Association des Magistrats Tunisiens

Palais de Justice

Tunis

INTRODUCTION

Les magistrats tunisiens se sont basés, dans l’exercice de la liberté d’association et la constitution des associations judiciaires, sur trois fondements :

  • La garantie des droits d’association et d’expression en vertu de la constitution du 1er juin 1959 et la réglementation juridique des associations.
  • La tradition de l’organisation judiciaire en Tunisie jalonnée par la constitution de l’Association Amicale des Juges Tunisiens, sous le protectorat français, le 18 juillet 1946 dont l’activité s’est poursuivie après l’indépendance sous la dénomination de « l’Association Amicale des Magistrats » ensuite par la constitution de l’Association des Jeunes Magistrats le 12 novembre 1971 qui a été dissoute le 15 avril 1985 par décision du Ministre de l’Intérieur et enfin par la naissance de l’Association des Magistrats Tunisiens le 11 février 1990 sur la base de l’unification de l’organe représentatif des magistrats.
  • La garantie de la liberté de constitution des associations judiciaires en vertu des traités internationaux et des principes fondamentaux de l’indépendance de la magistrature afin de représenter les intérêts collectifs des magistrats et protéger leur indépendance. Cependant, le droit de réunion des juges dans le cadre d’associations à caractère professionnel ou social et l’exercice du droit syndical conformément à la loi n’ont pas été consacrés dans les statuts propres des Magistrats.

La garantie de la liberté de constitution des associations judiciaires permet, en principe, aux juges d’adhérer à des organisations afin de représenter leurs intérêts collectifs, d’exprimer leurs opinions et de prendre des positions, orales ou écrites, à propos des sujets relatifs à leurs fonctions et à l’administration de la justice. Ce qui permet aux associations d’organiser des assemblées, des congrès ou des réunions et de communiquer leurs points de vue par les moyens appropriés.

A ce propos, on peut considérer que la constitution de l’Association des Magistrats Tunisiens (AMT) et l’approbation de ses statuts est une consécration du droit d’adhésion des juges à une association judiciaire afin d’exprimer, représenter et défendre, dans un cadre unique, leurs intérêts collectifs.

La naissance de l’AMT a été précédée, notamment, par :

  • L’expression du gouvernement, à l’occasion d’un conseil ministériel restreint, le 15 janvier 1988, de sa préférence pour un organe unique représentant tous les magistrats.
  • L’accord des juges à constituer une structure unifiée et l’élection d’un nouveau bureau exécutif de l’association amicale des magistrats le 2 juillet 1988 afin de préparer la réunion du 3ème congrès des magistrats le 11 février 1990.
  • L’organisation du 3ème congrès et l’adhésion de tous les juges à l’Association Amicale des Magistrats sous la dénomination nouvelle de l’AMT.

La naissance de l’AMT et le développement de son activité durant les 15 années de son existence ont permis d’affirmer sa position comme l’unique représentant, sur les places nationale et internationale, de tous les magistrats tunisiens sur la base d’une légitimité électorale et ce à travers notamment :

