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Depuis la révolution tunisienne, il est peu de réalité aussi essentielle et aussi sujette à disputes que la liberté. Les discours qui la nient ne manquent pas et les oppressions qui la bafouent sont légion. La liberté semble être l’objet des propos les plus contradictoires selon les différentes idéologies et les diverses écoles politiques.

Face à ces difficultés méthodologiques, nous somme obligés de reposer la question : « Que signifie la liberté ? ». Le citoyen, alors qu’il pense ou qu’il agit, peut-il être considéré comme un être libre ? Subit-il au contraire les lois inflexibles de la nécessité naturelle ? Plus que tout autre, ce problème a exercé la sagacité des penseurs. La liberté du vouloir humain a été, par les uns, passionnément défendue, par les autres, obstinément contestée.

Certaines personnes, choquées dans leurs plus chères convictions morales, estiment qu’il faut être d’esprit borné pour mettre en doute cette liberté qui se manifeste avec toute la force de l’évidence. Certains, au contraire, trouvent suprêmement anti-scientifique de supposer en faveur des actes humains une discontinuité de l’enchaînement naturel des effets et des causes.

La liberté semble donc, aux premiers, le plus noble privilège de l’homme, aux seconds, sa plus vaine illusion. Pour expliquer que l’acte libre puisse s’insérer dans l’ordre de la nature, à laquelle l’homme lui-même appartient, les philosophes du libre-arbitre ont inventé des subtilités infinies. Leurs adversaires, avec non moins de peine, ont montré comment l’idée illusoire de la liberté avait pu germer dans la conscience humaine.

C’est pourquoi on doit noter au préalable que les difficultés d’une définition de la notion de la liberté sont en effet nombreuses. Tout d’abord, parce que la liberté est souvent présentée comme un objet de conquête et simultanément comme une réalité inaliénable, car il s’agit d’un idéal et d’une perfection constructive de la citoyenneté. Pourtant, si elle est à conquérir, elle n’est pas déjà donnée, et si, en revanche, elle est inaliénable, elle est toujours là.

Ces deux pôles induisent à leur tour des contradictions phénoménologiques, car si on tient la liberté pour inaliénable, sa défense apparaît inutile voir contradictoire, et si on la défend, elle peut être tenue pour une réalité fragile car elle est lié à son contexte historique. Cette première difficulté conduit à une seconde où la définition consiste à tracer sa signification profonde.

En effet, la liberté est toujours liée à la pensée humaniste, qui se marque par des luttes socio-politiques contre la pensée unique et les régimes totalitaires qui visent à créer un citoyen inséré dans une société uniforme sans liberté ni pluralisme.

Dans son ouvrage intitulé « An Essay concerning human understanding », John Locke se présente comme un penseur constitutionnaliste, car il a su conserver l’idée, à l’origine classique, d’une communauté morale indépendante de l’institution politique. La pensée de Locke aurait comme finalité la défense des intérêts et des biens individuels et la préservation d’une liberté qui trouve ses fondements dans l’obéissance à la loi.

Cette thèse rejoint, de façon plus générale, l’interprétation sous-jacente de Jean-Fabien Spitz, qui a utilisé la pureté du concept kantien, qui considère la liberté comme « commencement absolu », en ajoutant que la liberté moderne trouve sa source dans une conception d’une loi naturelle ou dans un accès rationnel à un ordre objectif et universel de justice. D’où le souci de chercher les moyens de préserver l’idée que le règne de la loi est la seule voie de la liberté et, quoi qu’on s’y trompe souvent, le droit n’a pas pour fin d’abolir la liberté ni de l’entraver, mais de la conserver et de l’accroître.

En plus de cela, les créatures capables de vie juridique, quelle que soit leur condition, ne sont jamais libres sans lois. La liberté consiste à ne subir ni contrainte ni violence par le fait d’autrui, ce qui est impossible sans lois ; mais elle ne se définit pas, comme on le prétend, par la liberté pour chacun d’agir à sa guise.

En relevant certains paradoxes, on peut amener la réflexion jusqu’à la résurrection de la question classique : comment être libre, alors que n’importe qui peut vous imposer ses caprices ? En fait, ce que nous appelons liberté, c’est la possibilité de traduire notre citoyenneté en un fait pratique sans nous heurter au projet de l’autre.

En d’autre termes, c’est la liberté pour chacun de régler et d’ordonner à son idée sa personne, ses actes, ses possessions et tout ce qui lui appartient, dans le cadre des lois auxquelles il est soumis ; donc, de ne pas dépendre du vouloir arbitraire d’un autre, mais de suivre librement le sien propre.

John Locke présente la liberté comme :

« so far as a man has power to think or not to think, to move or not to move, according to the preference or direction of his own mind, so far is a man free… So that the idea of liberty is, the idea of power in any agent to do or forbear any particular action …»

Ici, la présence des termes « force » et « puissance » dans les définitions de la liberté atteste peut être l’influence de la philosophie classique dans la théorisation conceptuelle des philosophes des Lumières, alors que chez les théoriciens, qui visent également à l’universalité, on ne fait pas appel au concept de liberté en soi car il arrive d’employer la terminologie « degrés de liberté », pour laquelle les juristes possèdent des définitions bien formalisées dans des cadres particuliers et précis.

En somme, la reconnaissance de la liberté et de l’égalité en droit pose chroniquement le problème de recevabilité du pouvoir à corriger l’inégalité des données de fait en vue de reconstituer l’égalité nécessaire à un exercice « politiquement correct » de la liberté de tous. À ce stade, le niveau de l’éducation politique ne peut s’améliorer qu’avec la pratique démocratique elle-même ; le populisme n’a plus cours puisque nous avons affaire à des sociétés en métamorphose.

En définitive, comme à tout concept théorique ayant une valeur symbolique aussi chargée, la liberté reste une valeur universelle qui dépasse les spécificités socio-culturelles, l’histoire et la géographe.

Maintenant, il va falloir faire l’épreuve de ce que la société tunisienne postrévolutionnaire qui se voit et se veut au futur amène avec elle une manière d’être et de se déployer sans commune mesure avec ce qu’on l’on connaissait. C’est-à-dire une manière d’être libre qui remet radicalement en question notre expérience politique dans la mesure de créer une nouvelle culture de liberté basée sur les droits de l’homme, la tolérance et la démocratie.