Au XIXe siècle, les élites dans les sociétés de musulmans ont senti un besoin impérieux de réforme religieuse. Il ne s’agissait pas du sentiment qui revenait régulièrement depuis des siècles, de l’élan cyclique de purification de la foi, qui aurait marqué toute l’histoire des musulmans.

Au XIXe siècle, les élites dans les sociétés de musulmans ont senti un besoin impérieux de réforme religieuse. Il ne s’agissait pas du sentiment qui revenait régulièrement depuis des siècles, de l’élan cyclique de purification de la foi, qui aurait marqué toute l’histoire des musulmans. Si tel était le cas, il faudrait remonter plus loin, et penser immédiatement aux mouvements qui se sont manifestés au XVIIIe siècle en Arabie, au Soudan, en Libye. Ce qui est apparu au XIXe siècle était quelque chose de nouveau, dicté principalement par les dangers grandissants que les entités politiques d’alors (empires, sultanats) devaient affronter.

La première vague a été menée par des figures héroïques, telles que J. E. Al Afghani, M. Abduh, Khayr-Eddin. Elle a été dénommée réformiste parce que son souci majeur ne se réduisait pas, comme les précédents mouvements, à la purification du dogme et des comportements. Ces réformistes avaient le souci du regard de l’Autre et appelaient au changement autant pour retrouver la source inaltérée de la foi, que pour faire face aux interventions des puissances occidentales. Ce courant réformiste a fait l’objet d’une littérature si abondante que le sujet paraît aujourd’hui saturé (1). Notons pour notre propos que, parmi les générations ultérieures, il a donné lieu à des appréciations plutôt négatives. Pour les modernistes, le souci apologétique était dominant et n’aurait pas permis, malgré des intuitions parfois pénétrantes et des prises de position souvent courageuses, de porter un regard réellement critique sur la tradition ni d’amorcer une véritable mise à jour de la foi. Pour les traditionalistes, il était un mouvement « cavalier », une tentative sans lendemain de remettre en cause les certitudes éternelles de la religion. Mais peut-être que la condamnation la plus sévère est venue de l’histoire elle-même, qui l’a marginalisé au point qu’il paraît aujourd’hui comme un rêve dépassé ou une voie sans issue.(…)

La scène a été dominée au cours du siècle écoulé, comme on le sait, par un courant d’une toute autre nature, mêlant purification au sens traditionnel (c’est-à-dire un retour à l’orthodoxie tardive) à une idéologisation conforme à des modèles typiquement modernes. L’islam y est construit comme un système global, offrant une alternative à ce que la modernité a produit : droits de l’homme, démocratie, libertés etc. Le réformisme, « première version » semble bel et bien mort et enterré. Il a été débordé et remplacé par une autre poussée pour laquelle, comme le souligne R. Assayyid, il n’est plus question de réformer les conceptions ou les pratiques des musulmans (islah), mais plutôt de défendre l’identité que les musulmans se sont donnée durant leur histoire (2). Ce dernier courant a également fait l’objet d’une littérature si abondante que le champ semble plus que saturé.

L’idée de réforme est-elle pour autant enterrée ? Déjà du temps de Rachid Rida, un théologien, par une œuvre inouïe de hardiesse et de rigueur, a ouvert une brèche dans les perceptions et approches dominantes. Ce fut Ali Abderraziq qui, par un essai vif et concis, a produit une violente secousse dans la pensée contemporaine. Il est vrai qu’il a été réduit au silence après la publication de son ouvrage (3), qu’il n’eut pas de successeur immédiat, même si certains ont repris ses thèses, avec plus au moins de modifications, atténuations ou réserves etc. Ce qui constitue « l’air de famille » de ces entreprises, c’est leur détachement total de la tradition (…). Le retour aux sources qui est proposé est radicalement différent de ceux qui l’ont précédé. Contrairement à ce que les réformistes classiques proposaient, la tradition, les interprétations des premières générations sont rejetées au terme d’un examen critique systématique. Le fond de la foi est tenu pour être principalement une vision éthique adossée à une attitude religieuse, mais constituant la finalité, la raison d’être ultime du message. Il y eut Mohamed Iqbal, Mohamed Mahmoud Taha, Fazlur-Rahman, Mohamed Talbi, Abdelkarim Sorouch… Chacun s’est donné une problématique, une approche différente. Rien ne semble en faire un groupe cohérent. Ils convergent toutefois sur une vision à laquelle ils semblent être arrivés par des voies séparées, mais qui n’en constitue pas moins l’équivalent d’une plate forme aux traits nettement reconnaissables : rejet du système construit par la tradition savante, devenu l’expression de l’orthodoxie musulmane, au nom de la fidélité aux principes essentiels du message. En ce sens, un pas supplémentaire et significatif est franchi par rapport aux réformismes d’autrefois (les anciens et le moderne) : il ne s’agit pas de revenir à la foi des ancêtres vertueux (salaf salih), c’est-à-dire aux élaborations produites par les premières générations de « docteurs de la foi » et reprises puis figées par la tradition ultérieure. Il est question plutôt de contourner ces élaborations pour retrouver le souffle ou l’inspiration des origines (…).

Il faut dire que le tournant qui a rendu possible un tel développement a été sans doute la naissance des sciences humaines et sociales et, avec elle, l’émergence d’un point de vue extérieur aux traditions savantes prédominantes dans différentes sociétés. Jusqu’alors, chaque culture se regardait à travers ses propres productions, et donc au moyen des catégories et conceptions qu’elle avait engendrées ellemême. Même lorsque des entreprises critiques se développaient en son sein, elles étaient prises d’avance dans les limites qui étaient celles du dicible et du non-dicible. Abdelmajid Charfi, dans son dernier ouvrage (4), cite un exemple où Ibn Khaldoun est « pris en flagrant délit » de concession inadmissible à un principe arbitraire imposé par la tradition savante de son temps lorsqu’il s’agissait de questions religieuses. En effet, après un passage en revue des sources d’erreur dans les narrations des historiens, démarche qui paraît très moderne, Ibn Khaldoun se rétracte lorsqu’il s’agit des récits mobilisés dans l’élaboration du système des normes et règles religieuses, en arguant que leurs auteurs avaient un rôle limité à la rédaction et que leurs bonnes intentions ne pouvaient être mises en question. A. Charfi se révolte, dans des termes très vifs, contre un acte si arbitraire et proclame haut et fort l’obligation que ressentent les chercheurs aujourd’hui d’être khaldouniens intégralement, s’il le faut contre Ibn Khaldoun, c’est-à-dire d’appliquer strictement et sans exception les règles et méthodes des sciences humaines et sociales modernes.

Il paraît, a priori, inapproprié de traiter A. Charfi de révolté, car l’homme fait partie des chercheurs qui accumulent patiemment, méthodiquement et imperturbablement des éléments sur leur sujet de prédilection, au point de devenir une autorité qui impose le respect. Pourtant, c’est peut-être la révolte qui l’a poussé à proposer, dans son dernier livre, une véritable avancée à la démarche critique sur laquelle ont convergé de nombreux penseurs musulmans au cours du XXe siècle. Le traitement qu’il a appliqué à son sujet d’études se veut rigoureux et détaché de tous les préjugés prédominants, même les plus tenaces, même ceux qui sont enveloppés d’une aura sacrée.

