Cela finit par devenir presque amusant ! Amusant de lire le contenu d’un certain nombre d’attaques visant les cyber-contestataires du web tunisien. Ce sentiment je l’ai encore éprouvé aujourd’hui, lorsque j’ai découvert l’article de Omar Mestiri « L’immunisation de l’espace public, préalable à l’édification démocratique » posté sur le forum de TUNeZINE.
I.- Les errements
Je voudrai d’abord dire merci à si Omar pour la leçon qu’il a bien voulu nous dispenser sur les stratégies d’infiltration des dictatures en vue de briser les mouvements de résistance. Ensuite, j’aimerai le rassurer en lui disant que tous les participants -du moins ceux qui y sont depuis un certain temps- sur TUNeZINE et sur ReveilTunisien.org sont conscients des risques. C’est pour cela qu’ils essayent d’être très vigilants. Quant aux intervenants occasionnels -et non moins occasionnels- sur le forum, il est impossible de les trier. Le forum étant ouvert à tous, chacun s’exprime en usant de la liberté d’expression qui est celle du forum (j’y reviendrai sur la portée de cet élément). Et comme le rappelait ReveilTunisien.org « […] n’étant pas hermétiques aux autres dans notre évolution, nous avons aussi nos flics, peut être même nos infiltrés, nos indics gentiment prêtés par les uns ou les autres ». C’est dire que tout le monde est conscient des risques. Et à ce jour, le forum et plus généralement TUNeZINE et ReveilTunisien.org semblent relativement bien résister aux assauts répétés des barbouzes les plus pernicieux ; ceci quant aux attaques extérieures.
Si en revanche les propos de Omar Mestiri visaient les personnes en charge de l’intendance et de l’administration des sites mentionnés, mon amusement serait moins évident face à un gouffre d’incompréhension tant à l’égard de ce qui est en train de se passer aujourd’hui sur le web qu’à l’égard de la jeunesse tunisienne qui s’exprime et qui échange par écrans interposés.
Je cite d’abord Si Omar :
« L’objectif des pollueurs de l’espace public, qui s’acharnent en premier lieu à investir l’Internet […] s’est dernièrement révélé : derrière l’appel à la constitution d’une « troisième opposition », ils cherchent en fait à débarrasser le régime de ses détracteurs les plus coriaces, ceux qui ont symbolisé la résistance au plus fort des années de plomb, ont, au prix de lourds sacrifices, démasqué la fausse monnaie démocratique (pour reprendre l’expression de Moncef Marzouki), révélé la vraie nature du « miracle tunisien » et surtout ont acquis un capital crédit indéniable. Ces agents, sous couvert d’opposition, s’attaquent en fait plus à la vraie opposition qu’au régime qu’ils ne gênent qu’en paroles. »
Outre l’incompréhension totale de la notion de « troisième opposition », il me semble que Si Omar a totalement perdu le contact avec les réalités de la jeunesse tunisienne et ce qu’elle cherche à incarner au travers du net.
D’abord, oui si Omar, INDENIABLEMENT lorsque vous avez commencé à faire de la politique, je jouais encore au cerceau, tout comme mes amis internautes. Lorsque vous vous opposiez à H. Bourguiba, je jouais encore dans les bacs à sable. Aujourd’hui, l’enfant que j’étais a grandi. Et, vu la différence d’âge, hormis l’égard que je vous dois en faisant précéder votre nom par la particule « SI » (je demeure bien éduqué en toutes circonstances), je n’ai aucun cadeau à faire à l’homme politique. Bien au contraire, aujourd’hui, comme tous ceux de votre génération, vous avez des comptes à rendre à l’enfant que j’étais, au citoyen que je suis et à l’électeur que je pourrais être.
Si Omar, lorsque je lis vos propos, j’ai envie de vous dire prenez garde, car de nos jours et pour ma génération « l’on s’en fout éperdument » de la légitimité historique de certains. Non pas tant par ingratitude à l’égard de ceux qui nous ont précédés ou par négligence de leurs souffrances face aux persécutions passées, mais par lucidité. Notre génération a été sevrée à l’école par trois mots clés : Efficacité, performance et résultat. Aussi, Quand vous opposez votre légitimité historique et celle de vos congénères, on vous répondra toujours par la même chose : SOIT, mais revenons aux faits, Pourquoi avez-vous laissé faire ? Qu’avez-vous fait de notre pays ? Comment avez-vous laissé faire piétiner notre citoyenneté de la sorte ? Et quand vous évoquez « ceux qui ont symbolisé la résistance au plus fort des années de plomb », on vous répondra également ceci : le fait que certains aient été persécutés ne les dédouane nullement de leurs responsabilités ultérieures quant à l’état actuel des institutions de notre pays et ne les met certainement pas à l’abri des critiques et notamment de celle-ci : pourquoi avez-vous privilégié l’ambition personnelle sur une action collective plus efficace ?
