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Les démènements du tandem HAICA/ISIE n’ont pas empêché le couple médias-politique de sombrer dans l’obscène. Et là, l’obscène n’est pas seulement ce qui heurte le bon goût, mais aussi ce qui rabaisse le débat démocratique au plus bas. En exemple, la dérive d’un candidat-président qui est tombé, dans la matinale de Mosaïque FM, dans le panneau de la manipulation en prenant à son compte des propos sexistes et discriminants. Mais que ne feraient les politiques pour sauver leur peau, en ces temps de disette démocratique!

Ce matin-là, Mustapha Ben Jaafar, puisque c’est de lui qu’il s’agit, entamait son intervention en remerciant Radio Mosaïque pour « son objectivité ». Il s’avisa, ensuite, de dire qu’il « respectait la femme tunisienne qui lave le linge et la femme tunisienne qui s’épile les sourcils » ! Mais pourquoi diable, le président sortant de l’ANC affichait-il, soudain, cet engagement incongru, qui de plus est, résolument machiste ? Sur les réseaux sociaux, des internautes se sont offusqués de ces propos sexistes. Une tweeple s’indignait : « Il n’a pas à répondre en ces termes, il devrait dire que ce n’est pas là, la place des femmes. Pourquoi n’a-t-il pas dit : je suis contre cette représentation » !

En réalité, la manœuvre s’est tramé avec l’édito de Néji Zairi qui, plus tôt dans cette matinale, dénigrait « l’initiative de Ben Jaafar » en comparant ce dernier à « une femme faisant la lessive qui, du jour au lendemain, se met à s’épiler les sourcils » !

La connotation est entendue : la femme qui lave le linge est dénuée d’esthétique. Dans l’imaginaire traditionnel, cette femme vouée aux tâches ménagères est un modèle de bonne morale. A contrario, celle qui s’épile les sourcils est plutôt une femme qui se préoccupe de son apparence et, forcément, qui ne lave pas le linge. Ce qui ne l’absout pas d’immoralité ! Passer d’un modèle à l’autre, du jour au lendemain, n’est donc en rien positif.

Ainsi, non-content de les instrumenter lui-même, le journaliste a fait tomber le politique dans le panneau des croyances et des représentations populistes. Voulant éluder cette comparaison dévalorisante dont il était l’objet, Ben Jaafar a donc cru bon de légitimer le sexisme ordinaire, en reprenant à son compte ces deux stéréotypes discriminatoires et non moins caricaturaux qu’il a jugé « respectables ». En homme du consensus à tout prix, le candidat à la présidentielle, n’a donc même pas daigné relever que la critique qui le ciblait était fondée sur le genre, préférant encaisser la double injure en la positivant. A moins que le candidat n’ait pas de problème avec le sexisme. Dans les deux cas, en termes de communication politique, on peut dire que le Secrétaire général d’Ettakatol a raté le coche.

Il n’y a pas si longtemps, des députés proféraient, impunément, des propos sexistes et dégradants pour inoculer une idéologie violente dans le texte et dans les esprits. Mais, le sexisme n’est pas un argument, il ne fait que chahuter l’apprentissage du débat démocratique. En termes d’encadrement éditorial du débat, on constate que les médias ne sont pas sortis de l’auberge en entretenant le droit au commentaire affligeant. En cela, la bipolarisation ambiante, ainsi que les inconstances et les dérives des politiques les aiguillonnent à fond.

Tout récemment, encore sur Mosaïque FM, un autre candidat à la présidentielle, Yassine Chennoufi, déclarait que « les collaborateurs et les traitres ont profité de la révolution pour gagner du terrain ». En face de lui, le journaliste, reformula l’accusation en question, sans s’en scandaliser outre-mesure, préférant rappeler à son interlocuteur son accointance avec les Trabelsi, du temps qu’il était agent de la douane tunisienne.

De son côté, Moncef Marzouki s’est résolu à mobiliser l’électorat salafiste en qualifiant ses concurrents de « Tâghoût » (ceux qui pratiquent des lois différentes que celles qu’« Allah a fait descendre »), lors d’un discours de campagne.

Après « la pensée magique » inaugurée en 2011, le cycle politico-médiatique qui s’enclenche revient à « la pensée obscène », qui a connu de beaux jours sous l’ère Ben Ali. Et les éléments de langage nous le disent : faute d’arguments et de solutions économiques, la politique ne se soucie ni de morale ni d’éthique. Les médias non plus, d’ailleurs. Pendant ce temps, débordé, le tandem Isie/Haica est sur la dernière ligne de feu, toujours entre ces deux rangées de canon qui ont intensifié les tirs.

Dans cet état général de déni démocratique, comment espérer inventer une autre façon de faire de la politique et de produire l’information ? Un chroniqueur comme Haythem Mekki l’aura, sans doute, compris, en mettant à profit le premier degré du langage pour démontrer l’indécence et l’hypocrisie politico-médiatique, mais aussi l’inconstance de l’opinion publique (qui, comme on le sait, depuis Bourdieu, n’existe pas). En exemple, l’une de ses dernières tirades sur « l’objectivité journalistique à la tête du client ». Ou encore ce statut qui résume l’impasse :

L’envers de l’équation : techniquement, si tous les politiques, dont les partis ont perdu aux élections législatives, se retiraient des présidentielles, les candidats-mafieux deviendraient plus nombreux que les politiciens. Haythem Mekki.