Ce dernier ouvrage n’a, à prime abord, rien d’un pamphlet ni d’un recueil de dénonciations. Même l’opposition qu’il établit dès le titre, entre « message » et « histoire », s’inscrit dans les conventions qui régissent les approches savantes. Toutefois, dès l’introduction, on sent la volonté de pousser l’analyse plus loin que ce qu’on attend d’un travail dans le genre. En fait l’ambition de l’auteur semble de réaliser, à partir d’un inventaire des avancées critiques accomplies par divers chercheurs au cours du siècle, une percée qui permette d’offrir une clef d’interprétation ouvrant la voie à une intelligence nouvelle de la foi. Toute son entreprise semble tendue vers cet objectif. Les remarques qu’il énonce égrènent en quelque sorte les propositions faites par les uns et les autres (qui peuvent être d’illustres penseurs comme Ali Abderraziq, ou de jeunes chercheurs ayant consacré leurs thèses à des aspects cruciaux de la tradition). Mais, comme nous allons le voir, cet inventaire n’est pas destiné à établir un état des lieux, mais à permettre une ouverture qui les subsume tous et offre une vision nouvelle de la foi musulmane et de ses implications dans la vie moderne.

Cette intention apparaît au premier chef au niveau du choix de la langue d’écriture. De nombreux chercheurs qui travaillent sur ces questions optent souvent pour les langues européennes où ils se sentent plus à l’aise, à la fois parce qu’ils disposent de terminologies et d’appareils conceptuels « à jour », parce qu’ils ont un accès immédiat à la communauté académique internationale et bénéficient d’une reconnaissance appropriée et, enfin, parce qu’ils se sentent à l’abri du regard que peuvent avoir des masses encore dominées par des conceptions traditionnelles. A. Charfi fait le choix de s’exprimer en langue arabe. Pour lui, il s’agit justement d’approcher ce public dédaigné (ou craint) par les chercheurs et d’accomplir, au sein et à travers cette langue, le travail qui mobilise les concepts et les outils de la recherche moderne.

C’est que, encore une fois, l’objectif est bien plus que de communiquer des résultats de recherches accomplies par d’autres. Ce qui frappe dès cette introduction, c’est le « programme » assigné au travail et à sa publication, qui dépasse les objectifs habituels des travaux de recherche. L’auteur souligne en effet qu’il se propose de procéder à un ijtihad (une recherche, un effort rationnel) au sens plein du terme, de contribuer à répondre aux demandes des musulmans d’aujourd’hui et de demain, pris dans les conditions de la vie moderne, qui vivent dans un monde déterminé par la révolution scientifique et technique, bien différent de celui qui a vu la naissance de l’islam et son enracinement dans l’histoire. L’ijtihad, ainsi entendu, n’a rien à voir avec la manière dont les anciens l’ont conçu. Il ne s’agit pas de la discipline traditionnelle qui recourt à des techniques particulières, telles que l’induction, l’analogie etc., en vue d’extraire ou d’élaborer de nouvelles prescriptions juridiques à partir des textes sacrés ou des précédents proposés par le Prophète et ses compagnons.

L’effort de recherche envisagé vise à retrouver, autant que possible, les enseignements du message prophétique, par delà les traditions qui les ont interprétés et mis en forme. Il ne part donc pas des « évidences » ou données incontestables considérées par la tradition savante comme le fondement de tout travail dans ce domaine. Au contraire, il n’hésite pas à mettre en question ces mêmes données, voire à les écarter, et ne se soucie pas davantage de ce qu’a pu dire telle ou telle des grandes figures du patrimoine, quel que soit le rang qu’on lui accorde dans le « panthéon » des savants d’antan et dans les représentations dominantes. C’est donc une entreprise qui voudrait faire table rase de ce que la communauté, et plus particulièrement, le « salaf » (les ancêtres pieux), a produit autour des textes sacrés et des modèles légués par le Prophète (…).

Il n’empêche que le but est de tenter d’accorder la conscience religieuse avec les réalités vécues. Non pas une reconstruction de l’orthodoxie, car l’intellectuel aujourd’hui n’a plus le rôle de guide ou de modèle pour la communauté, il se contente d’émettre un avis, de proposer une interprétation. Il s’agit au contraire d’initier une démarche qui vise justement à contourner toute idée d’« orthodoxie », dans le sens traditionnel du terme. La conscience religieuse peut jouer un rôle positif si elle est « à jour », c’est-à-dire si elle est fondée sur une prise en charge des données vécues, les connaissances et préoccupationsdes hommes qui la portent. Dans le cas contraire, quand elle reste liée à des conceptions et des préoccupations qui appartiennent à d’autres temps, elle devient une nostalgie pour un âge d’or perdu, une consolation mythique face aux échecs endurés, créant entre ceux qui la portent un lien communautaire affaibli, qui peut être facilement emporté et remplacé par d’autres idéologies comme le nationalisme.

Toutefois, ne peut-on pas objecter que la conscience religieuse est, toujours, une nostalgie, au sens d’attachement affectif à une vérité donnée dans le passé ? Peut-on construire un attachement affectif de ce genre sur une vision froide de vérités historiques ? Peut-on faire naître une nouvelle religiosité à partir d’une attitude intellectuelle, construite, au surplus, à partir d’une critique historique ? Tel est le défi que se donne Abdelmajid Charfi aujourd’hui, à la suite peut-être, de bien des représentants de la nouvelle tradition savante, celle qui a émergé au XXe siècle, à la faveur de l’assimilation des sciences humaines et sociales modernes. A. Charfi y parviendra-t-il, mieux que ceux qui l’ont précédé ?

Le premier mouvement consiste donc à aller directement au message du Prophète, à essayer d’en dégager les enseignements essentiels, tels qu’ils ont été transmis aux premières audiences, avant d’être repris, travaillés et insérés (utilisés) dans des systèmes théologiques et des corpus juridiques. Toute la théologie, tous les systèmes (y compris le corpus de lois) sont des élaborations tardives, datant de plus d’un siècle après la mort du Prophète. Ils offrent d’ailleurs un contraste frappant avec la foi spontanée des premières générations. Le message apporté par Mohammed ne peut être compris que dans la mesure où il est restitué à l’histoire, à son histoire propre, intégrant le contexte religieux de la région, pas seulement celui que définit le monothéisme, mais également des autres formes de pratique religieuse qui se sont manifestées dans les sociétés de l’époque, même s’il se présente (ou qu’on le présente) comme une coupure avec le passé.

A cet égard, on peut noter déjà que le message de Muhammad reprend et accentue les apports du monothéisme, même si on écarte la conception qui en fait un achèvement ou un aboutissement d’une lignée de messages puisés à la même source. Le monothéisme a bel et bien introduit une aspiration à une forme de perfection morale, ainsi que l’idée, fondamentale dans les développements futurs de cette famille de religions, de la responsabilité morale de l’individu.

