellectuels accusés de délits politiques pour leur opposition à Bourguiba et au Parti socialiste destourien (P.S.D.). Durant les procès, les avocats de la défense et les accusés ont allégué des faits de torture et Amnesty a reçu d’un certain nombre d’observateurs qui avaient interrogé des détenus remis en liberté, des récits sur les pratiques de torture. Les policiers se trouvaient tout simplement dans une situation où ils devaient rapporter à leurs supérieurs des faits, qu’ils soient vrais ou non. Amnesty reçut en 1968, 1969, 1972 et 1973 des récits cohérents et bien documentés sur les tortures, d’après lesquels il apparaît qu’en Tunisie, dans les affaires politiques, elles deviennent une pratique administrative. Parmi les preuves fournies à l’observateur d’Amnesty par des personnes qui furent en contact direct avec les prisonniers, il y a des récits de tortures physiques diverses y compris la fustigation de la plante des pieds et l’étouffement. En 1972 durant le procès de quarante et un professeurs d’université et d’étudiants accusés de délits politiques se trouvait un observateur d’Amnesty qui put collecter des récits de première main sur des tortures ayant eu lieu, dit-on, au début du printemps 1972 pendant que les détenus se trouvaient dans les commissariats. Des entretiens séparés avec deux anciens détenus donnèrent lieu à des récits très similaires. La tête recouverte d’une cagoule, ils furent tous les deux emmenés dans une villa située à l’extérieur de Tunis où six ou sept civils les torturèrent. Une femme fut plusieurs fois violée par des policiers pendant ses neuf jours de détention et un homme portait des marques de brûlures de cigarettes sur les mains et sur les épaules. Les derniers rapports en la possession d’Amnesty font état d’une recrudescence depuis un an et d’une nouvelle technique: les injections d’alcool iodé dans les testicules. Interviewé par un représentant d’Amnesty en septembre 1972, M. Mohamed Bellalouna, ministre de la Justice, ne démentit pas que la police tunisienne puisse pratiquer la torture. Il déclara qu’elle était aussi utilisée dans d’autres pays et que de toute façon la police n’était pas responsable devant lui”.
Je vous prie de bien vouloir affirmer en quelques mots la malveillance de ce que je viens de rapporter sur l’Age d’Or tunisien. De même je vous prie de remarquer que Ahmed Manaï, expert des Nations Unis est un menteur et le psychologue de la police Yosri Dali aussi. Je n’oublie pas non plus de vous féliciter du classement international des universités tunisiennes. La meilleure occupe quelque chose come la place 4500, bien loin derrière presque toutes les universités arabes, à part le Yemen. Donc derrière le Soudan, la Mauritanie et la Somalie. Encore une contre-vérité. Je vous salue.
Oh que c’est décevant. Toute cette énergie…. pour nous parler du passé, rien que du passé tout sur le passé. Par contre rien sur notre présent et encore moins sur notre avenir. Vous avez beau semer des tonnes de mauvaises graines contre la Tunisie de Bourguiba, vous ne récolterez que le vent qui aura sur son passage tout emporté. Le vent de l’Histoire en effet ne pardonne jamais.
L’écrasante majorité des Tunisiens est préoccupée aujourd’hui de son futur immédiat et que lui proposez-vous ? Des fouilles archéologiques dans les « canalisations » d’une époque révolue en refusant sciemment de regarder l’architecture de l’œuvre dans son ensemble, ses fondations, ses constructions et les centaines de milliers de personnes dont vous êtes qui savent aujourd’hui lire et écrire et se sentir fiers d’ête tunisiens.
Votre regard et votre effort restent figés uniquement sur les zones d’ombre de l’époque de Bourguiba. Vous êtes en plein dans l’erreur dans votre analyse et dans votre jugement. Chaque médaille a son revers, bien sûr, mais pour être juste il aurait fallu tourner cette médaille avant d’en apprécier la valeur. Votre focalisation sur une seule face vous a voilé… la face et vous n’avez plus regardé que ce que vous avez bien voulu regarder. C’est partial et désolant.