  • La réalisation, dans le cadre des possibilités d’expression et par des moyens très limités, de ses objectifs fondamentaux qui sont :
    • La défense de l’indépendance des magistrats et leur immunité conformément à la constitution, aux traités internationaux et aux lois internes,
    • La défense de leurs intérêts moraux et pécuniaires,
    • Le développement de la profession par l’amélioration des conditions du travail, l’encouragement de la recherche scientifique et le soutien de l’activité culturelle,
    • L’entretien des relations avec les différentes organisations juridiques et judiciaires et la recherche à constituer une ligue maghrébine des magistrats.
  • L’élargissement de sa représentation pour atteindre actuellement 1870 magistrats adhérents dont 1675 magistrats de l’ordre judiciaire et 195 magistrats exerçant au sein du Conseil d’Etat (tribunal administratif et cour des comptes).
  • L’organisation de son administration et de son activité selon des statuts propres qui disposent notamment la désignation de son siège au palais de justice de tunis et l’élection d’un conseil national composé d’un bureau exécutif et d’un comité administratif pour deux années et la représentation des différents tribunaux par le comité administratif qui se compose de 38 magistrats et la tenue d’assemblées générales ou extra ordinaires et d’un congrès tous les 2 ans au cours duquel sont organisées les élections du bureau exécutif au moyen d’un scrutin secret et personnel et l’élection d’un président qui représente l’Association et dirige le conseil national et exécute ses décisions.
  • Le tenue de 7 congrès des magistrats sous l’égide de l’Association à commencer par le 4ème congrès réuni le 29 novembre 1992.
  • La confirmation de son adhésion à l’Union Internationale des Magistrats sur la base de l’adhésion de l’Association Amicale des Magistrats depuis le 18 février 1961.

A ce propos, il faut signaler l’importance exceptionnelle de la tenue du 10ème congrès réuni le 12 décembre 2004 et ce pour plusieurs raisons :

  • La présence de 1200 magistrats sur 1800 adhérents à l’association et la participation de 998 magistrats dans l’élection du bureau exécutif actuel.
  • La confirmation du caractère personnel des élections du bureau exécutif par l’annulation pour la première fois de l’élection par procuration ce qui a renforcé la transparence de l’opération électorale.
  • La tenue du congrès dans un contexte caractérisé par une controverse publique sur les conditions de l’indépendance de la justice et des réactions dans le milieu judiciaire suite à l’approbation dans un conseil ministériel le 13 novembre 2004 d’un projet gouvernemental modifiant et complétant la loi du 14 juillet 1967 relative au statut des magistrats sans consultation préalable d’aucune forme de l’association des magistrats.
  • L’affirmation par le congrès des revendications fondamentales des magistrats à savoir, en premier lieu, l’instauration d’un statut développé renforçant aussi bien la position du juge que l’indépendance de la magistrature et la nécessité de réviser le dernier projet de loi conformément aux aspirations des juges tunisiens.
  • Les répercussions de la tenue du congrès et ses recommandations sur la future situation des magistrats et la garantie de leur droit d’association dans le cadre de l’AMT.

Au vu de ces considérations, le présent rapport a pour objet la formulation des revendications fondamentales des magistrats tunisiens comme étant la représentation de leurs intérêts collectifs (A) tout en signalant les menaces constatées à l’encontre de ces intérêts (B) .

A- LA REPRESENTATION DES INTERETS COLLECTIFS DES MAGISTRATS TUNISIENS :

La réalisation des objectifs de l’AMT a toujours été liée aux conditions professionnelles des magistrats, à la nature des relations avec le Ministère de la Justice entant qu’autorité de tutelle pour la majorité des magistrats contrôlant ainsi la majorité des tribunaux et des institutions judiciaires. D’une manière générale, l’AMT a pu défendre, principalement et dans des conditions difficiles, l’indépendance des magistrats et leurs intérêts moraux et matériels.

    A-1- La défense de l’indépendance des juges :

    L’instauration d’un statut protecteur de l’indépendance de la justice a constitué, au moins depuis la tenue du 1er congrès des magistrats le 9 avril 1982, la revendication fondamentale des magistrats tunisiens.

    En plus, les restrictions apportées au droit d’association ont été l’occasion, dans une période récente, d’affirmer les droits des juges à l’_expression et à la réunion dans le cadre de l’AMT.

    a- La revendication d’un statut protecteur de l’indépendance de la justice :

    Les juges ont toujours considéré que la consécration par la constitution de dispositions spéciales relatives au pouvoir judiciaire signifie que la fonction de juger relève de la compétence exclusive d’une autorité qui exerce une pouvoir réel dans l’appareil de l’Etat.