Ce message en particulier, nous savons qu’il s’est manifesté sous les lumières de l’histoire. La vie du Prophète n’est pas un ensemble de mythes, même si la mémoire collective s’en est emparée et l’a fortement colorée de légendes empruntées à l’imaginaire de l’époque. Le Coran offre des éléments permettant de se faire une image vivante du Prophète, loin du personnage idéal produit par l’admiration et l’attachement des générations ultérieures. Il offre des indications précieuses notamment sur une question qui est devenue très sensible pour les musulmans, et qu’une certaine tradition savante a été très tôt verrouillée, conduisant à un appauvrissement aux conséquences désastreuses pour la vie de la foi. Il s’agit de la question de la révélation, de sa nature et de sa signification, du statut du texte coranique. A. Charfi retrouve le fil de traditions occultées qui paraissent aujourd’hui beaucoup plus plausibles et plus conformes aux critères de la raison moderne.

La révélation n’y est pas considérée comme une dictée littérale provenant de la divinité. Elle était un accès à des vérités supérieures, préparé par des années d’écoute et de méditation. Le Prophète, qui s’est trouvé à ce moment saisi de significations supérieures, les a exprimées dans la langue parlée qui était la sienne et celle de ses contemporains. Par la suite les musulmans ont préféré éviter de reconnaître le rôle actif du Prophète dans le processus de la révélation. Ils ont préféré éviter de faire face aux conséquences inévitables d’une telle reconnaissance. Ils l’ont confiné dans un rôle strictement passif, faisant de lui un simple instrument d’une transmission mécanique, accordant par ce moyen un statut très particulier aux propositions du texte sacré, élevant le texte lui-même à une quasi divinité. Il est facile, relève Charfi, de trouver dans les traditions qui nous sont parvenus, de nombreux et concordants témoignages soulignant qu’il n’en était pas ainsi, que la conception qui fait du Coran une « dictée divine » est une élaboration tardive, fondée sur une interprétation abusive de la notion de « parole de Dieu ».

L’approche moderne, en rejetant un schéma aussi simplificateur, ne donne pas pour autant, comme le craignent de nombreux théologiens zélés, dans le doute et la dénégation. Approche scientifique et foi peuvent se rejoindre, et se rejoignent en effet, dans la reconnaissance que le Prophète était sous le coup d’une inspiration puissante, provenant de profondeurs de l’âme, une expérience à travers laquelle il devenait l’instrument d’une volonté supérieure et exprimait des visions qui dépassent l’horizon de l’individu qu’il était. « La méthode de la recherche moderne ne se contente pas d’expliquer l’histoire par ces seuls éléments factuels, mais entend lier ces éléments à l’universel, reconnaissant que les événements peuvent avoir un sens transcendant qui dépasse la perception sensible » (5). Cette manière de voir nous permet de dépasser un préjugé tenace, à savoir l’opposition que fait la tradition musulmane tardive entre le texte coranique et les textes sacrés des autres religions monothéistes. Il est vrai que ces derniers ont été enregistrés à des moments tardifs, dans des versions multiples et différentes. Cela n’empêche que nos attitudes à leur égard doivent obéir aux mêmes critères, d’autant plus que le Coran ne proclame jamais qu’il abroge (naskh) les révélations antérieures, même s’il s’attribue à leur égard, une position particulière. Les trois révélations ont en commun de prendre en charge les conventions prévalant dans les sociétés de l’époque, et de les soumettre à un processus de remodelage et de réorganisationet en y insufflant un esprit nouveau.

A ce stade, A. Charfi met en exergue le fait que la religion, telle qu’elle vit dans une ou des histoires particulières, n’est pas la religion telle qu’elle se révèle dans son inspiration première. On peut se référer aux concepts de religion fermée et religion ouverte, proposés par Henri Bergson, pour bien démêler ce qui relève d’une aspiration à une vie spirituelle et morale supérieure, et ce qui entre dans le cadre de systèmes d’organisation et de régulation sociales. Il est important aussi de comprendre que l’inimitabilité (I’jaz) attribué au Coran n’est pas une caractéristique « magique », et que la conception qui s’est imposée à cet égard s’explique par la prédominance de visions enchantées. Le texte coranique est certes « inimitable », mais comme toutes les créations supérieures, qui peuvent être, tout au plus, imitées et donc faire l’objet de reproductions de moindre qualité.

Un autre malentendu de taille doit être dissipé : la notion de livre évoquée par le Coran renvoie à quelque chose qui n’a rien à voir avec l’objet que nous appelons aujourd’hui de ce nom, et qui n’existait pas à l’époque. Il s’agit plutôt du message, de l’ensemble d’enseignements et de prédications qui étaient transmis oralement et qui définissaient une communauté d’écoute et d’assentiment. Le texte coranique insiste bien qu’il n’est qu’une copie du « Livre », réalité transcendante qui rassemble le savoir et la vision de Dieu. Un tel malentendu entre le livre (au sens religieux originel) et le livre (au sens moderne) est, comme bien d’autres, né de la confusion entretenue par les commentateurs entre langage conceptuel et langage symbolique. Ce dernier, qui est celui du Coran, comme de tous les textes sacrés destinés à des multitudes, est souvent fortement dénaturé lorsque des significations littérales lui sont attribuées. Il en est de même, lorsque l’attention est concentrée sur la lettre des commandements et des prohibitions, faisant oublier les finalités qui leur donnent tout leur sens.

La réception du texte sacré a été marquée par le souci de construire un système juridique (chez les oulémas) et de justifier des pouvoirs politiques (chez les potentats). Cela explique la préférence donnée à des interprétations littérales, l’approche sélective qui a mis en relief certains passages et occulté d’autres. Cela a permis de bâtir tout un système et de le doter d’une sacralité qui est parue évidente à de nombreuses générations de musulmans, jusqu’à l’époque contemporaine. C’est ainsi qu’une orthodoxie a été élaborée et qu’un système englobant a été construit. Une religion fermée a été substituée à une religion ouverte. Un véritable verrouillage a été mis en place.

Aujourd’hui, selon A. Charfi, on peut identifier quatre différentes attitudes autour de nous. La première est celle qui consiste à maintenir les conceptions et régulations héritées de la tradition, quitte à les enfreindre dans la pratique (au moyen de ruses, hiyal), à accepter une certaine dualité entre la norme et la réalité. Cette attitude est adoptée principalement par les théologiens traditionnels, qui restent enfermés dans les modèles et conceptions d’autrefois, ignorant que ces modèles et conceptions ont accompli des fonctions déterminées dans des sociétés qui n’existent plus.

Vient ensuite celle de la nouvelle salafiyya et de nombreux penseurs convaincus de la nécessité de dépasser le référentiel traditionnel. Sans renier la portée législative du Coran, ils conçoivent la possibilité de mettre à jour et de faire évoluer les dispositions qui en ont été tirées. Cette attitude, qui n’était pas dénuée de hardiesse il y a un siècle, ne peut résoudre le problème aujourd’hui, du fait qu’elle ne s’appuie pas sur des bases théoriques claires. Sa fragilité est perceptible au fait que ses avancées sont constamment remises en cause.

En troisième lieu, on identifie aisément la tendance formée par les mouvements intégristes contemporains, qui n’acceptent pas que la réalité s’éloigne de ce qu’ils tiennent pour des stipulations du texte sacré, et qui oeuvrent par conséquent en vue de ramener le réel vers ce qui leur paraît être la conformité stricte avec le texte. Dans leurs rangs, on peut observer que la prédominance revient nettement à des prédicateurs et non à des théologiens. Leur influence se ressent principalement dans les milieux et générations qui ont eu accès à ce que A. Charfi appelle une « modernité mutilée ».