Si les égyptologues avaient fait comme vous et concentré leurs fouilles dans les égouts des pyramides ils auraient privé l’humanité tout entière de connaître les splendeurs de la momie de Toutonkamon et de ses dorures. Heureusement les historiens tunisiens et étrangers qui savent faire la part des choses portent un autre jugement sur cette époque, exceptés, je vous le concède, les Yousséfistes et les Zeitouniens opposés à la modernité et attachés à la Charia et au maintien des femmes au foyer.
Je note enfin que vous n’avez rien dit sur ce que vous pensez du salafisme et de l’intégrisme religieux d’Ennahdha ? Vous ne nous avez rien dit sur l’image abîmée de la Tunisie pour au moins une génération aux Etats-unis et dans le monde par ceux qui ont laissé scander le slogan désastreux pour notre pays « Obama, Obama ; nous sommes tous des Oussama ». Allez écouter les échanges entre les sénateurs américains dans les couloirs du congrès sur les musulmans en général et les Arabes en particulier après l’attaque de leur ambassade à Tunis et à Bengazi. Bonne chance pour réparer les dégâts.
Ayez, s’il vous plaît, la probité intellectuelle si vous aimez vraiment notre pays et je ne doute pas un instant de cela, de prendre demain matin le métro au centre-ville (Tunis) et dites-nous ce que vous pensez de la conduite quotidienne des barbus qui harcèlent « impunément » nos sœurs et nos filles sur leur tenue vestimentaire ? Cela sera du concret. Quittez « Brabbi » un instant le passé où vous vous êtes enfermé et venez vivre avec nous le temps présent. Le temps de nos malheurs petits et grands.
Venez partager les inquiétudes de nos étudiantes et de nos étudiants chaque jour depuis leur départ de la maison jusqu’à leur arrivée à l’université. Venez sentir leurs peurs dans leurs actes les plus bénins : en s’habillant, en marchant, en prenant les transports en commun, en s’arrêtant devant une vitrine, en échangeant un salut ou un sourire avec leurs camarades masculins. Venez lire sur leur visage – depuis le fameux viol à Aïn Zaghouan par des policiers – leur tremblement interne qui révèle leurs angoisses à la simple vue d’une voiture de la police et même lorsqu’elles la voient de loin. Ces peurs sont ressenties maintenant par la majorité de nos compatriotes. Tout un peuple qui vit dans la peur et dans l’angoisse. Le rêve ou plutôt le cauchemar de M. Gharbi est partagé par le plus grand nombre et n’importe quel passant dans la rue vous le confirmera. C’est ce qui a motivé mon intervention dans ce débat.
Ce sont des réponses à toutes ces peurs légitimes que mes étudiants attendent de ceux, qui jouent aux juges de l’époque de Bourguiba pour fuir la réalité et s’abstenir de dire la moindre critique sur Ennahdha et ses déboires. Pas une seule ligne dans votre texte (qui emprunte de longs passages à d’autres plumes) sur l’enfermement de tout un peuple dans des interprétations meurtrières de sa religion et de sa conception de la modernité.
L’emprisonnement, la torture ou la mort d’un seul opposant quel qu’il soit est un crime abominable et doit être dénoncé, condamné et combattu. Que dire lorsque cette chape de plomb tombe sur tout un peuple comme l’est le pauvre peuple tunisien actuellement.
Un vers d’un poète égyptien célèbre mort aujourd’hui dit : Tuer un homme dans une forêt est un crime impardonnable mais tuer tout un peuple est une question de dialectique ».
Pour conclure la Chine ne serait pas ce qu’elle est devenue aujourd’hui sans certaines zones d’ombre de son régime dictatorial, le Japon non plus et encore moins les Etats-Unis, temple de la liberté et première puissance mondiale qui ont laissé et laissent encore sur le revers de leur médaille bien de traces indélébiles de leurs injustices et de leur hégémonie. Je ne justifie rien, je constate pour l’équilibre de mon jugement et le vôtre.
Je vous salue également et avec amitié car après tout vous êtes mon compatriote.