Ce jeudi 4 décembre commence en Tunisie, au Tribunal de première instance de Gafsa le procès très attendu des leaders du plus important et du plus long mouvement social qu’ait connu la Tunisie du président Ben Ali depuis son arrivée au pouvoir dans le bassin minier de Gafsa, au premier semestre 2008. Sur le banc des accusés, notamment, les noms devenus emblématiques d’Adnan Hajji, Taïeb Ben Ohtman, Bachir Labidi, instituteurs membres du syndicat UGTT de base de l’enseignement primaire à Redeyef, ville du bassin minier à une heure de route de Gafsa ; également Mouhieddine Cherbib, président de la Fédération des Tunisiens Citoyens des deux Rives à Paris, et figure citoyenne importante des mouvements sociaux et de l’immigration maghrébine en France ainsi que de la dynamique altermondialiste au Maghreb, accusé de solidarité avec le mouvement et de diffusion de l’information concernant celui-ci vers l’étranger.
Les personnes inculpées, dont la majorité est en état d’arrestation et incarcérés dans des conditions épouvantables, avec tortures physiques et psychiques avérées, harcèlements et menaces à l’encontre de leurs familles, seront jugées pour des accusations graves qui pourraient leur valoir de lourdes peines de prison : adhésion à une bande en vue de perpétrer des agressions à l’encontre de personnes et de propriétés, distribution de tracts destinés à susciter des troubles publics…
Membres de l’enseignement et syndicalistes locaux de l’UGTT ou bien ouvriers, les inculpés incarnent la direction qui est née des luttes sociales qu’a connues la région du bassin minier dans le sud-ouest de la Tunisie depuis début janvier 2008. Ce mouvement porté par une population locale soudée protestait contre le chômage des jeunes, la corruption, la marginalisation économique de la région et la pollution, les conditions de vie et de travail, dans cette partie de la Tunisie qui affiche des taux de chômage officiels atteignant le double de la moyenne nationale ; et ce, en dépit des formidables rentes encaissées par l’Etat tunisien grâce à l’industrie phosphatière locale, unique moteur économique de la région, industrie florissante sur le plan international.
Le « procès des 38 », comme il est appelé, aura lieu à quatre cents kilomètres au sud-ouest de Tunis, dans la ville de Gafsa, capitale administrative de la région du bassin minier. Des délégations syndicales venues du Maroc, d’Algérie et de France sont en partance pour la Tunisie afin d’assister à l’ouverture du procès. D’autres formes de mobilisations syndicales internationales sont attendues. Au moins une centaine d’avocats tunisiens ont offert leurs services aux familles et coordonneront leurs efforts dans les semaines à venir. La coordination entre tous se fait notamment au travers du “Comité national de Soutien aux habitants du Bassin Minier” constitué en Tunisie pendant le mouvement par l’ensemble des forces associatives et partisanes de la société démocratique tunisienne.
La semaine dernière, une délégation composée d’élus et représentants de la société civile française, parmi lesquels Marie-Georges Buffet, Cécile Duflot, Monseigneur Gaillot, Clémentine Autain, Robert Bret pour Attac, ou encore la secrétaire générale du Syndicat de la Magistrature Hélène Franco, s’est rendue en Tunisie durant trois jours (des 26 au 28 novembre) afin de rencontrer les familles des prisonniers à Redeyef, leurs avocats à Gafsa ainsi que des représentants de la société civile à Tunis, rassemblés pour la circonstance au siège de la Ligue tunisienne des droits de l’homme, d’ordinaire interdite d’accès par les forces de police. Malgré l’impressionnant dispositif policier, la délégation avait pu aller notamment jusqu’à Redeyef, où même les avocats peinent pourtant presque systématiquement à se rendre. Une demande de rencontre avec le ministre de la Justice tunisien était restée en revanche sans réponse. Le but de cette délégation diverse et solidaire, composée également de quatre Nantais dont une élue municipale en raison de la forte représentation des Tunisiens issus de Redeyef dans la région nantaise, était de soutenir, alerter et informer sur le mouvement et sa répression. Entre autres réactions au retour de ce voyage, la secrétaire générale du Parti communiste Marie-Georges Buffet a proposé, dans une lettre adressée aux premiers secrétaires de partis politiques français à son retour, ainsi qu’aux syndicats et diverses organisations civiles, l’idée d’une « coordination de solidarité et pour la démocratie en Tunisie » et a rappelé que les militants de la société civile tunisienne « attendent de la France une toute autre attitude qu’une complaisance officielle envers le régime ».