Seul Mahmoud Mohamed Taha a pris une attitude différente de toutes les précédentes, lorsqu’il a reconnu que le Coran, dans ses sourates mecquoises, comporte un message universel, destiné à tous les hommes alors que, dans les sourates médinoises, il propose un message destiné à la communauté constituée à l’époque à Médine. Les musulmans doivent donc, selon lui, restituer à l’histoire les prescriptions que ces sourates édictent, et s’en tenir aux principes énoncés dans les sourates mecquoises. Toutefois peut-on, comme le font Taha et les réformistes, retenir une partie des textes et en abandonner d’autres ? Toutes ces propositions, observe A. Charfi, sont motivées par des raisons pratiques et sont destinées à sortir les musulmans des situations contradictoires où ils se trouvent. Elles restent enfermées dans des schémas statiques et ne parviennent pas à se replacer dans la dynamique de l’histoire. Elles ne peuvent, par conséquent, atteindre la cohérence qu’elles recherchent ni constituer des plateformes pour un nouveau départ des sociétés de musulmans.

L’un des obstacles majeurs dans ce débat est la conception selon laquelle l’islam serait une « religion législative ». A. Charfi commence par rappeler une donnée élémentaire, le fait que le terme « chari’a » n’a pas, dans le texte coranique, le sens qu’il a reçu ultérieurement. Le texte parle en fait d’une voie à suivre et donne des commandements sur un nombre très limité de questions, sans proposer pour autant un système législatif global. En fait, tout comme il n’est pas légitime de séparer message mecquois et message médinois, il n’y a pas lieu d’isoler les versets « législatifs », de leurs contextes textuel et historique. Ce sont les générations ultérieures qui ont utilisé quelques unes de ces injonctions comme briques dans leur entreprise d’élaboration d’un système global. Les catégories adoptées par les Fouqaha (juristes) pour classer ces dispositions, telles que le nécessaire, l’obligatoire, le licite, l’illicite etc. n’ont aucun fondement dans le message lui-même. Le message prophétique visait à reconnaître et à faire reconnaître le bien et le mal, et il ne sert à rien de s’attacher à la lettre du texte, dans une espèce de fétichisme, sacralisation, divinisation de la lettre. Il convient plutôt de viser l’esprit qui l’anime et les finalités qu’il dessine, la conscience de chaque musulman étant l’arbitre ultime en matière de réaction aux injonctions divines. C’est ainsi qu’on peut saisir l’idée du message définissant une voie (chari’a, au sens coranique) au lieu d’en faire une source de prescriptions (chari’a, au sens adopté par la tradition savante).

L’une des questions qui permettent d’illustrer cette approche est celle de la prière. Le Coran y incite avec force, sans en préciser les modalités. Les rites qui se sont établis parmi les musulmans sont reliés à des pratiques que le Prophète aurait adoptées. Ils s’inscriraient en continuité par rapport à la manière dont, selon la tradition, il accomplissait lui-même les prières. Or, les traditions qui nous sont parvenues à cet égard, ne sont pas exemptes de différences, de variations. Les évoquer, replacer les rites dans le contexte des héritages et pratiques religieuses de l’époque ne signifie nullement une mise en cause de leur valeur, ni un déni du rôle qu’ils jouent dans la vie religieuse des musulmans. Ils représentent bien une manière particulière, située dans des traditions culturelles données, de pratiquer l’attitude de retrait du monde, la méditation et l’interpellation de soi que requiert la pratique du croyant. Il n’est donc pas illégitime d’envisager d’autres manières, plus adaptées aux conditions de la vie moderne, qui permettraient d’atteindre les mêmes résultats.

Il en est de même avec un autre rite, à savoir le jeûne du mois de Ramadan, à propos duquel les injonctions coraniques laissent ouverte la possibilité de lui substituer d’autres formes de sacrifice. Ce n’est qu’après la mort du Prophète que les musulmans lui ont donné un caractère strictement obligatoire. Les contemporains rechignent à se laisser guider par le texte coranique seul, et préfèrent s’en tenir à la lecture qui en a été faite par les premières générations. Sans remettre en question l’effet que ces rites, tels qu’ils ont été fixés, ont sur le vécu religieux des musulmans, et sans contester la difficulté de les faire évoluer en l’espace de quelques générations, on ne peut se permettre d’ignorer le phénomène de leur abandon par nombre de musulmans contemporains. Cela n’est souvent pas dû à un retrait de la croyance mais simplement aux grands changements qui sont intervenus dans les conditions de la vie. A ce niveau, au lieu de se détourner de ces questions ou de continuer à supporter les pesanteurs des traditions, on peut en appeler à cette prise de conscience spontanée qu’évoquait Ghazali par exemple.

D’autres questions peuvent être ajoutées à cette liste. L’apostasie, les châtiments corporels, l’usure, la relation entre la religion et l’État et le droit familial. Dans tous ces cas comme dans d’autres, la législation n’a aucun sens en dehors des finalités morales qu’elle vise à servir. Sacraliser les dispositions que les oulémas ont extraites du Coran et celles qu’ils ont édictées (ou élaborées) par diverses techniques conduit à se couper des sources vives de l’éthique musulmane. Cela conduit à occulter la raison d’être de la législation et, par voie de conséquence, à introduire une coupure entre la norme et la réalité vécue. Si le Coran contient des commandements explicites relatifs à des cas particuliers, il ne faut pas en déduire que ces cas revêtent une signification particulière. Leur nombre, comme cela est souligné dans toute la littérature contemporaine, est très réduit et ne représente pas un ensemble permettant de construire un système juridique complet et cohérent. En fait, on peut comprendre autrement le fait que ces cas aient fait l’objet de stipulations explicites.

Le Prophète avait affaire à une société quasi primitive, où certaines traditions ancestrales étaient profondément enracinées et très difficiles à modifier. Pour que les principes moraux de la nouvelle religion puissent être mis en œuvre, pour parvenir à l’inversion des valeurs que la nouvelle vision éthique exigeait, il fallait que des commandements divins introduisent de nouvelles règles de comportement, applicables immédiatement dans des situations concrètes. Les commandements étaient des dispositions destinées à enclencher une dynamique, à « donner le ton » en mettant fin à des pratiques enracinées dans les sociétés de l’époque, non à donner des réponses littéralement sacrées et définitives. Leur sacralité réside dans les finalités, dans les valeurs qu’elles visaient à faire prévaloir. Leur forme concrète devait permettre à la révélation de s’insérer dans l’histoire, et d’imprimer à son cours un infléchissementsignificatif. Les générations ultérieures se sont emparées de ces dispositions, et les ont utilisées comme moyen de concevoir un système de régulations sociales légitimées par un caractère sacré. Nous pouvons, jusqu’à un certain point, comprendre le besoin, la facilité, les avantages ou les craintes de désordre, qui ont motivé de tels usages des injonctions coraniques. Elles ne constituent pas pour autant l’unique manière de les recevoir et de les mettre en œuvre.

