« TeamEurope est de retour à Tunis », a écrit la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, dimanche 16 juillet à 18h10 sur X. Quelques instants plus tôt, et suite à des semaines d’intenses négociations en Tunisie, la Commission européenne avait signé un « Mémorandum d’accord ». Basé sur le « partenariat stratégique et global » de l’Europe avec la Tunisie, le mémorandum comprenait des accords sur diverses questions allant de la migration au soutien économique, « Un investissement dans notre prospérité commune, notre stabilité et dans les générations futures », a déclaré avec enthousiasme Von der Leyen.

« Un véritable jalon et un début prometteur pour un accord global », a déclaré avec enthousiasme le Premier ministre néerlandais Mark Rutte sur X, décrivant ainsi l’accord. La photo qui accompagnait les tweets était frappante : Rutte, Von der Leyen et la Première ministre italienne Georgia Meloni tendent la main au président tunisien Kais Saied, avec les drapeaux de l’Union européenne et de la Tunisie affichés clairement en arrière-plan. Saied enroule ses deux mains autour des trois mains tendues des dirigeants européens. La photo illustrait leur nouvelle alliance.

Bien que le contenu de l’accord ait été dévoilé, ses détails doivent encore être entièrement élaborés. L’accord controversé comprend 105 millions d’euros de soutien de l’UE à la « gestion des frontières » et à la lutte contre le trafic des êtres humains, pour mettre fin à l’immigration illégale. Environ 600 millions d’euros seraient également accordés en guise d’aide budgétaire et d’investissements stratégiques dans l’économie tunisienne, dans l’attente d’un accord plus large impliquant également le Fonds monétaire international, qui pourrait fournir jusqu’à près d’un milliard d’euros de prêts européens.

Qui tirerait le plus de profit de cet accord ? Le président tunisien Kais Saied pourrait utiliser cet argent, notamment la partie non subordonnée à des conditions spécifiques. Pour les dirigeants européens, le problème central est celui de la migration, comme l’indique Rutte dans la dernière phrase de son tweet : « Toutes les mesures essentielles pour renforcer les efforts visant à mettre fin à la migration irrégulière ».

La question à laquelle il faut répondre est la suivante : pourquoi le Premier ministre néerlandais Mark Rutte se tenait-il aux côtés de Saied ? La présence de la Première ministre italienne Meloni, au passé ouvertement néo-fasciste, est compréhensible. Mais Rutte ? Le Premier ministre a autrefois soutenu la révolution démocratique en Tunisie. Il vient maintenant de conclure un accord avec un dictateur. Seule une petite partie des migrants arrivant en Europe par bateau en provenance de Tunisie se rendent aux Pays-Bas. La plupart d’entre eux restent en Italie ou se dirigent vers d’autres Etats de l’UE. Toutefois, Rutte a voyagé à travers l’Europe et s’est rendu deux fois en Tunisie pour conclure cet accord.


LES OFFRES DE MIGRATION DE RUTTE : HONORER LES PROMESSES DU PARTI

« Arrêter l’immigration irrégulière », c’est ce que Rutte avait promis aux membres de son parti conservateur VVD, plus de six mois auparavant lors du congrès du parti à Apeldoorn, aux Pays-Bas. Ce jour-là, le 19 novembre 2022, les enjeux étaient importants pour Rutte. S’adressant aux membres de son parti, pendant 20 minutes de discours, il s’est dit préoccupé par l’afflux de migrants aux Pays-Bas qui était « deux à trois fois plus élevé que la normale ». Il a souligné que l’accord avec la Turquie avait réduit l’afflux, ajoutant : « on s’est endormi après cela ». Alors maintenant, il faut faire quelque chose. « Ce flux migratoire doit fortement baisser », a-t-il insisté. « Je considère cela comme une mission », a t-il poursuivi avant de conclure : « Je travaillerai sur ça dans les mois à venir. Je vous assure. Je m’y engage personnellement ».