    Toutefois, les juges considèrent que l’exercice de ce pouvoir nécessite la consécration dans un statut autonome d’un certain nombre de garanties d’indépendance.

    A ce propos, ils ont toujours considéré que la loi du 14 juillet 1967 régissant le statut de la majorité des magistrats ainsi que les lois spéciales réglementant, selon les mêmes principes, la situation des juges au conseil d’Etat, sont caractérisées par l’absence des garanties fondamentales de l’indépendance et ce pour diverses raisons :

    • l’absence du principe fondamental de l’inamovibilité des magistrats qui constitue la garantie traditionnelle de l’indépendance de la justice ainsi que l’absence du principe interdisant la mutation ou l’affectation nouvelle du juge sans son consentement même en avancement.
    • La composition du Conseil Supérieur de la Magistrature sur la base de la désignation directe par l’exécutif en dehors du conseil de 9 membres avec la désignation d’office du Ministre de la justice comme vice-président et le contrôle direct par le Ministère de la justice de l’élection de 6 membres selon un mode de scrutin caractérisé par l’absence de toute transparence.
    • L’instauration d’un système d’avancement au choix par le Conseil Supérieur de la Magistrature.
    • L’adoption d’un régime disciplinaire basé sur le pouvoir discrétionnaire du Ministre de la Justice dans la détermination de la faute disciplinaire et un organe disciplinaire lié aux mêmes principes régissant la composition du Conseil Supérieur de la Magistrature.

    Les propositions de l’AMT pour l’amélioration du statut des magistrats se sont basés principalement sur trois fondements :

    -  La position constitutionnelle du pouvoir judiciaire et le principe de la séparation des pouvoirs.

    -  Les critères internationaux de l’indépendance de la justice contenus dans les traités internationaux.

    -  Les recommandations émises par les différents congrès des magistrats visant notamment :

    • l’instauration de garanties de principe concernant l’énonciation expresse, conformément à la constitution, de la position des magistrats comme Pouvoir et l’interdiction de muter le juge sans son consentement tout en se limitant à ce propos à des exceptions minimales.
    • La réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature à travers, notamment, la fixation de son siège en dehors du Ministère de la Justice, l’élargissement de la base élective dans sa composition, le renforcement de ses compétences, la réglementation de son administration, l’amélioration de ses méthodes de travail afin de garantir la participation de tous ses membres, la réglementation de la candidature et le mode d’élection de ses membres et l’établissement d’un règlement intérieur propre.
    • L’affirmation de l’autonomie de la fonction judiciaire par rapport à la fonction publique à travers notamment un régime salarial propre et un régime de retraite spécifique, l’unification pour tous les magistrats de l’âge de la mise à la retraite et l’interdiction de révocation administrative du juge en dehors de l’action disciplinaire.
    • La révision du régime d’avancement et l’instauration du principe d’avancement automatique.

    Tout en se référant à ces fondements et notamment aux recommandations du 10ème congrès des magistrats, le bureau exécutif actuel de l’AMT s’est opposé au projet gouvernemental modifiant le statut des magistrats de l’ordre judiciaire, approuvé le 30 juillet 2005 par la chambre des députés et promulgué le 4 août 2005 (Journal Officiel du 12 août 2005).

    A ce propos, le bureau exécutif a signalé que cette loi a été formulée en dehors des préoccupations directes des magistrats et de leurs besoins réels concernant l’amélioration de leurs situations morales et pécuniaires et ce pour diverses raisons :

    • La loi dans la majorité de ses dispositions se rapporte à la matière disciplinaire (7 sur 10 articles de base).
    • L’absence de toute modification substantielle concernant la composition du Conseil Supérieur de la Magistrature.
    • Les dispositions relatives à la mutation des juges sont en contradiction avec le principe de l’inamovibilité.
    • Les dispositions relatives aux procédures disciplinaires se sont limitées à des modifications partielles avec une tendance vers l’affaiblissement des garanties disciplinaires par l’interdiction du recours pour excès du pouvoir devant le tribunal administratif et la création d’un recours interne auprès du Conseil Supérieur de la Magistrature.

    b- L’affirmation des droits d’expression et d’association

    L’affirmation de ces droits inhérents à l’indépendance de la justice a été liée à la défense par l’Association de l’indépendance de ses structures suite à ses prises de position de principe sur le projet modifiant le statut des magistrats, les élections des membres du Conseil Supérieur de la Magistrature, le mouvement de mutation et d’avancement et la défense de l’intégrité morale des tribunaux.