Il n’empêche qu’un système régissant un ordre social a été construit de cette manière et qu’il a, moyennant certains subterfuges dans certains cas, entretenu et fait fonctionner certaines sociétés pendant des siècles. Il est devenu, avec le passage du temps, le système des sociétés musulmanes traditionnelles et acquis le poids, la crédibilité de traditions longuement établies. Sa sacralité a été « intériorisée » par les masses musulmanes au point que, aujourd’hui, il offre une résistance farouche aux tentatives de changement. Cette résistance se montre la plus forte sur deux fronts en particulier : celui du pouvoir politique et celui du statut de la femme. Sur le premier, les pouvoirs politiques d’autrefois ont fondé leur légitimité sur la religion. Or nous savons aujourd’hui, notamment depuis le livre de Ali Abderraziq, que le rôle du Prophète et sa pratique peuvent être compris autrement, et que nous pouvons et devons passer à de nouvelles formes de légitimité politique, sans renoncer à notre foi ni porter atteinte à ses principes ou à ses implications. Il en est de même pour le statut de la femme. Les commandements utilisés comme base de législation et de légitimation d’un ordre traditionnel ont été édictés pour briser des coutumes traditionnelles dans les sociétés de l’époque, tout en tenant compte de ce qu’il était possible de réaliser alors. L’esprit qui les anime est pourtant très clair et trouve son expression dans des versets d’une force remarquable, où l’homme et la femme sont traités comme deux êtres également honorés par Dieu, appelés à exprimer leur humanité du mieux qu’ils peuvent et à respecter en chacun la dignité que le Créateur leur a conférée.

C’est là que Charfi semble arriver, au terme d’une énumération des avancées de l’approche critique moderne, à un sommet dans son argumentation. Jusque-là, il a acheminé patiemment et laborieusement, accumulant dans sa progression les acquis de l’approche moderne des textes et traditions islamiques. Il a surtout engrangé, systématisé les critiques formulées à l’égard de la tradition savante qui, dans les versions solidifiées sous forme d’orthodoxie, s’octroient le statut d’expression unique et définitive de la vérité religieuse. Il a montré que cette tradition est une construction historique dont les mécanismes, les motivations et les insuffisances peuvent être mis à nu. Maintenant il est prêt à franchir un pas décisif et à proposer une clef globale pour l’approche nouvelle qu’il souhaite proposer. C’est là qu’il en arrive à traiter d’un dogme islamique essentiel, celui du scellement de la Prophétie.

Mohamed Iqbal (1873-1938) avait bien relevé que la révélation atteint son achèvement quand elle procède à sa propre négation, quand elle prononce sa propre fin. Ainsi, avec le scellement de la prophétie, reconnaît-elle la maturité du genre humain et ouvre-t-elle à l’homme les perspectives d’un développement autonome, où il se laisse guider par sa raison et par l’assimilation consciente des principes transmis par les révélations successives. Ce dogme, essentiel pour les musulmans, a été interprété par la tradition d’une certaine manière bien particulière, que A. Charfi décrit comme « fermeture de l’intérieur ». Cela veut dire que les ancêtres l’ont interprété comme une fixation définitive, irrévocable, des conceptions et injonctions proposées par la dernière révélation, une négation de toute possibilité d’évolution ou de progrès autonome des conceptions que l’homme se fait de lui-même et de sa place dans l’univers, ainsi que des dispositions qu’il peut adopter dans la régulation de sa vie sociale et politique (…).Cette interprétation n’est pas la seule possible, nous dit A. Charfi.

Une autre interprétation, qui pourrait être décrite comme celle d’une « fermeture de l’extérieur », paraît bien plus appropriée. Elle implique que le message essentiel porté par le Prophète visait à la libération de l’Homme, une libération bien plus significative et de portée plus grande que tout ce que l’on a imaginé. Non seulement il s’agissait de libérer les Hommes de la superstition, des fausses divinités qui peuplaient leur imagination, mais aussi de l’idée d’une « tutelle sacrée », qui leur serait éternellement indispensable. La libération proposée passe en fait, souligne Charfi, par l’intériorisation des causes et expériences illustrées par le modèle prophétique. Ainsi compris, le scellement de la prophétie conduit à l’ouverture à l’éthique universelle et au dépassement des conceptions traditionnelles du rôle de la révélation, et de la religion en général, dans l’encadrement et l’orientation de la vie humaine.

L’homme qui reconnaît cette « fermeture de l’extérieur » se trouve hissé pleinement à un point de vue qui embrasse les révélations, les religions et qui se place de plain pied dans l’universel, dans le fondement éthique des conceptions et valeurs religieuses. Ceci dit, on doit reconnaître qu’un tel message était bien en avance sur son temps, et qu’il ne pouvait être compris dans toutes ses implications par les hommes de l’époque. Nous autres musulmans du XXe et XXIe siècles, armés des savoirs et sagesses accumulées par l’humanité au cours des siècles précédents, avons cette possibilité inouïe d’accéder à cette signification ultime du dogme fondamental. Nous avons effectivement les moyens de dépoussiérer le message, de le relire, situer dans leur contexte les injonctions qu’il délivre et d’en dégager la signification réelle. Nous avons la possibilité d’accéder à ces horizons de pensée où l’Homme comprend sa destinée et se donne une vision et des lignes de conduite propre. C’est en ce sens que nous pouvons être à la fois profondément musulmans, et pleinement dans notre temps.

Jusqu’à présent, en effet, notre cheminement a pris la forme d’une ascension. Nous avons avancé en débroussaillant dans les traditions accumulées, jusqu’à parvenir à ce sommet que constitue l’accès à cette lecture moderne du dogme du scellement de la prophétie. Cette étape marque, pour ainsi dire, le point le plus élevé dans l’argumentation proposée. Nous pouvons à présent entamer la « descente », pour reconstituer les voies et procédés par lesquels des systèmes ont été élaborés, diffusés et incorporés dans des sociétés, puis fixés de manière à constituer des univers de sens, des ensembles cohérents de représentations, de normes et d’attitudes. C’est là que A. Charfi se pose la question : comment le système, à savoir l’ensemble des conceptions orthodoxes et de règles à caractère juridique, s’est-il constitué ? Comment est-on passé d’une prédication vivante et pleine de promesses à un corpus fermé de dogmes et de règles de conduite ? Pour y répondre, il entreprend de suivre pas à pas les accumulations qui ont conduit à la génération du système, faisant encore une fois, comme lors de l’étape précédente, la part de ce que nous pouvons connaître d’après les sources disponibles et ce que l’imaginaire dominant a tissé à leur sujet. Il distingue immédiatement trois phases essentielles : la succession du Prophète à la tête de la communauté de musulmans, l’institutionnalisation de la nouvelle religion, la production d’un appareil théorique destiné à justifier les institutions mises en place.

Dans la séquence des événements historiques, la toute première étape est très lourde de conséquences et va peser d’un très grand poids sur l’avenir. Il s’agit de ce moment crucial où, le fondateur ayant disparu, les musulmans devaient continuer à vivre leur foi et assurer la continuité de leur communauté. Les sources historiques montrent qu’ils se sont sentis désemparés à ce moment, n’ayant pas de dispositions explicites pour faire face à la situation, et que ce sont les réflexes politiques qui ont prévalu. Certes, la prophétie avait profondément modifié la donne politique. Il n’était plus possible de revenir à la situation d’avant. Une communauté avait été constituée sur des bases nouvelles, intégrant des tribus qui vivaient sur un vaste territoire. Contrairement aux unités qui l’avaient précédée, cette première communauté de musulmans disposait d’un projet et d’un sens de mission à accomplir. Le choix de Abou Bakr pour la succession était le résultat d’un concours de circonstances, même s’il représentait la solution la plus conforme aux pratiques traditionnelles des Arabes. Il n’y avait, clairement, aucun motif religieux à ce choix.