Ces vœux faisaient également partie de manœuvres politiques. En échange de cette promesse, Rutte recevrait le soutien de son propre parti, le VVD, à la Chambre des représentants, en faveur d’une loi qui obligerait les municipalités à héberger les demandeurs d’asile. Dans ce dossier, les Pays-Bas faisaient face à une crise. Il y avait une pénurie structurelle de lieux d’accueil et plusieurs municipalités ont refusé d’accepter de nouveaux logements pour réfugiés. Mais la faction VVD au Parlement s’est opposée à cette « loi coercitive ». Rutte avait ensuite promis, en échange de leur soutien, de faire quelque chose par rapport à ce qu’il a appelé « l’afflux excessif de demandeurs d’asile ».

Suite à cela, Rutte a commencé sa tournée à travers l’Europe pour chercher du soutien aux mesures qui lui permettraient de « reprendre le contrôle de la migration ».

Les Pays-Bas ont été parmi les initiateurs d’accords sur la migration. En 2015, le nombre de demandeurs d’asile en Europe a brusquement monté en flèche, principalement à cause du grand nombre de Syriens fuyant la guerre. Pour beaucoup aux Pays-Bas, les images de colonnes de personnes marchant le long des routes rurales à travers les Balkans en route vers l’Europe ont transformé leurs sentiments de compassion en un sentiment de crainte envers les réfugiés. En 2016, l’Union européenne – dont les Pays-Bas assuraient en cette période la présidence tournante– avait conclu un accord avec le président turc Tayyip Erdoğan. En échange de 6 milliards d’euros, il a été convenu que la Turquie accueillerait les réfugiés syriens. Dès lors, le nombre de personnes voyageant clandestinement vers la Grèce a considérablement diminué. Cependant, les experts en migration doutent que cela soit un résultat direct de l’accord, avançant l’hypothèse que le nombre de réfugiés syriens aurait de toute façon diminué.

L’Italie et les Pays-Bas ravivent la flamme des intérêts migratoires partagés

Sept ans plus tard, le Premier ministre néerlandais Mark Rutte était de nouveau à la recherche d’un accord migratoire pour l’épauler. Début mars 2023, Rutte a été le premier chef de gouvernement européen à rendre une visite officielle à la Première ministre italienne conservatrice de droite Georgia Meloni, à Rome. Meloni considérait « l’immigration de masse », l’Islam et le « lobby LGBTQ+ » comme des menaces pour l’identité italienne et la culture chrétienne. Elle souhaitait des mesures drastiques pour réduire le nombre de migrants et de réfugiés arrivant en Italie.

Un mois plus tôt, Rutte et Meloni s’étaient longuement entretenus dans les couloirs de Bruxelles. Lors d’un sommet de l’Union européenne, Rutte a pris Meloni à part. Il savait qu’elle estimait que l’UE devait assumer davantage de responsabilités en matière de migration, et ils étaient d’accord sur ce sujet. « J’ai longuement discuté avec Meloni », a ensuite déclaré Rutte au journal néerlandais Trouw. Il a qualifié la réunion de percée. La méfiance qui s’était installée entre les deux pays depuis la crise de l’euro a été dissipée. Depuis, Rutte et Meloni forment une équipe. « Nous sommes un véhicule à deux moteurs, essayant de faire avancer un processus », a déclaré Rutte lors de la conférence de presse un mois plus tard à Rome, a noté Trouw. Ils ont convenu de s’engager pleinement en faveur d’accords visant à mettre un terme à l’immigration clandestine vers l’Europe. Et, comme l’a ajouté Rutte, ils étaient prêts à voyager ensemble dans des pays africains pour conclure ces accords migratoires.

La Tunisie figurait en tête de leur liste. Depuis la ville côtière tunisienne de Sfax, de plus en plus de personnes partaient en bateau vers l’Italie. Cela devait cesser, estimaient-ils. Les deux chefs de gouvernement ont rapidement trouvé à leurs côtés la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Le trio, #TeamEurope, comme ils s’appelaient eux-mêmes, s’est rendu en Tunisie en juin pour de premiers entretiens avec le président Saied.