Complément d’informations sur le mouvement du bassin minier et les inculpés
Les arrestations des principaux inculpés de ce procès, la première fois, pendant le mouvement, ont provoqué des manifestations massives qui ont embrasé certaines villes de la région et ont contraint le pouvoir à les libérer sous la pression des foules menées par les mères et les épouses des incarcérés. Ils présentaient à leur sortie des traces de torture et de mauvais traitements. Leurs témoignages recueillis alors ont connu une large diffusion, démontrant une nouvelle fois la pratique systématique de la torture et amenant le pouvoir à la censure des sites d’échanges comme Youtube et Dailymotion en Tunisie.
Leur libération alors n’a été qu’un court répit. Le pouvoir a repris la situation en main. Toute la région a été mise sous état de siège et le président Ben Ali a décrété l’intervention de l’armée au secours de la police pour contenir la révolte pourtant pacifique et porteuse de demandes de négociations avec le pouvoir. La vague de répression qui s’est abattue sur les jeunes et les activistes de la région s’est soldée au final par la mort de trois jeunes manifestants dont deux par balles (l’un suite à ses blessures pendant l’été),alors que des centaines de personnes ont été sommairement condamnées à de lourdes peines de prison, parmi lesquelles la militante et journaliste tunisienne Zakia Dhifaoui, relâchée le 5 novembre avant la fin de sa peine sous forte pression internationale, mais non réintégrée à ce jour dans l’éducation nationale.
La population de ce bastion ouvrier a mené de fait durant six mois dans plusieurs villes minières, notamment celle de Redeyef à une heure de route de Gafsa, une important mouvement de protestation pacifique aux allures de mouvement social constitué, malgré l’encerclement militaire et policier, avant de finir écrasée par la chasse à l’homme, environ deux cents arrestations accompagnées de tortures physiques et psychologiques, et autres mauvais traitements systématiques, comme le refus de l’accès aux soins, enfin par un harcèlement accru et systématique sur la population jusqu’à aujourd’hui, notamment sur les familles des prisonniers, blocus des routes et limitation des communications à l’appui. Quelques mesures d’investissement annoncées en juillet par le président tunisien pour la région peinent à masquer le désarroi économique de celle-ci et la gravité des atteintes aux droits fondamentaux.
Le mouvement du bassin minier avait été déclenché début janvier par la publication des résultats du concours d’embauche de la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG), l’unique moteur économique de la région. Jugeant frauduleux ces résultats, l’ensemble de la population, des jeunes chômeurs aux veuves des mineurs et leurs familles, en passant par les enseignants, fonctionnaires, marchands, ouvriers, étudiants et habitants, ont multiplié les actions. Sur fond de grande pauvreté et de flambée des prix, la population protestait contre la corruption d’un système local népotique, contre une politique de l’emploi injuste, et elle réclamait l’ouverture de négociations pour l’avenir de la région. Au fil des mois, la mobilisation, aux allures parfois d’épopée héroïque, a pris la forme tour à tour de sit-in des familles des invalides de la CPG et des morts à la mine, de grèves, d’actions des ouvriers licenciés, d’occupations diverses, de rassemblements, de la désignation d’un collectif de représentants, d’actions nocturnes contre les forces de police par les plus jeunes, de menaces enfin par les femmes de quitter la ville de Redeyef si la pression policière se poursuivait… Le siège local du syndicat de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), en plein centre-ville de Redeyef, avait même été réquisitionné par les contestataires, au nez des autorités, pour servir de quartier général des habitants en révolte.
Paris, le 3 décembre 2008.
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La liste des 38 personnes inculpées :
1- Fayçal Ben Omar
2- Haftaoui Ben Othman
3- Ali Jedidi
4- Thameur Maghzaoui
5- Ridha Ezzeddine
6- Issam Fajraoui
7- Mouadh Ahmadi
8- Abdessalam Helali
9- Mahmoud Raddadi
10- Hedi Bouslahi
11- Abdallah Fajraoui
12- Mohamed El Baldi
13- Tarek H’limi
14- Bechir Laabidi
15- Adel Jayar
16- Isamel El Jawhari
17- Lazhar Ben Abdelmalek
18- Mdhaffar Labidi
19- Haroun Hlimi 20-
Taieb Ben Othman
21-Boubaker Ban Boubaker
22- Radhouane Bouzayane
23- Makram Mejdi
24- Adnane Hajji
25- Sami Ben Ahmed (Amaydi)
26- Othamn Ben Othamn
27- Ghanem Chriti
28- Mahmoud Helali
29- Boujemaa Chriti
30- Abid Khélaifi
31- Habib Khédhir
32- Rachid Abdaoui
33- Hassen Ben Abdallah
34- Mohsen Amidi
35- Maher Fajraoui
36- Ridha Amidi
37- Elfahem Boukadous
38- Mouhieddine Cherbib.
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