    A ce propos, l’Association a insisté notamment à travers le bureau exécutif actuel, sur :

    • La liberté de réunion dans le cadre de l’Association des Magistrats et la nécessité pour les juges de renforcer leur appartenance à ses principes, leur attachement à ses organes afin de déjouer toute tentative portant atteinte à son indépendance.
    • Le refus des pressions de toutes natures sur les organes de l’Association visant la menace du droit des magistrats à représenter leurs intérêts et exprimer leurs opinions dans le cadre de la loi.
    • Le refus des réunions parallèles à l’action de l’Association et en dehors de tout cadre légal.

    A-2- la défense des intérêts moraux et matériels des magistrats :

    La défense par l’Association de ces intérêts, caractérisés par leur diversité, a porté principalement sur la revendication d’un rôle plus efficace du Conseil Supérieur de la Magistrature et la protection de la carrière du juge.

    a- La revendication d’un rôle plus efficace du Conseil Supérieur de la Magistrature :

    Afin d’améliorer le rôle du Conseil dans la réalisation des garanties professionnelles des juges, l’Association a toujours insisté sur la participation de tous ses membres à la préparation du « mouvement judiciaire » concernant la mutation et l’avancement des juges ainsi que sur la transparence dans le déroulement des élections des membres représentant les juges.

    A propos du « mouvement judiciaire », le bureau exécutif actuel, dans une étude exhaustive, consacrée à ce problème, a revendiqué notamment :

    • La rationalisation des mécanismes de préparation du « mouvement judiciaire » dans le but de protéger les magistrats contre l’utilisation des mutations et des avancements visant la limitation des garanties d’indépendance.
    • La nécessité de préparer le « mouvement judiciaire » par un organe indépendant, représentatif et selon des procédures caractérisées par la transparence.
    • La préparation du « mouvement judiciaire » selon des critères objectifs et sur la base d’une appréciation objective de l’activité professionnelle du juge.
    • L’élection d’un comité indépendant parmi les membres du Conseil représentant les différentes catégories des juges avec la participation des membres élus pour élaborer un projet du « mouvement » qui doit être discuté en présence de tous le membres avant son approbation finale.

    Concernant les élections du Conseil Supérieur de la Magistrature, l’Association a relevé que le mode d’élection des représentants des juges, réglementé par un arrêté du Ministre de la Justice qui date du 9 janvier 1973, est caractérisé par une candidature obligatoire de tous les juges, un scrutin par correspondance ne remplissant pas les garanties minimales d’une opération secrète et personnelle et l’absence de toutes garanties dans les procédures de dépouillement des voix par un comité désigné par le Ministre de la Justice et en l’absence des magistrats concernés.

    Afin de renforcer la participation des juges dans la réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature et instaurer une représentativité réelle de leur institutions, l’Association a approuvé l’exercice, pour la première fois, du droit d’opposition à l’encontre des derniers résultats des élections du Conseil et a appelé à la révision des procédures d’élection sur des bases nouvelles garantissant pour les magistrats la transparence et la neutralité dans l’organisation de l’opération électorale.

    b- La protection de la carrière du juge

    L’Association a toujours critiqué les pratiques constatées à propos de l’avancement et de la mutation des juges caractérisées par l’absence des garanties fondamentales.