AFFAIRES MIGRATOIRES DE L’UE : PROTECTION DES FRONTIÈRES À TOUT PRIX

La Commission européenne considère depuis longtemps les accords migratoires avec les pays voisins de l’UE comme un moyen de freiner l’immigration clandestine. Après l’accord avec la Turquie, un autre accord a été conclu avec la Libye en 2017. Les garde-côtes libyens ont reçu de l’argent et du matériel de l’UE pour intercepter les embarcations des migrants en Méditerranée avant leur entrée dans les eaux italiennes. Une fois les réfugiés et les migrants arrêtés, les Libyens les transféraient dans des camps de détention autour de Tripoli. Plus de 455 millions d’euros ont depuis été versés à la Libye par le Fonds d’urgence de l’UE pour l’Afrique, créé en 2015. Mais rien n’a été fait pour améliorer les déplorables centres de détention, alors qu’il s’agissait d’une condition incluse dans l’accord Italie-Libye de 2017.

Dans son livre “The Fourth Time, We Drowned“, la journaliste irlandaise Sally Haydan a montré comment de tels accords peuvent conduire à de graves violations des droits humains. Les migrants ont témoigné que les gardes libyens les avaient systématiquement soumis à l’extorsion, à la torture, à l’exploitation, à la famine, au travail forcé et au viol. De nombreux trafiquants d’êtres humains qui travaillaient avec les garde-côtes libyens financés par l’UE étaient simultanément actifs dans les camps de détention – un business lucratif, en d’autres termes. L’agence européenne des frontières Frontex a également participé à des opérations visant à arraisonner des bateaux transportant des migrants, et à patrouiller avec des drones dans la « zone de recherche et de sauvetage » libyenne. Lorsque les drones détectaient des bateaux, Frontex envoyait les coordonnées aux garde-côtes libyens, qui récupéraient les migrants et les ramenaient en Libye. Cinq ans après l’accord, 82 000 personnes avaient été conduites dans des camps de détention libyens, selon Amnesty International. Au moins 8 000 personnes sont mortes en route vers l’Europe.

L’UE donne carte blanche à la Libye pour accomplir ce qu’elle n’est pas autorisée à faire : renvoyer des personnes vers un pays dangereux sans leur donner la possibilité de demander l’asile.

Tandis que dans les coulisses, Rutte s’occupait de la #TeamEurope, chez lui, la grogne montait du côté des membres de son parti conservateur. Son manque apparent de progrès suscitait le mécontentement. “Défendez votre propre peuple”, a déclaré d’une voix tremblante à Rutte l’un des membres du VVD lors du congrès du parti en juin, a noté le quotidien néerlandais NRC. Une fois de plus, Rutte a promis de proposer des mesures concrètes avant l’été.

Moins d’un mois plus tard, Mark Rutte, Georgia Meloni et Ursula von der Leyen ont conclu l’accord à Tunis et serré la main du président tunisien Saied. A son retour chez lui, Rutte a exprimé sa satisfaction, car il a pu montrer à ses partisans ses initiatives et son sérieux dans la réduction de l’immigration.

RÉACTION DES DÉCIDEURS EUROPÉENS

Immédiatement après la conclusion de l’accord, outre les éloges de la droite, les Pays-Bas ont également suscité de nombreuses critiques. L’une des principales critiques était que Rutte avait négocié avec le président autocratique Saied, qui a commis des violations généralisées des droits de l’homme dans son propre pays, fait emprisonner des opposants politiques et incité en masse les Tunisiens à s’opposer aux migrants d’Afrique subsaharienne. « Qui a clairement conclu les accords et qui peut être tenu pour responsable politiquement ou légalement lorsque les droits humains sont menacés ? »  ont demandé les députés Suzanne Kröger (Gauche Verte social-écologique ) et Kata Piri (social-démocrates) au Premier ministre. Piri avait trouvé «embarrassante » la façon dont le Premier ministre Rutte se tenait tout sourire à côté du président Kais Saied après la conclusion de l’accord à Tunis. Comme le souligne Piri, elle n’a entendu « pas un mot sur les droits de l’homme ».

Au Parlement européen, des critiques similaires ont fusé. « L’objectif de l’accord est clair : promouvoir sans entrave un programme anti-immigration de droite et empêcher les gens de voyager vers l’UE », a écrit l’eurodéputée verte Tineke Strik dans son bulletin d’information. « L’accord n’a fait qu’entraîner encore plus de répression, plus de morts et encore plus de migration ». Les politiciens ont également souligné le manque d’efficacité. « Deux mois après la cérémonie de signature, nous ne voyons toujours pas beaucoup de concrétisation », a déclaré à Euronews Jeroen Lenaers, du Parti populaire européen (PPE) de centre-droit. « Le nombre d’immigrés continue d’augmenter et sur le terrain en Tunisie, nous constatons peu de développement ».