Il en est de même pour les premières grandes décisions prises alors, et qui allaient déterminer le sort de la communauté de façon durable. Ainsi l’expansion de l’État musulman par la conquête n’était pas un acte religieux mais politique. Les conquêtes réalisées par cette première communauté ont été entourées d’une aura de sacralité, comme si elles avaient été dictées uniquement par le devoir religieux. En fait, l’islam n’avait pas besoin de conquêtes pour s’étendre. Il aurait pu évoluer d’une manière plus positive s’il s’était répandu pacifiquement. Il faut désacraliser cet épisode. En fait, si l’interprétation « enchantée » a prévalu, c’est que la religion était l’unique source de justification des œuvres et institutions sociales. La sacralisation de cette phase est la conséquence d’une manière de voir caractéristique d’un type de société en particulier, celle qui gouvernait les esprits en ce temps là.

De manière générale, le niveau des connaissances et la vision du monde acquis par les hommes à l’époque s’est répercuté sur les interprétations données au texte sacré, lesquelles ont été sacralisées à leur tour. On le voit au fait que, dès le départ, deux domaines n’ont pas bénéficié de l’esprit du message coranique : l’esclavage et le statut de la femme. Malgré les nombreuses indications dans le sens d’un comportement respectant la dignité humaine, les musulmans ont maintenu les dispositions des sociétés préislamiques. En fait, l’institutionnalisation de la religion, sa mise en œuvre dans l’histoire, réalise nécessairement certaines de ses potentialités et en élimine d’autres. Ce processus transforme le message initial et donne un poids spécial à certaines interprétations. Ce que nous percevons aujourd’hui comme une déviation, dérive ayant atteint la prédication islamique, n’est pas un phénomène exceptionnel. Il n’empêche que nous devons le comprendre, le « déconstruire » comme on dit de nos jours, pour saisir sa relativité et dissiper les attributs de sacralité qui lui ont été surajoutés. A. Charfi le souligne de nouveau : c’est une erreur que de suivre les interprétations des ancêtres, qui n’ont compris que ce que leurs conditions (ainsi que leur choix, déterminés pour une large part par leurs conditions) leur ont permis de comprendre. Ils ont saisi les injonctions coraniques à travers les conceptions dominantes à leur époque.

On ne peut manquer de relever que c’est à cette période que remontent certaines transformations profondes au niveau des pratiques enseignées par l’islam. Ainsi les rites sont-ils vidés de leur contenu, en même temps qu’on assiste à une nette extension du ritualisme. Le Coran a été utilisé principalement comme source de prescriptions. Le hadith a été élevé au rang d’une révélation d’un autre genre. La collecte du hadith a été considérée comme une source de science. Ceux qui ont collecté puis organisé les enseignements disséminés dans les textes et traditions transmis par les premières générations ont été tenus pour des maîtres incontestables. Face à cette lame de fond, il y avait d’autres potentialités qui n’ont pu se réaliser. Il y a eu, par exemple, parmi les musulmans des premières générations qui étaient « laïcs » avant la lettre, c’est-à-dire qui ne considéraient pas qu’il était nécessaire d’avoir des lois religieuses, mais ils ont été marginalisés puis oubliés.

Le processus de justification théorique de l’institution n’a démarré que par la suite. Au départ, la construction d’un système fondé sur la religion s’est imposée du fait que le texte n’évoquait qu’un nombre limité de cas. Les musulmans ne l’ont fait qu’après une période d’hésitation, qui a duré plus d’un siècle. Il n’y a ni continuité ni identité entre les solutions adoptées par les premières générations et celles fixées par écrit ultérieurement. Le passage à l’écrit n’a pas été un enregistrement de données jusque-là transmises oralement, mais une véritable élaboration imposant un infléchissement réel aux conceptions et pratiques liées à la religion. A. Charfi passe en revue la manière dont chacune des disciplines traditionnelles (fiqh, Usul al-fiqh, tafsir, hadith, kalam, tasawwuf) s’est constituée et met en lumière les choix théoriques et les procédés qui ont encadré leur développement ultérieur. C’est à ce propos qu’il dénonce le parti pris de Ibn Khaldoun, comme nous l’avons vu plus haut. Ce dernier a en effet accordé un statut spécial aux récits religieux utilisés pour l’extraction ou la justification de règles juridiques. Pour lui, on ne saurait soumettre ces récits et justifications à la critique appliquée aux sources adoptées par les historiens. Notre devoir aujourd’hui est justement, souligne A. Charfi, d’écarter ce genre de restrictions et de déployer pleinement notre sens critique.

La naissance du fiqh (droit) est contemporaine du remplacement de l’arbitrage, tel qu’il fonctionnait dans les sociétés pré-islamiques, par la judicature, en conséquence de la mise en place d’un pouvoir centralisé. Le corpus juridique est toutefois constitué par l’accumulation d’avis proposés par des individus et acceptés dans des cercles plus ou moins larges. Aucune entreprise systématique n’a été menée à partir du centre politique afin de provoquer le développement d’un système juridique compréhensif et cohérent. A travers ce processus où la loi est produite par les juristes, de très nombreuses normes et règles antérieures à l’islam ont été incorporées dans le système, après qu’elles soient couvertes d’un vernis d’islamité. L’accumulation produite par les premières générations de juristes a produit de nouvelles attitudes, faites essentiellement de renonciation à la fréquentation directe des textes et son remplacement par l’invocation des textes secondaires. Elle a conduit également à consacrer l’élévation de la personne du Prophète au-dessus de l’humanité et sa transformation en réceptacle de prescriptions de détail.

Le fiqh a laissé deux lacunes extrêmement importantes, dont les conséquences ont été immenses sur le développement des sociétés musulmanes. D’une part, il n’a pas produit de système de règles applicables à la propriété de la terre. L’absence d’un droit foncier a eu des conséquences graves sur l’économie, sur l’investissement et l’accumulation spécialement. De même, malgré une profusion d’injonctions moralisantes à l’intention des potentats, le fiqh n’a pas formulé de régulation concrète et opérationnelle de la pratique politique. Cette lacune est dénoncée quasi unanimement par les penseurs contemporains, qui y voient l’origine de la grande précarité des systèmes socio-politiques traditionnels et leur incapacité de générer des institutions et des mécanismes de contrôle du pouvoir politique.

Ce qui a été appelé Usul al-fiqh (fondements de la jurisprudence) renvoie à une production relativement tardive, qui était moins une œuvre de fondation qu’une justification des travaux de prédécesseurs et une limitation, par verrouillage des procédés de déduction, du champ d’interprétation. Sa principale conséquence a été de rendre impossible l’élaboration de véritables fondements et d’interdire d’autres développements. Par son moyen, l’usage du Coran comme « catalogue de prescriptions » a été consacré, ce qui constitue non pas un écart, une dérive, mais un véritable retournement.

