A chaque fois que sont perpétrées de graves violations des droits de l’homme en Tunisie, les autorités de ce pays les dissimulent aux médias autant que faire se peut. D’autre part, elles incitent ou, du moins, tentent de faire pression sur ces derniers pour masquer la réalité aux Tunisiens et au monde. Comment les autorités ont-elles géré votre cas ?
Le régime tunisien craint les médias qui sont devenus, à mon avis, l’arme du moment au main de l’opposition. Et c’est pour cette raison que le régime œuvre à étouffer les vérités. Il n’existait pas dans le passé de chaînes satellitaires, et lorsque surgissait un différend sur l’appréciation du croissant de lune pour le Ramadan ou le jour de l’Aïd, la chaîne tunisienne diffusait un ancien enregistrement du rituel du Mont de Arafa [une des étapes du pèlerinage à la veille de l’Aïd – NDLR] et affirmait que c’était le moment. On pensait qu’on pouvait berner le peuple tunisien car il ne pouvait pas regarder d’autres chaînes qui auraient démenti les allégations de la chaîne tunisienne. C’est pour cela qu’aujourd’hui Tunis souhaite que ces chaînes satellitaires n’auraient jamais existées. En 1996, par exemple, le ministère de l’Intérieur a émis un décret de réquisition de toutes les paraboles des chaînes satellitaires en Tunisie dont le nombre s’élevait alors à près de cinquante mille. Ensuite, elles ont été rendues à leurs propriétaires qui ont été contraints de s’acquitter d’un impôt annuel de cent dinars. Cette peur des médias a poussé le régime a créer la commission nationale des communications extérieures, présidée par Salaheddine Maaoui, par ailleurs ministre du tourisme. Cette commission reçoit des crédits importants pris sur le budget de l’Etat. Sa mission a consisté à démentir l’opposition et à dissimuler les scandales à l’intérieur du pays comme à l’étranger, sans compter les insultes, calomnies et diffamations contre les militants. La Tunisie a été le premier pays du monde à interdire la navigation sur Internet et à condamner les internautes. Ce pays enregistre également le plus grand nombre de sites dont l’Etat interdit l’accès aux internautes, soit 4000 sites.
Donc la Tunisie a la phobie des médias, dans la mesure où ils révèlent sa réalité. Il s’est trouvé des plumes mercenaires et des mauvaises langues pour voler à son secours : Borhan Bessis, Ridha Mellouli, etc…, La Tunisie est allergique aux chaînes satellitaires du monde arabe comme El Jazira ou El Arabiyya, au point qu’on a consacré une émission sur la Canal 7 pour insulter El Jazira. Lorsque le Docteur Moncef Marzouki a été invité à participer à une émission d’El Jazira, le gouvernement qatari lui a demandé de mettre une sourdine à ses critiques habituelles à l’endroit du régime tunisien et qu’il lui décoche moins de flèches. Il leur en a fait la promesse et s’est rendu de Paris au Qatar, mais à l’aéroport il a été accueilli par les autorités du pays, qui tenaient à s’assurer que leurs recommandations lui avaient bien été transmises. Avec cela, il n’a pas pu participer à l’émission. Le cheikh Rached Ghannouchi, lui aussi, a été invité à participer à une émission. Cela a été annoncé lors d’un flash d’informations, mais à la dernière minute, l’émission a été annulée. Lors de l’émission de Sami Haddad « Akthar min rayy’ », sur la chaîne El Jazira, l’un des intervenants a parlé du Danemark et a évoqué la Tunisie. Alors Sami Haddad a levé la main et a dit « je demande au frère de ne pas évoquer la Tunisie avec laquelle nous avons beaucoup de problèmes. Je donne maintenant la parole au ministre israélien de l’Industrie qui est membre du parti Qadima et coordinateur avec la parti du Likoud » Il a répondu à la question qui lui a été posée « Et si le Parti du Likoud remportait les élections ? » : « Le likoud ne remportera pas les élections quand bien même il aurait à sa tête le président tunisien Zine El Abidine Ben Ali. » Au Parlement européen aussi la question a été posée de savoir si les élections ukrainiennes avaient vu des irrégularités, il a été répondu que oui, il y a eu tant de fraudes que je peux les qualifier l’élections à la Tunisienne, où à la Cubaine, ou Coréenne. Le monde s’est mis à plaisanter sur la dimension des violations des droits de l’homme en Tunisie.
Professeur, vous avez été invité pour un entretien sur la chaîne El Arabiyya, lequel n’a pas eu lieu. Que s’est-il passé au juste ?
Oui, c’est très précisément jeudi 6 avril 2006 que la chaîne El Arabiyya m’a joint par téléphone à plusieurs reprises et m’a demandé une interview pour six heures (Greenwich). On m’a réclamé une photo, que j’ai envoyée. J’ai attendu que le bulletin d’information se termine, mais personne ne m’a contacté. J’ai tenté en vain de joindre le président de la rédaction de la chaîne qui m’avait promis l’entretien, mais personne n’a décroché le téléphone !! Je souhaite que la chaîne El Arabiyya répare cette erreur et organise la discussion pour faire prévaloir le droit, car celui qui ne le fait pas est un diable muet.
Professeur Ben Salem, nous voudrions comprendre les interventions des autorités tunisiennes auprès des médias internationaux. Lorsque cela se reproduit comme avec vous, est-ce que cela renvoie à une autre signification ?
