L’armée du Hezbollah, dont l’effectif, permanent ou temporaire, constitue un secret stratégique.
Après la guerre de juillet 2006 entre le Hezbollah et Israël, des affiches sont apparues dans les régions chiites du Liban, vantant « la victoire divine » du Parti de Dieu. Elle représentait le leader du Hezbollah, avec en arrière-plan des anges translucides portant l’épée et tirant au mortier sur les troupes israéliennes. Victoire divine, c’est aussi la traduction du nom de famille du chef chiite. La cape de laine brune qu’il portait pendant ses apparitions télévisées, tout au long du conflit, a été promenée par le pays comme une relique. Aujourd’hui, Hassan Nasrallah a été nommé secrétaire général à vie de son parti. Réfléchi, affable, haussant rarement la voix, l’homme de 47 ans qui vient de forcer le destin au Liban ne correspond pourtant pas au portrait-robot d’un fanatique. Chef religieux, commandant militaire, redoutable politique, son histoire se confond avec celle du Hezbollah. Qui est le dirigeant qui, en 48 heures, a pris les rênes du Liban ? Que veut-il ?
Pour ses adversaires politiques, il commande une tête de pont iranienne et syrienne au Liban. Pour les Américains, il est « le chef de l’équipe A du terrorisme », selon les mots de l’ancien secrétaire d’Etat à la Défense Colin Powell. Pour l’Europe, Hassan Nasrallah est un responsable politique avec lequel on peut discuter. Pour la France, un partenaire que l’on invite en juillet 2007 à une réunion interlibanaise à La Celle-Saint-Cloud.
Nasrallah est né en aout 1960 au Liban-Sud. Ainé des neuf enfants d’un marchand de légumes, attiré par les livres et la religion, il s’implique en politique, devient, encore adolescent, le représentant du mouvement chiite Amal dans son village. Il part ensuite étudié à Nadjaf, la ville sainte chiite d’Irak, ou il est profondément influencé par la pensée de l’ayatollah Khomeiny, le leader de la révolution islamique iranienne. En 1982, quand Israël envahit le Liban, il est membre du bureau politique d’Amal. Il participe alors à la scission qui donnera naissance au Hezbollah. Le nouveau mouvement est fondé avec l’assistance de l’Iran et se démarque des pratiques clientélistes traditionnelles d’Amal. Il redonne une dignité et une visibilité à la dernière arrivée des communautés libanaises, au XIXe siècle : méprisés et maintenus pour leur plus grande part dans la pauvreté, les chiites occupent le bas de l’échelle sociale. Il construit des écoles et des dispensaires. grâce à des stocks de chaussures importées d’Europe de l’Est, les pauvres ne vont plus pieds nus.
Une véritable armée
Mais le Hezbollah innove surtout en prônant un Etat islamique au Liban. Il se lance dans les actions terroristes. On lui attribue assassinats et enlèvements d’Occidentaux, dont celui du journaliste français Jean-Paul Kauffmann, ainsi que les attentats suicides de 1983 contre les troupes françaises (58 parachutistes tués dans l’effondrement de l’immeuble du Drakkar) et américaines. Avec Amal, c’est aussi la guerre, un conflit particulier à l’intérieur de la guerre civile généralisée qui ravage le Liban. Le Hezbollah et Amal s’affrontent violemment en 1988-1989, puis en 1990, avant de se réconcilier. Nasrallah est élu secrétaire général en 1992, après la mort de son prédécesseur, Abbas Mussawi, tué par un tir d’hélicoptère israélien.
Militairement, avec Nasrallah, tout change. Avec l’aide de formateurs iraniens, le Hezbollah devient une véritable armée qui abandonne les attaques désordonnées pour des actions de guérilla ciblées. Le retrait israélien du Liban-Sud en mai 2000 sera interprété comme une première victoire. Il est alors au faite de sa popularité dans toutes les communautés libanaises et dans le monde arabe, qui le voient comme la seule force armée résistant à Israël. Commence alors pour le Hezbollah une deuxième période, au cours de laquelle il justifie la conservation de son armée, malgré le retrait israélien, en restreignant la plupart de ses attaques aux Fermes de Chebaa, une zone minuscule à la souveraineté contestée. Cet équilibre de la terreur, qui arrange tout le monde, sera rompu avec l’enlèvement de soldats israéliens en juillet 2006, qui déclenchera une riposte israélienne massive.