L’ijma’ (unanimité ou consensus) a été une solution du dernier moment, un dernier recours qui a requis de mobiliser un lourd appareil de justification. Nous avons bien affaire à un cercle, note A. Charfi : l’ijma’ est le fondement véritable de l’ijma’. Il devient même plus solide que le texte sacré ! Il se produit une restriction progressive de la base de l’ijma’. Ce « fondement » achève de verrouiller le système : il sacralise de fait les interprétations proposées à un moment de l’histoire.

L’idée du Qiyas (analogie), enfin, est venue par la suite. Le principe d’universalité de la loi religieuse est imposé par Mohamed Ibn Idriss Chafi’i (150/767 – 204/820). Le Qiyas achève d’imposer la sacralisation d’un passé donné. Les partisans d’une approche alternative, basée sur les maqasid (finalités de la loi) tels que Chatibi, Ben Achour, Allal El Fassi n’ont pu faire évoluer les choses réellement. Il en est résulté, encore une fois, un véritable retournement par rapport aux finalités clairement désignées par le message. Les générations ultérieures ont accordé un caractère absolu aux prescriptions élaborées à partir du Coran, au lieu de comprendre que le fait de restreindre l’absolu à la divinité transcendante impliquait de dénier tout caractère absolu aux choses humaines. Ainsi les promesses et les ouvertures du message coranique sont-elles devenues des contraintes. Ainsi la libération visée est-elle devenue une réelle aliénation.

Le Tafsir (commentaire coranique) était un dispositif dans un système global. Malgré quelques avancées audacieuses ici et là (souvent oubliées aujourd’hui), il a souffert d’une imposition implacable de moules inadéquats, dont principalement la constante confusion entre discours symbolique et discours conceptuel. Le temps est venu d’entreprendre la mise en place d’approches alternatives, basées sur des enquêtes des sciences humaines et sociales contemporaines.

Le Kalam, ensemble d’argumentations théologiques raisonnées, s’est développé dans le cadre de la Fitna Kubra (Grande discorde) et a été marqué par elle. Ainsi les positions exprimées étaient-elles des apologies construites pour défendre des convictions acquises à l’avance et considérées, comme il était répandu alors, comme des vérités données dans leur complétude, que des développements ultérieurs viennent perturber voire occulter. De tels préjugés ont été inculqués aux générations suivantes, puisque l’idée que la vérité était acquise par les ancêtres, puis s’est dégradée et corrompue avec le passage des générations, y a trouvé un ancrage très ferme. En fait, comme le montrent les reconstitutions qu’on peut faire aujourd’hui, le « credo juste », celui qui aujourd’hui est tenu pour tel par les traditionalistes, n’était pas donné d’avance. L’orthodoxie s’est imposée progressivement par élimination d’interprétations alternatives. La conviction que la vérité est donnée a priori rend les traditionalistes farouchement hostiles à tout changement, à toute relativisation ou atténuation des conceptions et modèles de comportement établis.

Enfin, le tasawwuf (mysticisme) a permis à quelques individus de se libérer du carcan imposé par l’interprétation juridique des textes sacrés. Ils ont pu, à l’échelle individuelle, atteindre des sommets de vie spirituelle et ont légué, aux musulmans et aux non-musulmans, des œuvres d’une puissance et d’une beauté rares. Le mysticisme n’en a pas moins constitué une espèce de fuite face au réel et a pris, dans les étapes tardives, des formes réellement dégradées.

Jusqu’à présent, comme nous l’avons constaté au début de notre périple, les projets qui visent à saisir le sens du message par-delà les traditions (y compris la tradition savante qui définit l’orthodoxie) se sont présentés comme des initiatives individuelles, éparpillées dans l’espace et dans le temps, qui tentent à chaque fois un nouveau départ et qui restent parfois sans lendemain (cas de Muhammad Iqbal) ou sont étouffées dès leur apparition (Ali Abderraziq, Mahmoud Taha). Les sociétés de musulmans semblent être enfermées dans des conceptions tirées d’une tradition savante fixée, rigidifiée et conçue à l’image d’une divinité jalouse et implacable. L’ensemble est renforcé par des attitudes faites de frustrations et anxiétés, causées par des développements aux plans politique et économique, où les musulmans se sont sentis emportés, humiliés tant par des puissances étrangères que par leurs propres États. Ces projets ne parviennent pas, ou ne sont pas parvenus jusqu’à présent, à prendre du poids, à constituer des « masses critiques » et donc à imprégner les conceptions et les attitudes dominantes.

Il n’empêche qu’aujourd’hui, certaines approches semblent converger pour constituer une plate-forme cohérente, offrant des réponses à un large spectre de questions. Si Iqbal, Abderraziq, Taha ont eu des initiatives qui portaient sur des aspects partiels (quoique essentiels), tels que l’assimilation de l’esprit de la modernité, le démêlage du religieux et du politique, et du législatif du religieux, nous avons, avec la combinaison des approches de Mohamed Talbi, Mohamed Charfi et Abdelmajid Charfi, un ensemble qui allie diversité, richesse et promesse et qui, à son tour, à défaut de constituer un contre-système, présente les éléments d’une nouvelle vision de l’islam et ouvre la voie à la naissance de nouvelles attitudes religieuses.

Avec Mohamed Talbi, la théorie des Maqacid ou Finalités de la loi reçoit une nouvelle formulation. Elle trouve de nouveaux arguments pour faire contrepoids aux procédures basées sur le Qiyas ou raisonnement par analogie, qui ont permis jusqu’à présent d’imposer les moules du passé aux réalités de sociétés et de contextes différents. La version que M. Talbi donne de la théorie des Maqacid consiste à souligner qu’on peut reconnaître, à partir de toute disposition proposée par les textes sacrés, deux points : celui d’un état des choses que le texte cherche à modifier, et celui de l’état qu’il veut créer. On peut donc tracer une ligne entre ces deux points ou plutôt, comme il le dit lui-même un « vecteur orienté » qui indique les finalités dernières vers lesquelles pointe le texte. Autrement dit, nous pouvons aller au-delà de la chari’a sans la contredire, dans la mesure où nous sommes certains de nous maintenir dans la direction qu’elle a indiquée. Cette démarche permet de faire revivre le souffle de la religiosité islamique, les valeurs et la vision éthique fondamentale qui ont présidé à son éclosion et qui, au fond, expliquent l’attachement continu des masses à cette religion. Elle permet aux musulmans d’aujourd’hui de pratiquer leur religion en hommes et femmes convaincus, responsables et lucides. Pour M. Talbi, le déblaiement par la critique historique n’est qu’un préalable qui aide à écarter ce que les siècles ont déposé dans les consciences comme représentations « islamiques », et de renouer avec la lucidité que tous les réformateurs ont voulu remettre à l’œuvre (6).