En ce qui me concerne, en vérité il n’y a pas eu seulement intervention des autorités tunisiennes auprès des médias, mais aussi auprès d’une délégation du congrès américain. Dans les années quatre vingt dix, j’ai été contacté depuis les Etats Unis , puis par l’ambassade américaine pour recevoir une délégation du congrès américain qui devait me rendre visite, suite aux pressions d’institutions scientifiques dont l’Académie Nationale des Sciences en Amérique est la plus importante, de nombreuses organisations de droits de l’homme, et de collègues américains occupant des postes importants dans l’administration américaine. Au bout de quelques temps, l’ambassade américaine m’a contacté pour s’assurer que j’étais chez moi. Une délégation souhaitait me rendre visite tel jour pour s’informer de ma situation. J’ai attendu toute la journée et quelle ne fut pas ma surprise lors du bulletin d’information sur Canal 7 de voir que le président Ben Ali recevait un groupe du Congrès américain, ceux-là mêmes qui n’étaient pas venus me voir. Cela s’est répété à trois reprises, espacées de près d’une année. A chaque fois, le congrès va me rendre visite, il rencontre le Président et s’en va. J’ai entendu dire par la suite qu’on leur avait dit que de me rendre visite compromettrait les bonnes relations entre la Tunisie et les Etats Unis d’Amérique, et ces derniers partageaient le point de vue de la Tunisie dans la mesure où ils étaient engagés dans la course à l’hégémonie sur l’Afrique du Nord.
Lorsqu’il s’agit de dissimuler ce qu’il en est du Professeur Ben Salem, c’est à mon sens différent des autres personnalités nationales, telles messieurs Néjib Chabbi, Hamma Hammami ou Mohammed Nouri, ou autre symboles du 18 octobre. Ils ont reçu la visite de l’ambassadeur américain, d’autres ambassadeurs, et de personnalités d’envergure internationale. Aucun n’a été empêché de les rencontrer, mais qu’à trois reprises, le Congrès soit déterminé à vous rendre visite, puis détourné de son objectif, donc de prendre connaissance de votre situation, cela montre que la question pour les autorités tunisiennes est lourde de signification et que cela va au-delà du politique. Comment pouvez-vous l’expliquer ?
C’est vrai, lorsque j’étais en prison, j’ai appris que mon dossier était classé comme sensible et que ce prisonnier était spécial et qu’il devait rester dans une cellule ne comportant pas d’autre détenu politique. J’ai été emprisonné deux fois de suite la première fois de 1987 à 1989 (relativement au Comité de Salut National) et la deuxième fois de 1990 à 1993 à la suite d’une déclaration à la presse où je révélais ce qui m’était arrivé. Il y a beaucoup d’explications et je ne peux ici relater les événements depuis le début, mais il semble que je représente un danger pour le pouvoir. J’ai appris qu’un responsable au ministère de l’Intérieur assénait des leçons aux agents en charge de mon contrôle à domicile. Il leur disait « Vous êtes maintenant en charge d’un tel ; Bon, si vous apprenez qu’un bateau est entré dans le port avec à son bord des armes de contrebande et qu’un tract a été distribué ici ou là par Moncef Ben Salem, et il se trouve que vous manquez d’effectifs, quel est l’objectif que vous allez privilégier : le bateau passant des armes ou le tract de Moncef Ben Salem ? » Tous ont répondu « le bateau chargé d’armes ». Il leur a rétorqué : « Non, c’est le tract de Moncef Ben Salem dont vous devez vous occuper »,
Ça, c’était le ministère de l’Intérieur. Les interventions au plus haut niveau du pouvoir et les réactions à ces interventions révèlent la crispation du régime, de la tête du pouvoir à mon égard. L’ex ministre de l’enseignement supérieur, le grand savant en mathématiques…. Est venu en Tunisie et a rencontré le chef de l’Etat, qui lui a promis de régler définitivement ma situation. Le ministre m’a nommé à l’université Pierre et Marie Curie de Paris, mais aucune promesse n’a été tenue et le ministre m’a dit par la suite : pour la première fois, je reçois des promesses du plus haut responsable de l’Etat, qui se rétracte ensuite. Ensuite, l’éminente personnalité qu’est le professeur Mohammed…, prix Nobel à l’origine de la fabrication de la bombe atomique au Pakistan, est venu à deux reprises en Tunisie. Il a reçu la promesse que ma situation serait réglée, mais ces promesses n’ont pas été tenues. Puis il y a eu l’intervention du prince héritier saoudien Abdallah qui m’a nommé Professeur à l’Université de Riadh et a demandé aux autorités tunisiennes de me laisser allers à l’ambassade d’Arabie Saoudite y retirer l’arrêté de nomination, mes émoluments, ainsi que les documents de voyage, d’autant que mon départ était fixé pour le mercredi. Je les ai informés que ni moi ni ma famille n’avions de passeport. On m’a répondu qu’en une heure, les passeports seraient à ma disposition. Mais… rien, en dépit de toutes ces importantes interventions, mon problème n’a pas été réglé. Le Président lui même m’a envoyé son conseiller qui m’a assuré que mon problème serait résolu le plus vite possible, mais… rien. Je ne peux expliquer ces pratiques disproportionnées à mon encontre que parce que je suis intègre, Dieu soit loué, et que le régime n’a rien trouvé à exploiter, ni à me reprocher ; Quant à moi, je ne transigerai pas sur le droit. On attend de moi que je cède aux provocations matérielles (…)
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