Le journal Maghreb Confidentiel dans son numéro 867 nous rapporte que le projet de Sama Dubai, “Porte de la méditerranée” est au point mort. Les autres mégaprojets émiratis, ajoute-t-il, sont tout aussi menacés. La crise n’épargnera donc personne. Dans cette triste histoire, nos milliardaires émiratis déprimés qui risquent de se jeter sur les rails, ne sont pas autant à plaindre que nos milliers de jeunes à qui l’on a promis du travail. Cette promesse d’emploi fut l’argument clef qu’utilisa l’État pour légitimer l’implantation d’une colonie de milliardaires sur les berges du lac. La propagande se chargea par la suite de nous présenter cette opération de spéculation immobilière pour riches en un projet présidentiel à vocation sociale pour les jeunes. De nombreux journalistes ne manquèrent d’éloge pour les mégaprojets. D’aucuns d’entre eux aujourd’hui ne souffle mot du possible retrait des émiratis et deviennent de fait complices des fausses promesses de l’Etat. Je pense particulièrement à ces web magazines qui se targuent pourtant d’une certaine indépendance (tel BusinessNews) et qui continuent à garder le silence.
Mégaprojets: illusion collective de modernité?
Au-delà de la propagande on ne peut ignorer qu’il y avait un réel engouement pour ces mégaprojets de la part de nos concitoyens. Deux raisons expliquent cet enthousiasme: une raison concrète liée à l’impact économique positif espéré par de telles opérations. Cette raison reste défendable malgré l’absence de chiffres. Ensuite, il y a la raison symbolique. Celle-ci se nourrit d’une certaine vision de la modernité et du progrès à laquelle ces mégaprojets semblent répondre. C’est sur cette compréhension de la modernité que porte ma critique. J’ai déjà expliqué que les images à la Starwars (ici) utilisées par les promoteurs pour nous vendre leurs villes évoquent un urbanisme dépassé des années 70 composé de tours et de parcs à l’américaine. Il n’est nul besoin d’être ingénieur pour comprendre que leurs projets sont très consommateurs d’espace et d’énergie et que le bétonnage d’une sebkha à l’écosystème fragile ne répond pas aux défits de la ville écologique de demain.
Mais surtout c’est le montage même de l’opération qui reflète l’archaïsme de ce projet. En effet, nos élus nous ont mis devant le fait accompli en nous présentant la maquette d’une ville de 900 hectares, comme un sultan qui impose à ses sujets les contours d’une nouvelle citadelle. Ce même Sultan bienfaiteur nous expliquera que ses nouveaux palais fortifiés donneront du travail aux artisans et aux esclaves. Sans consulter ses vizirs ni même ses architectes, le sultan en aura décidé ainsi. Vous me concèderiez, qu’à quelques éléments près, ma métaphore n’est pas très éloignée de la réalité. Je rappelle à cet effet que la convention signée entre l’État et le promoteur reste jusqu’à ce jour inaccessible et que d’aucuns des acteurs locaux, des citoyens ni des professionnels du bâtiment, n’ont étés impliqués, encore moins concertés pour un projet sensé pourtant leur être adressé!
Décidons nous même de notre modernité
Mes amis, la modernité ne peut pas être le fait du prince, elle ne peut être que collective. Ces belles images de villes futuristes ne doivent pas masquer notre exclusion programmée de l’avenir de notre Cité. Il ne s’agit pas de se réjouir de la crise mais de se dire que la conjoncture actuelle aura le mérite de nous avoir au moins épargnés de projets écologiquement dangereux et socialement discriminatoires. On aura ainsi le temps de réfléchir un peu plus sur l’avenir de ce patrimoine naturel et de préserver les parades amoureuses de ces flamants roses qui depuis des millénaires avaient élu le lac de Tunis comme une de leurs nombreuses stations de migration. Souhaitons leur une joyeuse Saint-Valentin en espérant que la prochaine intervention sur la bouhaïra leur restitue leur cadre et les épargne de toutes les pollutions humaines conduites au nom d’une compréhension erronée de la modernité et du progrès…
(Lire aussi le post de Carpe Diem que je salue au passage !)
Source : Le Blog de Z
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