    Concernant l’avancement des juges, l’AMT a revendiqué une réforme du régime actuel afin de protéger le juge dans sa carrière et préserver son indépendance. A ce propos, elle a constaté, à titre d’exemples, la lenteur sans précédant, des avancements, l’apparition du phénomène dit de « redoublement » des juges et l’absence de critères objectifs dans l’élaboration du tableau d’avancement ou la nomination aux fonctions judiciaires.

    Concernant la mutation des juges, l’Association, tout en insistant sur la consécration du principe d’inamovibilité du juge, a relevé les répercussions de la mutation des juges sur l’indépendance de la fonction judiciaire, ainsi que sur les situations familiales et sociales des magistrats, l’existence du phénomène de « mobilité » sans motifs et pour des raisons diverses, à l’origine d’un vrai syndrome de précarité et d’insécurité chez les magistrats et la possibilité de muter le juge par décision du Ministre de la Justice pour nécessité de travail…

    Afin de protéger la carrière du juge, l’AMT a notamment proposé :

    • L’instauration de critères objectifs par le Conseil Supérieur de la Magistrature concernant le mouvement d’avancement et de mutation des juges et la nomination dans les fonctions judiciaires.
    • La prise en considération du consentement du juge et de sa situation familiale et sociale avant toute décision de mutation.
    • L’élargissement des garanties nécessaires pour l’avancement et la mutation et ce notamment :
      • Par la motivation des décisions arrêtées par le Conseil Supérieur de la Magistrature concernant la mutation des juges et leur avancement,
      • Par l’instauration d’un système objectif d’évaluation de l’activité professionnelle du juge lui garantissant notamment le droit de discuter cette évaluation selon une procédure transparente,
      • Par la réglementation des procédures d’opposition à l’encontre du tableau d’avancement et du tableau d’aptitude.

B- LES MENACES DES INTERETS COLLECTIFS DES MAGISTRATS TUNISIENS :

Ces menaces qui concernent essentiellement le droit d’association des juges tunisiens et la représentation de leurs intérêts dans le cadre de l’AMT, ont été dénoncées principalement par le bureau exécutif actuel de l’Association et son conseil national.

Les pratiques menaçant, en l’état actuel, l’existence même de l’Association et qui ont conduit le 31 août 2005 à la fermeture de son siège, se sont développées à partir de la date d’élection du bureau exécutif actuel au dernier congrès des magistrats, le 12 décembre 2004, et selon un plan en rapport direct avec Le Ministère de la Justice visant l’affaiblissement de l’association dans le but d’affaiblir la position des magistrats et la représentation de leurs intérêts légitimes

Les pressions à l’encontre des membres de l’association et les menaces de leur droit d’_expression ont connu, même, avant la tenue du 10ème congrès une certaine gravité. A ce propos, nous signalons la dénonciation par le conseil national de l’association, le 11 juillet 2004, des pressions exercées par les procureurs généraux et les procureurs de la république au nom du Ministère de la Justice à l’encontre des magistrats membres du comité administratif afin de leur interdire la liberté d’_expression et limiter leurs activités au sein de l’association et la dénonciation par l’ex-bureau exécutif de l’association, le 30 juillet 2004, de l’interdiction d’une conférence de presse le même jour au siège de l’association et la dénonciation, le 3 août 2004, d’une campagne orchestrée afin de semer le doute sur les objectifs réels de l’Association ainsi que sur ses revendications.

Le bureau actuel de l’association a considéré, dans un communiqué qui date du 13 juin 2005, que ces pratiques ont pour but de porter atteinte à l’indépendance et à la crédibilité de l’association dans son action de défense des intérêts collectifs des magistrats. Il a affirmé que le Ministère de la Justice couvre et se trouve derrière les actions individuelles dans le but de déstabiliser les institutions de l’Association.

Dans ce même contexte, le bureau exécutif a dénoncé un certain nombre de pratiques qui consistent principalement à exploiter certains médias pour mettre en cause la représentativité de l’Association tout en mettant des obstacles professionnels à ses membres.