Hassan Nasrallah dira plus tard qu’il n’aurait pas ordonné les enlèvements s’il avait su ce qui s’ensuivrait. Certes, il a remporté une victoire éclatante, détruisant des dizaines de chars israéliens. Mais nombre de Libanais lui reprochent d’avoir provoqué la destruction des infrastructures du pays par les Israéliens. Et surtout, le Hezbollah perd sa profondeur stratégique, le Sud est désormais quadrillé par une force de l’ONU et par l’armée libanaise. L’excuse de la résistance devient de moins en moins opérante. L’armée du Hezbollah, dont l’effectif, permanent ou temporaire, constitue un secret stratégique, ressemble de plus en plus à une force de pression intérieure et à un atout stratégique de l’Iran et de la Syrie contre Israël.
Le Hezbollah se voit sommé par l’ONU de désarmer et de se cantonner à la politique. Car, depuis 1992, le Parti de Dieu a décidé de se présenter aux élections. A cette occasion, Hassan Nasrallah était revenu, du moins officiellement, sur l’idée d’un Etat islamique au Liban. « Nous n’avons jamais propose d’imposer une république islamique par la force », déclarait au magazine Al-Watan al-Arabi. Cela n’empêche pas les zones contrôlées par le Hezbollah d’être soumises à un respect strict des règles religieuses. Mais le Parti de Dieu comprend que « le Liban doit être un espace ouvert à tous » assure Nasrallah. La complexité du système libanais fait d’ailleurs que le Hezbollah présente sur ses listes des sunnites et des chrétiens. Le parti poussera l’intégration encore plus loin en acceptant de participer en 2005, avec cinq ministres Hezbollah ou apparentés, au gouvernement de Fouad Siniora, étiqueté pro-occidental. Mais cette année-la est aussi celle du retrait syrien, sous la pression de la rue et de l’Occident, après l’assassinat de l’ancien premier ministre Rafic Hariri, attribué à la Syrie.
La question des parrains internationaux est une notion mouvante au Liban. Les partis sunnites, druzes et chrétiens présentes aujourd’hui comme une majorité antisyrienne furent tous, à un moment ou à un autre, les meilleurs alliés de Damas. Les chrétiens de la majorité d’aujourd’hui étaient en 1989 du doté de la Syrie contre leur coreligionnaire le général chrétien Michel Aoun, quand il déclara la guerre de « libération » à la Syrie. Michel Aoun, dont le Courant patriotique Libre n’est pas représenté au gouvernement, a signé un accord avec le Hezbollah. Tous deux cherchent à obtenir une meilleure représentation au gouvernement. Mais dans ce pays morcelé où l’on n’arrive pas à vivre ensemble, la recherche d’un soutien extérieur continue de brouiller toutes les cartes. Le brusque départ du Hezbollah du gouvernement coïncide avec la tentative de mise en place d’un tribunal international chargé de juger l’assassinat de Rafic Hariri et ceux dune série de personnalités antisyriennes. « Le tribunal était la vraie raison de leur départ, c’est évident » dit Joseph Alagha, professeur a l’Université libanaise américaine de Beyrouth et spécialiste du Hezbollah.
Exigences multiples
A partir de là, le Parti de Dieu accentue sa campagne contre le gouvernement. Jusqu’à l’épreuve de force. « Le Hezbollah attendait un prétexte. Le gouvernement le lui a fourni», assure Alagha. Pour la première fois depuis sa guerre avec Amal, le Hezbollah a retourné ses armes contre d’autres Libanais. Nasrallah peut maintenant passer au volet politique. Le Hezbollah et ses allies, chrétiens et sunnites du Nord, vont exiger un changement de gouvernement. Les buts du Hezbollah restent multiples: assurer la représentions à laquelle il estime avoir droit, et défendre les intérêts de la Syrie et de l’Iran.
Objectifs non contradictoires aux yeux d’un mouvement oppose aux influences occidentales dans la région. En demandant une minorité de blocage de 10 ministres sur 30 pour lui et ses allies, le mouvement chiite pourrait empêcher officiellement toute résolution hostile à la Syrie, ainsi que toute loi qu’il jugerait non conforme aux intérêts de sa communauté. « Mais il sait qu’il ne peut pas islamiser le Liban », dit Joseph Alagha. « Les gens continueront de boire et d’aller en boite de nuit en dehors des régions chiites. » Pourtant, tous les chiites ne sont pas derrière le Hezbollah. Environ la moitie d’entre eux s’est abstenue aux dernières élections, tandis que 5 % d’entre eux environ votaient Amal. « Je n’ai pas envie de vivre sous une application stricte de la charia », la loi islamique, reconnait un responsable d’Amal.
Pierre Prier
Article Publié dans les pages du Figaro du lundi 12 mai 2008
Mis en ligne par Nawaat.org
ARTICLE MENSONGER ET CARICATURAL