Et si vous ne comprenez pas la perception, à tort ou à raison, que ma génération se fait de la responsabilité collective des hommes politiques de votre génération, alors il vaut mieux cesser toute activité politique. Car, une chose est sûre, les choses ne vont pas aller en s’arrangeant. Et à cette perception j’y adhère aussi. Et quoique vous disiez et quoique vous fassiez, il est un fait irréfragable : Sur le plan des libertés et des institutions, l’échec de votre génération est terrible tant avec Bourguiba qu’avec Ben Ali. Alors de grâce, évitez l’argumentaire de la légitimité historique dans vos propos. Et quand bien même vous estimez sincèrement que vous êtes personnellement irréprochable, ce qui n’engage que vous, sachez que pour les gens de ma génération, vous avez quand même le tort -oui, oui- d’appartenir à la génération qui jusqu’à présent a lamentable échoué. Et si vous ne comprenez pas cette vision passionnelle -peut être à tort- des choses, là encore, il vaut mieux abandonner la politique, car vous n’êtes plus en mesure ni de comprendre ni de discuter avec ceux pour qui vous voulez gouverner. Et s’il vous plaît si Omar, ne prenez pas mes propos comme une attaque en règle, ni comme une insulte. De grâce là encore, évacuons la paranoïa, car je ne fais que stigmatiser un constat dont les faits sont objectivement indéniables. L’enfant que je fus, s’adresse à vous aujourd’hui en adulte, sans irrévérence mais sans complaisance non plus. Et si les propos passionnels de l’un de mes amis vous ont agacé par leur fougue ou par leur excès, plutôt que de crier à la traîtrise ou à l’affront des culottes courtes, saisissez votre clavier et démontrez-lui en quoi il a tort. Ainsi nous avancerons nettement plus dans notre combat commun : la liberté dans l’honneur et la dignité.
Et si ces turbulents du net ne reculent devant rien pour vous mettre -vous les professionnels de la politique- devant vos responsabilités, je ne vois aucune raison qui vous empêcherait de faire de même avec ces mêmes turbulents – sauf à snober le peuple. Or, le temps où certains pouvaient snober le peuple est définitivement révolu. Le monde a changé. Le temps où il n’y avait que la presse du pouvoir et celle des partis politiques -lorsqu’elle existait- est également révolu. Le coût de la publication et de la diffusion de ce que peut penser le peuple anonyme de l’internet est devenu quasiment négligeable financièrement parlant. Alors plutôt que de se plaindre, il faut avoir l’humilité d’écouter lorsque la jeunesse s’exprime. Plutôt que de crier au loup dans la bergerie, il faut aller à la rencontre du peuple pour expliquer, parler, développer ses idées et rectifier les erreurs d’appréciation de ceux qui s’expriment. Et si certains ne savent pas encore comment s’y prendre pour séduire des sympathisants sur internet, demandez à Si Salah Karkar. Avec son sens de la pédagogie et, par-dessus tout son sens de la politesse, il sera à même d’expliquer comment faire.
Mais c’est vrai, Si Salah Karkar, lui au moins, a compris la notion de troisième opposition dont parlaient mes comparses de ReveilTunisien.org . Il a même eu le chic de contribuer au développement de la notion évoquée par ReveilTunisien.org .
II.- Des internautes responsables, faillibles, mais sûrement pas des larbins de service
Par ailleurs, si vous considérez, que nous sommes sur la toile rien que pour vous applaudir ou pour gratter dans le sens du poil, alors là encore le malentendu est gigantesque.