Les critiques se sont multipliées lorsqu’à la mi-septembre, un groupe de députés européens projetant de se rendre en Tunisie s’est vu refuser l’entrée dans le pays. L’objectif de la visite était d’examiner de près la situation politique en Tunisie et de soutenir le dialogue autour du protocole d’accord signé entre l’UE et le président tunisien. « Ce comportement est sans précédent depuis la révolution démocratique de 2011 », a déclaré au Guardian l’eurodéputé allemand Michael Gahler, président de la commission des affaires étrangères. « Cela prouve une fois de plus qu’il s’agit d’un régime autocratique avec lequel vous ne pouvez pas conclure d’accords », a déclaré l’eurodéputé Strik. « C’est tout simplement inacceptable et cela devrait être la goutte d’eau qui fait déborder le vase. L’accord doit donc être retiré de la table le plus rapidement possible. L’accord migratoire avec la Tunisie est inhumain, antidémocratique et inefficace ».

De vives critiques ont également fusé de la part de 13 États membres européens, menés par l’Allemagne, notamment à propos de la conclusion de l’accord avec la Tunisie. Ils étaient scandalisés que ce ne soit pas le Conseil européen mais la Commission européenne qui ait pris la tête des négociations avec le gouvernement tunisien, a rapporté le quotidien néerlandais NRC à partir d’une note diplomatique divulguée par un responsable allemand travaillant à la représentation permanente à Bruxelles. Un plus petit nombre d’États membres se sont montrés mécontents du manque de garanties concernant l’État de droit et les droits de l’homme.

Néanmoins, les négociateurs ont poursuivi leurs efforts. « L’UE s’apprête à débourser ‘rapidement’ 127 millions d’euros dans le cadre d’un accord contre la migration irrégulière, malgré les critiques de la médiatrice européenne Emily O’Reilly et des députés européens concernant l’autoritarisme et les violations des droits de l’homme », a rapporté Statewatch le 25 septembre sur X. « Cette prochaine initiative visant l’apaisement du dictateur Saied sans aucune exigence sur les droits fondamentaux, n’est pas prise au nom des États membres de l’UE, du Parlement européen ou des citoyens de l’UE », a réagi le député européen Strik sur X. « Cet Alleingang [démarche isolée, ndlr] au détriment de nos valeurs est, comme l’a dit Borrell, “incompréhensible” » .

MONOPOLE OCCIDENTAL SUR LA LIBERTÉ DE MOUVEMENT

Encore une fois, la question qui appelle une réponse est la suivante : pourquoi le fait d’arrêter les migrants et les réfugiés, en particulier ceux qui traversent la Méditerranée et qui ne constituent qu’une petite proportion de toutes les entrées illégales, est-il considéré comme suffisamment important aux Pays-Bas pour que le Premier ministre soit amené à serrer la main d’un dictateur à Tunis? Après tout, parmi les Etats de l’UE, les Pays-Bas sont loin d’accueillir le plus grand nombre de demandeurs d’asile.

En effet, les derniers chiffres d’Eurostat (mai 2023) montrent que le nombre de personnes demandant leur première demande d’asile aux Pays-Bas par habitant est même inférieur à la moyenne de l’UE. Chypre reçoit de loin le plus grand nombre de demandes d’asile par habitant, suivie par l’Autriche, l’Espagne et le Luxembourg. Et pourtant, les premiers ministres de ces pays n’étaient pas aux côtés de Saied et Meloni à Tunis. Rutte l’était.

« Cela n’a rien à voir avec ces migrants eux-mêmes », déclare Leo Lucassen, professeur d’histoire du travail et des migrations à l’Université de Leyde et directeur de l’Institut international d’histoire sociale (IISH), lors d’un entretien téléphonique. « Seule une très petite proportion de ces migrants tunisiens se retrouve aux Pays-Bas. La plupart restent travailler en Italie, dans l’agriculture dans le sud. Le sud de l’Italie flotte sur le travail illégal. Les gens savent qu’ils peuvent y gagner de l’argent. Ils l’apprennent par leurs réseaux. Les gens qui s’en sortent vivants trouvent toujours du travail ».