Le bureau exécutif a toujours insisté sur les raisons réelles de ces pratiques qui ont pour but de retarder l’examen des revendications des magistrats concernant leurs situations morales et matérielles, ce qui est de nature à affecter l’avenir des magistrats et leur indépendance et qui sont en rapport direct avec des prises de position de l’Association concernant les intérêts des magistrats.

A ce propos, les atteintes portées au droit d’association professionnelle des juges ont pris, dans le contexte actuel, deux formes principales de gravité variable : l’absence de consultation et la menace de la liberté d’association.

a- l’absence de consultation

La consultation des magistrats, à travers l’organe représentatif de leurs intérêts, constitue le fondement même du droit d’association professionnelle.

Ce droit consacré par les traités internationaux relatifs à l’indépendance de la justice, interdit la détermination des règles statutaires concernant les juges sans leur consultation préalable.

A l’encontre de ces principes, la négation en l’état actuel de ce droit de consultation s’est manifestée principalement à deux niveaux :

  • Les pratiques d’isolement du bureau exécutif et des membres du conseil national sur le plan des relations officielles avec le Ministère de la Justice.

    Il est à signaler que le bureau actuel n’a été reçu qu’une seule fois par le Ministre de la Justice suite à un communiqué en date du 2 mars 2005 concernant des faits graves survenus au palais de justice de Tunis.

    Le Ministre de la Justice qui a rejeté les demandes d’audience adressées par le bureau exécutif actuel, a insisté à deux reprises sur l’existence de conflits entre les magistrats et au sein de leur association.

  • L’approbation et la promulgation de la loi du 4 août 2005 modifiant le statut des magistrats sans la consultation de leur association en dépit de la position de l’ex-bureau exécutif qui a demandé le retrait du projet le 29 novembre 2004, des recommandations du 10ème congrès, de la demande du bureau exécutif actuel appelant à lui permettre d’expliquer la position des juges à propos du projet ( communiqués du 29 décembre 2005 et du 21 juillet 2005) de la demande de l’assemblée générale extraordinaire de l’Association du 3 juillet 2005 et de la demande d’un certain nombre de parlementaires, qui ont appelé, avant l’approbation du projet, à inviter le président de l’Association afin de connaître le point de vue des magistrats, ce qui a provoqué à l’Assemblée Générale du Parlement un fervent débat parmi les députés et l’objection, pour la première fois, de 16 d’entre eux avec 13 abstentions.

b- La menace de la liberté d’association

Cette menace qui risque de conduire à une dissolution de fait de l’Association s’est manifestée à partir du 3 mars 2005 sous prétexte de la prise de position du bureau exécutif concernant l’atteinte à l’intégrité morale des tribunaux, la violation du droit de défense et les conséquences de ces agissements sur les garanties requises pour les justiciables.

L’enchaînement d’un certain nombre d’agissements, sur une période de 7 mois, a permis de mettre en clair la diversité des atteintes visant l’indépendance de l’Association, la représentativité de ses structures et les droits de ses membres à exprimer leurs opinions dans le cadre légal.

Ainsi, on signale, par ordre chronologique, les menaces les plus flagrantes :