Avec Mohamed Charfi, nous disposons d’une solution concrète pour des problèmes d’un tout autre ordre. Cet auteur propose en effet des formules pour répondre à des besoins urgents ressentis par les sociétés musulmanes contemporaines, exactement ce qui leur fait défaut depuis plusieurs décennies : le moyen d’organiser clairement et sans ambiguïté les modes de présence et d’action du religieux dans la sphère publique. L’idée d’organiser le magistère religieux sous forme d’un quatrième pouvoir, qui s’ajoute aux trois classiques, et qui agirait à la fois dans le respect de la constitution et des normes scientifiques et éthiques qui doivent régir l’interprétation des textes sacrés, permet de construire une configuration qui respecte les droits et libertés, en même temps qu’elle permet à la conscience religieuse de s’exprimer librement, à l’abri des divagations et manipulations de prédicateurs autoproclamés (7).

Avec Abdelmajid Charfi, nous venons de voir qu’il est possible, après avoir systématiquement déconstruit l’édifice de la tradition savante par les outils fournis par les sciences humaines et sociales modernes, de dégager une vision d’ensemble, une clef d’interprétation qui permet d’entendre le sens du message prophétique à un niveau autrement plus élevé que celui atteint par la tradition. La critique historique laisse émerger une nouvelle vision d’ensemble du message et de son déploiement dans l’histoire. Elle offre la possibilité d’avoir une nouvelle lecture des narrations et injonctions proposées par le texte sacré, ayant le double avantage d’être plus crédibles d’un point de vue épistémologiqueet plusconformes à l’éthique universelle.

Il faut dire que les entreprises de ces trois penseurs ne sont pas nées dans un désert. Elles s’adossent en fait à des travaux d’une vigueur et d’une portée considérables, comme ceux de Mohamed Arkoun, Hmida Ennaïfar, Hichem Djaït, Yadh Ben Achour et bien d’autres. Il est remarquable que ces chercheurs sont en majorité tunisiens. Comment expliquer une telle conjonction ? Faut-il penser au rôle de l’État, à une modernisation réussie, à une société plus urbaine et plus mûre, ou à un système éducatif qui aurait gardé ses critères d’excellence ? Laissons aux historiens à venir le soin de « faire leur travail ». Toujours est-il que l’école tunisienne, qu’il faut bien le reconnaître maintenant, a produit cette conjonction. Il faut dire qu’elle a su assimiler et prolonger les travaux accumulés par des générations de penseurs et de chercheurs, musulmans et non-musulmans. Ce qui est important c’est que maintenant il y a bien une véritable dynamique alimentée par des apports multiples, riches et complémentaires. Il y a bien « école » du fait que les apports des uns et des autres commencent à constituer un ensemble cohérent et solide.

A. Charfi a entrepris dans ce travail, à la suite de ses deux collègues, de capitaliser les accumulations de la recherche contemporaine dans un but précis : proposer aux musulmans d’aujourd’hui, pris entre les implications de la modernité et les insuffisances des interprétations traditionnelles, une vision nouvelle qui allie la force des conceptions fondées sur des recherches à jour et la possibilité de mettre en lumière les aspects essentiels du message. Ce travail, qu’il considère comme un ijtihad au plein sens du terme, mais aussi comme une contribution qui s’inscrit dans les limites des « ijtihadat » que peuvent entreprendre les scientifiques aujourd’hui, allie donc ambition et modestie. Peut-il, ainsi que nous nous interrogions au début de notre parcours, fournir la matière d’une religiosité nouvelle, compatible avec les exigences de la vie moderne, c’est-à-dire praticable dans des sociétés sécularisées, où la religion relève d’un choix individuel et est vécue comme une affaire strictement personnelle, et répondre en même temps à la soif d’absolu, aux puissants mobiles qui poussent les hommes vers la religion ? A. Charfi reconnaît lui-même, dans maints passages de son livre, que les visions et pratiques traditionnelles sont très difficiles à faire évoluer, même lorsque, intellectuellement, elles sont faibles et arbitraires et que leur faiblesse et leur arbitraire sont démontrés. Pour lui, il ne s’agit nullement de mettre fin à la religiosité populaire et de lui en substituer une autre. Faut-il se résigner pour autant à voir son entreprise, ainsi que les accumulations de l’école tunisienne, rester enfermées dans les cercles étroits de l’érudition universitaire ?

On pourrait être tenté de comparer ces entreprises à celles des mystiques d’antan qui, excédés par le juridisme des théologiens, réagissaient en proposant des visions et approches dominées par une quête spirituelle et un souci éthique. Une telle comparaison ne semble pas dénuée de fondement, puisque les chercheurs contemporains, tout comme les grands mystiques d’autrefois, sont des individus éparpillés dans l’espace et dans le temps, portés par un sens profond des problèmes vécus par leur communauté et se plaçant à des niveaux où ils peuvent accéder à des visions englobantes. Mais les similitudes s’arrêtent là. Les maîtres de la mystique d’autrefois disposaient de relais entre eux-mêmes et les masses, à savoir des disciples et des réseaux qui assuraient la dissémination de leurs messages. Certains d’entre eux se sont établis dans des rôles politiques et sociaux bien définis. Rien de tel pour les penseurs contemporains.

En fait, ce que ces derniers sont en train de réaliser progressivement, c’est plutôt le remplacement de la tradition savante des siècles passés par une autre tradition savante, conforme aux canons de la raison moderne. Ce que A. Charfi et ses collègues sont en train d’accomplir, c’est de mettre en place les fondements de nouvelles élaborations qui remontent au message originel, le travaillent à nouveau et réorganisent ses implications dans le cadre de nouvelles configurations. Celles-ci réunissent les éléments d’une nouvelle plate-forme, conforme aux critères modernes, en ce sens qu’elle ne se considère pas comme l’expression unique de la vérité ultime. Elle n’en aspire pas moins à déplacer (faute de pouvoir remplacer) le système construit par la tradition savante. Dans cette œuvre, elle dispose d’atouts considérables, puisqu’elle a accès aux sources mobilisées par cette tradition et dispose à la fois d’outils conceptuels nouveaux et du recul qu’offrent le temps et la connaissance d’autres traditions et d’autres parcours. En même temps, elle doit affronter des défis extrêmement importants, notamment de la part de conservatismes de toutes sortes : ceux des représentants de la tradition savante, des idéologues de l’islam politique et également de la piété populaire.

Il n’en est pas moins qu’un grand pas est maintenant franchi. La réforme a maintenant une plateforme, l’islam peut s’offrir un nouveau visage, où fidélité au message et intelligence ne jurent pas. La graine semée trouvera-t-elle un sol propice ? Le temps de la réforme est-il venu ?

Notes :

1 Voir à ce sujet : Ramadan, Tariq, Aux sources du renouveau musulman : D’al-Afghani à Hassan al- Banna, un siècle de réformisme islamique, Paris : Bayard Editions, 1998

2 Assayyid, Ridwan, « Azmat al-Fikr as-Siyasi al-Islami » (La crise de la pensée politique islamique), in Azmat al-Fikr as-Siyasi al-‘Arabi, Beyrouth : Dar al-Fikr, 2000.

3 Ali Abderrazik : Islam et Fondements du pouvoir.

4 Abdelmajid Charfi : Al-Islam, bayna Ar-Risala wa At-Tarikh (L’islam, entre message et histoire), Beyrouth : Dar At-Tali’a, 2001.

5 Op. cit. : pp. 42-43 (traduit par nous).

6 Plaidoyer pour un islam moderne, Casablanca : Editions Le Fennec, 1996.

7 Islam et liberté, le malentendu historique, Paris : Albin Michel, 1998