Le VVD aime se présenter comme le garde-frontière des Pays-Bas. Le parti s’est pleinement engagé sur la question de la migration, en particulier des réfugiés. En réalité, les demandeurs d’asile ne représentent qu’environ 10 pour cent du nombre total de migrants. La plupart des migrants arrivant aux Pays-Bas viennent pour y travailler. La demande continue de main-d’œuvre dans les pays occidentaux est la principale cause des migrations à grande échelle, affirme Hein de Haas, professeur de sociologie à l’Université d’Amsterdam (UvA) et directeur de l’Institut des migrations internationales (IMI) à l’Université d’Oxford, dans son livre « Comment la migration fonctionne réellement ».

Et selon lui, il n’y a pas non plus de volonté politique de changer cette situation aux Pays-Bas. « Qui d’autre fera le travail dans les abattoirs, les serres horticoles, les entreprises de nettoyage ou la restauration ? », a-t-il déclaré dans le quotidien néerlandais Volkskrant. La « lutte » contre les demandeurs d’asile n’est pas une décision rationnelle basée sur des chiffres ou des intérêts propres.

Mais la question sous-jacente demeure : pourquoi voulons-nous tant ce « contrôle des migrations » ? « En Occident, nous vénérons l’idéal de la libre circulation », déclare Martijn Stronks, professeur associé au Centre d’Amsterdam pour le droit des migrations et des réfugiés de la VrijeUniversiteit (VU) d’Amsterdam, lors d’un entretien téléphonique. Stronks, qui travaille sur un livre sur la relation entre le touriste et le demandeur d’asile, qualifie cette compréhension moderne de la liberté de mouvement d’idéologie, « parce qu’elle recèle un système de croyances et d’infrastructures qui favorise le mouvement de certains au détriment de celui des autres ». « Nous avons élaboré un système qui permet à certains – comme les touristes – d’utiliser leur liberté de mouvement comme si elle était totalement illimitée », affirme-t-il, « tandis que ce même système de contrôle intensif des mouvements restreint cette même liberté pour d’autres ».

Selon Stronks, le conservateur néerlandais VVD représente par excellence l’Occidental qui veut jouir d’une totale liberté et faire ce qu’il veut sans soucis. C’est cet Occidental libre qui profite du fait que d’autres personnes n’ont pas la même liberté de mouvement et a donc créé ce système avec des passeports, des banques de données, des données biométriques, des visas et des accords de migration.

« L’essentiel est que le système qui devrait empêcher les demandeurs d’asile d’entrer en Europe depuis TUNIS est exactement le même système qui permet aux Européens de partir en vacances en Tunisie ».

L’AFFAIRE RUSHDIE ET ​​LA POLITISATION DES MIGRATIONS

La migration n’a pas toujours été considérée comme l’un des plus gros problèmes aux Pays-Bas. Des années 1950 aux années 1970, les gens étaient généralement ouverts et optimistes à l’égard des immigrants et d’une société multiculturelle. « En partie à cause des atrocités racistes perpétrées pendant la Seconde Guerre mondiale », explique l’historien des migrations Lucassen. « Cette prise de conscience des dangers du racisme et cette attitude ouverte envers les migrants ont encore quelque peu diminué dans les années 1980. Mais ensuite, on constate un revirement ».

Dans les années 1980, les tensions qui existaient depuis un certain temps entre les Néerlandais de souche et les nouveaux arrivants sont devenues plus visibles. Les gens ont commencé à exprimer leur mécontentement. Il s’agit également du fait que les problèmes n’étaient pas reconnus par les politiciens et les dirigeants gouvernementaux.