  • l’encouragement d’agissements individuels dans les tribunaux pour mettre en doute la représentativité de l’Association et l’appel de certains magistrats, à partir du 3 mars 2005, à approuver des pétitions fin prêtes et l’organisation dans la période du 3 au 12 mars 2005 de réunions parallèles à l’action de l’Association sur ordre du Ministère de la Justice. Ces pratiques ont été dénoncées par le bureau exécutif le 5 mars 2005 et par le Conseil National de l’Association le 10 avril 2005.
  • L’exploitation des moyens logistiques des tribunaux, soumis à l’autorité directe du ministère de tutelle, pour la mobilisation d’un groupe de magistrats constitué principalement des procureurs généraux, des procureurs de la République et des présidents de tribunaux pour la préparation d’un rassemblement qui s’est déroulé, sur le lieu même où aurait dû se tenir le Conseil National du 12 juin 2005 ce qui a provoqué la levée de la réunion.
  • La déclaration du Ministère de la Justice, le 23 juin 2005, à propos de conflits entre les magistrats et au sein de l’Association et l’utilisation de certains journaux pour la propagation de ces propos ainsi que la possibilité d’un désaveu à l’encontre du bureau exécutif.
  • Des tentatives échouées pour organiser une assemblée générale extraordinaire le 10 juillet 2005 en dehors de toute légalité et des tentatives d’entraver la tenue d’une assemblée générale extraordinaire sur convocation du bureau exécutif actuel le 3 juillet 2005 pour discuter de la situation de l’Association, du projet de modification du statut des magistrats et le mouvement des mutations et des avancements.
  • L’exécution, en dehors de l’assemblée généraledu3 juillet 2005 d’uncertain nombre d’actesclandestinsconsistantàdemanderàun certain nombre de magistrats d’apposer leurs signatures sur des feuilles blanches pour, ensuite, annexer ces signatures à un texte rédigé au nom des magistrats tunisiens appelant au désaveu du bureau exécutif, la convocation à un congrès électoral extraordinaire le 4 décembre 2005 et la désignation d’un comité provisoire pour l’administration des affaires de l’Association et la préparation du congrès.
  • Le refus de la majorité des journaux de publier la motion de l’assemblée générale du 3 juillet 2005 et la propagation par un certain nombre de journaux de fausses données sur l’assemblée générale et ses décisions afin de confirmer la décision prise à l’échelle du Ministère de la Justice de créer un comité provisoire pour administrer les affaires de l’Association.
  • L’avancement dans la liquidation des structures et des situations professionnelles de leurs membres actifs à partir du 30 juillet 2005 qui a connu également :
    • L’insistance du Ministre de la Justice, pour la deuxième fois, à l’occasion du débat parlementaire sur le projet modifiant le statut des magistrats, sur les conflits entre magistrats tout en affirmant que les conflits au sein de l’Association est une affaire interne.
    • L’insistance du Ministre de la Justice sur la réalisation effective de la consultation de l’association à propos du projet de loi modifiant le statut des magistrats.
    • La décision prise dans une réunion préparatoire du conseil supérieur de la magistrature au siège du Ministère de la Justice d’utiliser le mouvement des mutations pour réaliser une déstructuration de l’Association et pour la vider de ses membres actifs ; ce qui a permis, en dehors, de toutes garanties :
      • La mutation abusive de deux membres du bureau exécutif dans le but de paralyser son activité,
      • La mutation de 15 membres parmi les 38 qui composent le comité administratif afin de créer un vide structurel et spécialement,
      • La mutation abusive de 9 membres de ce comité et un certain nombre d’adhérents dépassant 20 magistrats pour des raisons liées à l’exercice de leurs droits à exprimer leurs opinions, à leur activité au sein des structures de l’association et à leur action en vue de la réalisation de ses objectifs.
    • L’utilisation de procédés tendant à étouffer l’activité du bureau exécutif au siège de l’association (contrôle policier, enlèvement des communiqués collés devant le siège, coupure des moyens de communication)
    • L’appel adressé le 29 août 2005 au bureau exécutif de quitter le siège de l’Association et de rendre ses clefs sous prétexte de l’existence de différends entre les membres de l’Association.
    • La fermeture du siège de l’association par voie de fait le 31 août 2005 sans avis et sans aucune décision ni administrative ni judiciaire sur ordre du Ministère de la Justice.

Tunis le : 16 septembre 2005

Pour Le bureau exécutif
Le Président de l’Association des Magistrats Tunisiens

Ahmed RAHMOUNI