D’abord, précisons que TUNeZINE et ReveilTunisien.org ne sont affilés à aucun parti politique et ne peuvent l’être du reste de par leur nature de site web ouvert à tous. Et en étant ouverts à tous, ils ne sont que le reflet de la société tunisienne à laquelle nous appartenons. A travers les canaux du web, cette jeunesse tunisienne exprime ce qu’elle a sur le coeur et dans les tripes. Et ceux qui pensaient que ces internautes allaient être les larbins de service de l’opposition professionnelle, n’ont semble-t-il rien compris encore. Ces canaux du web ont enfin permis à tout un chacun de demander des comptes à tous les acteurs de la vie politique tunisienne sans exception. En d’autres termes, demander des comptes aussi bien aux hommes du régime qu’à ceux de l’opposition. Une opposition qui parle aussi au nom du peuple tunisien.
Or, il s’avère que sur l’Internet, NOUS SOMMES LE PEUPLE ANONYME au vrai sens du terme.
Désormais, l’opposition traditionnelle doit s’habituer à rendre des comptes à ce peuple. Si cette opposition requiert nos suffrages et parle en notre nom, alors qu’elle se soumette à la responsabilité qui lui incombe où qu’elle se démette. Dans une démocratie l’on ne peut en même temps parler au nom du peuple et esquiver la critique, fut-ce-t-elle indue. La liberté d’expression que l’on revendique n’est pas monnayable et ne peut l’être au service de l’ambition personnelle de X ou de Y.
Parce que nous sommes financièrement indépendants, parce que nous ne recevons aucune subvention de quiconque, parce qu’étant anonymes nous ne pouvons succomber aux honneurs, parce que nous n’avons aucun intérêt matériel à défendre, il n’y a pas de crainte à avoir pour notre intégrité. Le seul trésor dont nous disposons – vous diront les webmasters de ReveilTunisien.org – est un « […] trésor de guerre inestimable dans le paysage politique tunisien : nous sommes actifs, interactifs, interchangeables car différents dans les idées, les parcours, les objectifs, nous diffusons et parlons librement, nous critiquons allégrement, même ceux – surtout ceux – que nous aimons et dont nous attendons beaucoup ».
En parlant du régime, mon autre ami Sami Ben Gharbia alias Chamseddine, rappelait fort judicieusement que « la géographie de l’action des maquisards des forums comme ceux de TUNeZINE ou des sites comme TUNISNEWS, Zeitouna, Kalima, Aqlamonline etc., posent problème à un système habitué à mener une bataille sur le terrain de la réalité où il est le maître sans partage. » [1]. Les propos de Chamseddine, s’appliquent également à cette opposition traditionnelle, partie intégrante du système, qui n’arrive toujours pas à se démarquer du confort de son rôle d’opposition de façade et qui refuse le débat, la critique et la transparence. Stigmatiser cela, c’est aussi combattre pour la liberté et la dignité de notre pays. Et du fait même que certaines affirmations commencent à agacer les vieux renards de la politique, les jeunes internautes tunisiens viennent d’atteindre indiscutable une étape importante : la matérialisation de cette troisième opposition
III.- La troisième opposition, une opposition citoyenne
Mais qu’est-ce cette troisième opposition dont parlait l’édito de ReveilTunisien.org et qui semble tant effrayer Si Omar lorsqu’il affirme que « derrière l’appel à la constitution d’une “troisième opposition”, ils cherchent en fait à débarrasser le régime de ses détracteurs les plus coriaces […] ». J’ai beau lire et relire l’éditorial , je ne vois nulle trace d’une concurrence politique qui cherche à éliminer lesdits « opposants les plus coriaces ».
Voici les trois oppositions telles que décrites par les fauteurs de troubles. Jugez-en :
La première opposition, « l’opposition officielle, cache-sexe d’une dictature et faire-valoir pour un habillage des relations extérieures avec les pays occidentaux […] »
La deuxième opposition, « L’opposition traditionnellement non reconnue dont personne ne songerait à dénier la valeur des hommes et des femmes qui la composent […] »
Et la troisième opposition celle « […] [aux] espaces d’expression libre, […] [avec ces] moments de délires et d’humour, de crispation et d’engueulade, mais aussi et surtout sa construction de la Tunisie de demain par des échanges interactifs entre les membres disparates qui la composent. Bien entendu, comme dans les meilleures familles, on y trouve de tout. Des forts en thème, des contestataires systématiques, des bâtisseurs de rêves et d’utopies, des inconnus qui n’osent intervenir mais qui se forment et répercutent les enseignements produits par de vifs débats. C’est une sorte d’auberge espagnole où chacun peut puiser ce qui lui manque : l’information, la formation, le débat contradictoire aiguiseur d’idées, bref la passion et la raison dans un même lieu. Tout ce que l’on ne trouve pas dans la seconde opposition. » [2].