L’affaire Rushdie constitue un premier point de rupture. La fatwa émise par le religieux iranien Khomeini contre l’écrivain anglo-américain Salman Rushdie en 1989 a accru les tensions déjà existantes entre les musulmans et les Néerlandais d’origine. « La fatwa a déclenché un changement dans la manière de penser et de parler de la migration », écrit Karin Amatmoekrim dans l’hebdomadaire d’opinion néerlandais De Groene Amsterdammer fin septembre 2023. Soudain, des intellectuels de gauche se sont précipités sur les barricades avec des slogans tels que : « Avec ces musulmans, nous avons introduit le cheval de Troie », raconte Lucassen.

Frits Bolkestein, alors leader du VVD, s’en est rendu compte en tant qu’homme politique. Lors d’une conférence en 1991, il a cité l’affaire Rushdie comme exemple de ce qu’il considérait comme le problème des migrants dans une société occidentale. « Le dossier Salman Rushdie est peut-être exceptionnel, mais il montre à quel point nous sommes différents les uns des autres ». Selon Bolkestein, les musulmans néerlandais devaient s’adapter aux normes et valeurs néerlandaises. « Une position qui était encore considérée comme explosive à l’époque », écrit Amatmoekrim. « C’était un point de rupture inévitable entre ce que les Pays-Bas pensaient être et ce qu’ils étaient réellement ».

Leo Lucassen partage cet avis et affirme que l’obsession pour les migrants a commencé avec l’ancien dirigeant du VVD, Bolkestein. « Il a délibérément placé la migration comme problème à l’agenda politique », dit-il. Ce faisant, Bolkestein s’est inspiré des idées de la Nouvelle Droite d’éminents politologues américains tels que Samuel Huntington et son Choc des civilisations. « Le résultat est que le pourcentage de Néerlandais qui considèrent les « minorités» comme le problème le plus important est passé de 17 à 28 % en quelques semaines », explique Lucassen.

« Ce qui montre encore une fois que la politique peut « nourrir » les sentiments. Bolkestein, mais surtout son « apprenti sorcier » et ancien parlementaire du VVD Geert Wilders, ont perfectionné cet art dans les moindres détails au cours de la première décennie de ce siècle », a récemment écrit Lucassen dans un article d’opinion paru dans le Volkskrant.
Ce fut le début d’une longue période de pessimisme à l’égard des migrants et des réfugiés aux Pays-Bas. L’attitude de tolérance a lentement cédé la place à une course entre politiciens populistes de droite qui ont exploité la migration comme thème électoral central.

DES ACTES DE VIOLENCE ALIMENTENT DES SENTIMENTS ANTI-MUSULMANS ET ANTI-MIGRANTS

Plusieurs événements survenus dans les années 2000 ont stimulé le ressenti antimusulman, combiné à un sentiment anti-immigration. Tout d’abord, les attentats d’Al-Qaïda à New York et à Washington le 11 septembre 2001,suivis de deux assassinats nationaux qui ont secoué les Pays-Bas. En 2002, l’homme politique néerlandais Pim Fortuyn, qui s’était clairement prononcé contre les musulmans, a été assassiné. Pas par un musulman, mais par un activiste de la gauche radicale, défenseur des droits des animaux.

Néanmoins, son assassinat a été considéré comme une attaque envers ceux qui critiquaient les musulmans. Or cela a renforcé les positions anti-immigration. Deux ans plus tard, en 2004, le cinéaste et chroniqueur Theo van Gogh a été assassiné par un Maroco-Néerlandais qui avait qualifié Van Gogh d’« ennemi de l’Islam ». Les meurtres de deux individus qualifiés d’emblématiques par Lucassen, et qui tenaient en grande estime la liberté d’expression, ont eu une énorme influence sur le débat sur la migration et les réfugiés.

Le politicien Geert Wilders a quitté le VVD. En 2006, il arrive à la Chambre des représentants avec son parti anti-immigration et anti-islam PVV. Il a immédiatement remporté de nombreux votes. Outre le PVV qui est resté fort, plusieurs autres nouveaux partis dissidents populistes de droite sont apparus avant de disparaitre. Dans cette lutte pour les votes de droite, d’autres partis plus modérés ont repris une partie de la rhétorique anti-immigration de l’extrême droite. De nombreux partis centristes sentent le souffle chaud du PVV. Non seulement le parti conservateur VVD, mais aussi le parti chrétien-démocrate CDA, par exemple, est devenu de plus en plus alarmiste dans sa vision des migrants et des réfugiés. « Ils pensent qu’ils doivent se positionner sur cette question », explique Lucassen. « C’est purement électoral pour leurs propres partisans. Pour montrer aux autres partis politiques qu’ils font tout ce qu’ils peuvent pour freiner les migrations ».

