Comme s’ils se sont passé le mot, les jeunes du Maghreb investissent la rue pour éructer leur colère d’être des éternels laissés-pour-compte.
Alors que le vent des émeutes vient juste de se calmer dans plusieurs régions d’Algérie, des échauffourées ont brusquement éclaté au Maroc et en Tunisie. Des pays, où l’émeute était jusque-là quasi-insoupçonnable du fait que les régimes étouffent toute velléité de protesta, se voient ainsi débordés par une poussée d’adrénaline d’une jeunesse livrée à elle-même. C’est pourquoi les étincelles en provenance de nos voisins de l’Est et de l’Ouest sont à prendre au sérieux tant elles dénotent d’un malaise social et d’un désenchantement populaire que les autorités des deux pays ne peuvent cacher dans le brouillard des bombes lacrymogènes qui enveloppe depuis samedi les villes de Sidi Ifni (Maroc) et de Redeyef (Tunisie). Que les affrontements entre les forces de l’ordre et des jeunes chômeurs dans ces deux villes du Maroc et de la Tunisie surviennent au même moment sont un signe qui ne trompe pas quant à la similitude des souffrances des jeunes de ces pays avec l’Algérie. A Sidi Ifni, un port de pêche du Maroc situé à 900 km au sud-ouest de Rabat, la violence était telle samedi dernier que les organismes des droits de l’homme parlent de 8 morts et de plus de 44 blessés. Bien que les autorités de sa majesté refusent de reconnaître qu’il y a eu mort d’homme, cela ne diminue pas pour autant le niveau de violence de ces émeutes des chômeurs. Tout a commencé le 30 mai dernier quand une centaine de jeunes déçus de n’avoir pas été tirés au sort pour le recrutement, a bloqué la porte d’accès au port de Sidi Ifni dont la pêche est la principale ressource économique. La réaction aussi violente qu’intempestive des forces de l’ordre a tôt fait de déclencher un véritable corps-à-corps avec les jeunes désœuvrés de Sidi Ifni. Il n’en fallait pas plus pour que les échauffourées se répandent et se transforment en émeutes à l’algérienne. Bilan officiel : 44 blessés dont 27 parmi les forces de l’ordre, alors que d’autres sources évoquent près d’une dizaine de morts. Mais au-delà de la bataille des chiffres, il faut surtout méditer sur les raisons de la colère. Les jeunes de Sidi Ifni réclament en effet « une répartition équitable des richesses de la ville, le statut de préfecture de la cité, le réaménagement du port et la construction d’un nouvelle rocade côtière », rapporte l’AFP citant un élu local.
L’UMA de… la révolte
En clair, les jeunes de cette localité revendiquent le travail pour subvenir à leurs besoins. Et, coïncidence frappante, les jeunes de Redeyef, une ville riche en phosphate située à Gafsa, à 350 km au sud-ouest de Tunis, se sont révoltés le même jour contre les autorités à cause du « chômage, du renchérissement du coût de la vie, de la corruption et du clientélisme ». Là aussi, les jeunes désœuvrés ont réagi violemment à une manipulation des résultats d’un concours de recrutement à la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG), principal employeur de la région, au profit de certains notables. On déplore au moins un mort et plusieurs blessés. A Redeyef comme à Sidi Ifni, le chômage et autres revendications d’ordre social sont à l’origine de la révolte. Et pour éviter l’effet boule de neige, l’armée tunisienne s’est vite déployée dans la ville pour « empêcher toute menace à l’ordre public ». Mais le mur de la peur est tout de même tombé. La Tunisie, qui est réputée être une grande caserne, fait désormais face à une « armée » de chômeurs (le taux officiel est de 14%) qui ne recule devant rien pour se faire entendre. Qu’ils soient Algériens, Marocains ou Tunisiens, les jeunes révoltés n’ont désormais qu’un seul exutoire : la rue. Moralité, les maux de la jeunesse au Maghreb n’ont pas de nationalité. A défaut d’une union maghrébine qui aurait pu booster les économies des trois pays, on assiste plutôt à la « naissance » d’un rassemblement maghrébin de la colère. C’est le terrible boomerang de la jeunesse de la région aux régimes des trois pays.
Source : El Watan, Alger
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