Si cette troisième opposition telle que décrite est à même de menacer les partis politiques installés, les Roberto Michels, P. Pombeni, M. Duverger, G. Sartori, G. Burdeau et tous les théoriciens des partis politiques devraient retourner à leurs études.
Désolé, si Omar, l’éditorial ne faisait que donner des clés -les clés de ses auteurs- pour la lecture du paysage politique tunisien. Que l’expression vous semble maladroite, politiquement inopportune, scientifiquement critiquable, c’est une chose. Que vous n’adhériez pas à cette lecture c’est votre droit pour lequel on se battra toujours, mais que vous transformiez ces propos en crime de lèse majesté ou en que sais-je quelle ignoble traîtrise est autrement moins productif. Et que vous le vouliez ou non, les internautes tunisiens, ont acquis par la force des doigts, ceux-là mêmes qui enfoncent les touches du clavier, le statut qu’ils n’ont jamais pu avoir dans les médias tunisiens traditionnels : Le statut d’opposants citoyens. C’est tout le sens de l’éditorial. Et si vous les écoutiez un peu plus attentivement vous comprendriez qu’ils ne cherchent qu’à se réapproprier la fonction qui leur revient de droit : redevenir les gardiens du temple de leurs libertés. Et si ces opposants citoyens vous irritent au point de les comparer à des « […] agents, [lesquels] sous couvert d’opposition, s’attaquent en fait plus à la vraie opposition qu’au régime qu’ils ne gênent qu’en paroles », sachez que nous ne sommes la chair à canon de personne et a fortiori Zouhair Yahyaoui non plus. Nous ne faisons que nous battre pour notre liberté, avec toute la fougue et la passion qui sont les nôtres, avec maladresses parfois, mais toujours avec franchise honneur et sincérité.
Et plutôt que de ressortir un leitmotiv largement rouillé par le temps « si vous n’êtes pas avec nous vous êtes contre nous », soyez, avec vos amis, plus efficaces collectivement, moins absents dans la lutte, plus présents sur les lieux de discussion de cette jeunesse qui a soif de liberté et plus pertinents quant aux résultats de votre action collective, dont je vous laisse apprécier le bilan en votre âme et conscience. Un bilan pour lequel vous devriez nous accorder le droit de vous en vouloir collectivement.
Enfin, je termine en rappelant ce que j’ai eu l’occasion d’écrire sur les tribunes de TUNeZINE « tant que vous serez absents ou inefficaces sur les questions qui tiennent à coeur à un grand nombre de vos compatriotes, vous n’aurez pas, le moment venu, ni leurs attentions ni leurs votes. Et il n’est même pas utile de jeter la pierre à ceux qui se sabordent par eux-mêmes. En tant que partis politiques, pour exister, vous avez besoin des votes de vos compatriotes. Négligez-les et ils vous négligeront. Ils vous négligeront pour d’autres nouveaux venus à qui vous laissez une « voie d’autoroute » pour conquérir leurs coeurs et leurs votes. Et, surtout, songez au fait, que ce jour-là, ça ne sera pas la légitimité historique qui emportera leurs votes, mais bel bien la capacité à répondre à leurs aspirations prioritaires. Et en ce moment, la plus prioritaire de leurs aspirations, c’est peut-être la restauration des droits et garanties qui se rattachent à leur citoyenneté et que le régime républicain auquel ils adhèrent proclame. Et c’est sur ce terrain, que beaucoup désespèrent de vous voir agir avec davantage d’énergie et de fermeté. » [3].
A quand la première grève de l’opposition tunisienne ?
Cordialement et sans rancune… Vos contributions sur nos tribunes sont les bienvenues.
Astrubal, le 11 juin 2003
[1] Sami Ben Gharbia alias Chamseddine, Cybversion, LA LOGIQUE DE LA PEUR ET DU SYMBOLIQUE : http://www.reveiltunisien.org/fr/article.php3 ?id_article=418
[2] ReveilTunisien.org : http://www.reveiltunisien.org/fr/article.php3 ?id_article=611
[3] Astrubal, Tunezine 103 : http://reveil.nexenservices.com/tunezine/tunezine103.html
iThere are no comments
Add yours