En 2008, menés par des dirigeants syndicaux charismatiques, des milliers de mineurs au chômage de la région de Gafsa (au sud de la Tunisie) ont manifesté pendant sept mois de façon intermittente, réclamant la fin du népotisme, du sous-développement et de la pauvreté causés par la négligence du gouvernement. Pendant sept mois, la Tunisie a connu une mobilisation de masse sans précédent en 23 années de pouvoir ininterrompu du Président Zine El Abidine Ben Ali.
Mais, au lieu d’entendre ces appels à la justice et aux réformes, le gouvernement a réagi en arrêtant plus de 300 personnes, dont le journaliste Fahem Boukaddous, qui continue de languir dans la prison civile de Gafsa après sa condamnation à quatre ans d’emprisonnement pour avoir simplement rendu compte de la situation. L’indignation publique n’ayant montré aucun signe de fléchissement, le Président Ben Ali a fini par accorder une mise en liberté conditionnelle aux dirigeants syndicaux, dans un geste qualifié par la presse progouvernementale de « grande marque de générosité ». Ces libérations restent conditionnelles : un délit aussi banal qu’une infraction à la circulation routière pourrait ramener ces personnes en prison pour y purger le reste de leur peine.
Les autorités tunisiennes exercent un contrôle permanent sur les syndicats indépendants, qui subissent les mêmes brimades que n’importe quelle autre organisation de la société civile tunisienne exprimant des critiques : pressions et parfois passages à tabac. Il n’existe aucun syndicat indépendant en dehors de la Confédération syndicale nationale. Le seul syndicat qui à l’origine était indépendant, le Syndicat national des journalistes tunisiens, ne l’est pas resté longtemps. Début 2009, il a publié un rapport critique sur le contrôle omniprésent et souvent répressif exercé sur les médias par le gouvernement. Quelque temps après, les autorités ont manœuvré pour remplacer le comité de direction de ce syndicat par une nouvelle équipe favorable au gouvernement.
Comme dans toute dictature, le pluralisme politique, y compris sous la forme des syndicats, est perçu comme une menace. Officiellement, le gouvernement se borne à exiger de tout nouveau syndicat qu’il soumette ses statuts au gouverneur local. Les autorités sont tenues par la loi de délivrer un reçu. Dans la pratique, cependant, le gouvernement utilise cette exigence comme un moyen pour empêcher les groupes d’obtenir un statut légal. Soit les autorités refusent d’enregistrer les demandes, soit elles ne délivrent pas le reçu.
Lorsqu’en septembre, Human Rights Watch a demandé au gouvernement des clarifications sur les raisons pour lesquelles la Confédération générale tunisienne du travail n’est pas considérée comme ayant une existence légale, le gouvernement a répondu, comme l’on pouvait s’y attendre, qu’il n’avait jamais reçu leur dossier.
En octobre 2009, un tribunal à Manouba a condamné 17 étudiants à des peines de prison après que la police a violemment dispersé un sit-in organisé pour protester contre le refus arbitraire de logement à un groupe d’étudiantes.
Le 21 octobre 2010, une cour d’appel de la ville tunisienne de Monastir a reporté pour la quatrième fois l’examen des inculpations de cinq étudiants syndiqués de la faculté de Mahdia, rattachée à l’Université de Tunis, le jour même où Human Rights Watch publiait dans la capitale un rapport sur la situation des syndicats dans le pays. Le gouvernement a arrêté les étudiants, les a accusés de voies de fait et destruction de biens lors d’une manifestation en 2007, et les a condamnés à une peine d’emprisonnement de vingt mois. Leur véritable « crime », toutefois, était d’avoir organisé une manifestation pacifique contre le refus de l’université d’autoriser la tenue du congrès annuel de leur syndicat.
Pareil scénario est fréquent en Tunisie, où le respect apparent de la loi se substitue à son application effective et où le pouvoir judiciaire fait étalage de procès dont l’issue est fixée à l’avance.
Chaque fois que je me rends en Tunisie, je suis frappée par la façon dont des militants, jeunes et vieux, résistent face à une oppression aussi aveugle. Ils sont douloureusement conscients que les atteintes aux droits humains commises par leur gouvernement continueront sans doute de passer inaperçues et d’être ignorées en raison des alliances du gouvernement tunisien avec les capitales occidentales en matière commerciale et antiterroriste.
Par Rasha Moumneh
Rasha Moumneh est chercheuse à la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch. Elle est basée à Beyrouth et a récemment rédigé un rapport intitulé : « Le prix de l’indépendance : Les syndicats professionnels et étudiants sont réduits au silence en Tunisie » (www.hrw.org/fr ).
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