Le fait que la migration soit considérée comme un « gros problème » est devenu une vision presque largement partagée dans un pays comme les Pays-Bas après des années de rhétorique anti-migrants. Ce n’est pas non plus un « truc » gauche-droite. Ça se passe aussi ainsi au Danemark, où le gouvernement social-démocrate mène une politique d’asile très sévère. En fait, l’accord avec la Turquie a été conclu sous la direction du social-démocrate néerlandais Diederik Samson. « C’est la gauche nationaliste, soucieuse de ses « propres » travailleurs », explique Lucassen.

« Aux Pays-Bas, les sociaux-démocrates ne considèrent pas l’immigration comme une préoccupation centrale, à l’instar du VVD et d’autres partis de droite, mais ils ne veulent pas non plus paraître trop indulgents.Par conséquent, depuis des années, ce camp n’a pas non plus présenté de discours positif ».

Une semaine avant de conclure fièrement l’accord avec la Tunisie, le Premier ministre Rutte a décidé de mettre fin à son cabinet. Il est à signaler que le projet s’est effondré parce que son gouvernement de coalition n’a pas réussi à se mettre d’accord sur la limitation du regroupement familial des détenteurs de statut (réfugiés ayant un permis de séjour), ce qui ne représente qu’un petit aspect de la question de l’asile. Cela signifiait également la fin infamante de sa carrière politique en tant que leader politique du parti libéral VVD et Premier ministre. Depuis, il est devenu le chef du gouvernement sortant. Il y aura de nouvelles élections au mois de novembre. Dilan Yeşilgöz, son successeur à la tête du parti, a de nouveau fait de la « maîtrise de la migration » le fer de lance du programme électoral du VVD. Elle va même un peu plus loin vers la droite radicale. Elle a déjà annoncé qu’elle voudrait former une coalition avec le PVV – ce que Rutte a toujours exclu car Geert Wilders ne reconnaît pas la primauté de la loi.

RUTTE DÉÇU DE L’ACCORD – PAS PAR LES ABUS DES DROITS DE L’HOMME EN TUNISIE

Entre temps, Mark Rutte a jusqu’ici été déçu par les conséquences de l’accord avec la Tunisie. Depuis la conclusion de l’accord avec la Tunisie, plus de 30 000 migrants sont arrivés sur l’île italienne de Lampedusa en provenance de Tunisie. Il « ne s’attendait pas » à ce que le nombre de personnes arrivant en Italie en provenance de Tunisie soit toujours aussi élevé, a-t-il déclaré à la chaîne de télévision néerlandaise NOS fin septembre. Cependant, Rutte a souligné qu’il était « absolument convaincu » que les accords étaient nécessaires. « Nous ne pourrons pas maîtriser la question de l’asile si nous ne sommes pas prêts à conclure des accords avec des pays comme la Tunisie ».

Alors que Saied négociait avec l’Europe, son régime a déporté 1 200 migrants dans le désert, a rapporté le journal belge De Standaard. Des centaines d’Africains subsahariens ont été transportés dans des bus vers les plaines sablonneuses aux frontières avec la Libye et l’Algérie. Lors des déportations, des dizaines sont morts de soif, dont de jeunes enfants. Des centaines de migrants sont portés disparus. « De Standaard » a considéré qu’il s’agit de l’un des plus grands refoulements depuis la Seconde Guerre mondiale. Cependant, Rutte n’a pas dit un mot sur ces crimes et violations brutales des droits de l’homme.

Mark Rutte voulait conserver ses partisans, être le garde-frontière des Pays-Bas et faire preuve d’engagement sur le dossier de la migration. Un dossier qui avait défini de manière disproportionnée l’agenda politique néerlandais depuis des décennies. C’est ce qu’avait exprimé le Premier ministre néerlandais en souriant et en serrant la main de Saied sur la photo.