Messages clés
- La persistance de la stigmatisation des troubles mentaux, le manque d’éducation de masse sur la santé mentale d’un côté, et la demande croissante de soutien psychologique de l’autre, pourraient engendrer l’émergence de nouvelles formes de pseudothérapie, socialement et médiatiquement validées.
- Le coach de vie n’est pas un professionnel de la santé mentale, à moins qu’il soit un psychologue, un médecin psychiatre ou un psychothérapeute. Il est important de distinguer entre un psychothérapeute spécialisé en coaching et un coach autoproclamé.
- Le coaching psychologique peut être efficace pour potentialiser un état psychique non pathologique ou pour réduire et faire disparaître un malaise psychologique d’intensité légère, tel qu’une inquiétude liée à un stress ou un trouble de l’adaptation.
- Le coaching psychologique ne traite pas des troubles mentaux tels que la dépression sévère, l’état de stress post-traumatique, le trouble anxieux comme le trouble panique, le trouble d’anxiété généralisée, la phobie, l’addiction, le trouble bipolaire et la schizophrénie. Dans ce cas, il faut consulter et demander de l’aide à un professionnel de la santé mentale, c’est-à-dire un psychiatre ou un psychologue.
- Dans le cas où le coaching ne semble pas être efficace pour vous, prenez le temps de vous auto-évaluer. Assurez-vous que vos difficultés ne sont pas le reflet d’une dépression sous-jacente qui nécessiterait l’expertise d’un professionnel de la santé mentale.
- Le coaching psychologique est une démarche délicate qui doit être confiée à des professionnels compétents et expérimentés. Optez toujours pour des praticiens qualifiés dans le domaine, capables d’apporter un soutien spécialisé dans un cadre de confiance, légal et éthique.
Réflexions sur la liberté, le bonheur et le paternalisme
“C’est à toi et à toi seul de choisir le chemin que tu empruntes et, à tout moment, tu as le droit de changer de direction ‘’ Cette citation est attribuée à Carl Gustav Jung, psychiatre suisse et pionnier de la psychologie positive. Carl Jung, initialement axé sur l’étude des troubles mentaux, a rapidement élargi son champ d’intérêt pour explorer la capacité humaine à évoluer, à s’améliorer, et à instaurer un dialogue entre le conscient et l’inconscient, favorisant ainsi une approche dynamique du développement de l’être humain dans sa globalité.
‘’Les seules connaissances qui puissent influencer le comportement d’un individu sont celles qu’il découvre lui-même et qu’il s’approprie’’ Citation de Carl Rogers, pionnier de la psychologie humaniste, dont l’approche consiste à comprendre et à accepter les individus tels qu’ils sont pour les accompagner en les encourageant ainsi à exploiter pleinement leur potentiel.
Les principes fondamentaux de leurs approches comprennent la promotion de la liberté, de l’autonomie, ainsi que le respect des individus et de leurs besoins. Le développement personnel, est un concept fondamental de la psychologie humaniste, ayant comme principe d’encourager les individus à reconnaître leurs propres forces et faiblesses. Il vise à accroître leur prise de conscience personnelle. Lorsqu’une telle conscience est atteinte, les individus commencent à comprendre comment ils interagissent avec leur environnement et comment ils peuvent utiliser cette compréhension pour instaurer des changements positifs dans leur vie quotidienne.
Ainsi, le bonheur n’est pas une prescription autoritariste ou paternaliste. Le bonheur n’est pas un costume à porter, c’est une philosophie à découvrir en harmonie avec sa personnalité, son environnement et son éthique personnelle. Parce que personne ne détient le secret de ton bonheur et que chacun cherche sa propre formule pour le créer. Nous avons besoin de personnes qui nous accompagnent, qui nous donnent l’exemple, pas des personnes qui nous dictent ce que nous devons faire. Le bonheur est l’autonomie que l’on accorde à soi-même, enrichie par la compagnie des autres.
Dans toutes les sciences liées au bonheur, il y a une impérative éthique à s’éloigner de toute forme d’injonction paternaliste, c’est-à-dire que la personne souffrant d’un malaise psychologique ou d’un trouble mental participe activement à sa propre thérapie. Quand il s’agit des sciences médicales, psychologiques, humaines et sociales, la question du bonheur s’articule autour de modèles fondés sur des preuves et élaborés à partir de théories robustes et se valident par des épreuves scientifiques.
Dans notre société tunisienne, caractérisée par son aspect paternaliste en matière de prise de décisions, de nombreux choix de vie sont fréquemment délégués aux figures d’autorité. Le phénomène du coaching de vie, tel qu’il est présenté aujourd’hui, est un produit du marketing moderne qui émerge dans ce cadre de paternalisme, cherchant à guider ceux et celles en quête de bonheur ou se sentant démunis vers une vie meilleure.
Phénomène de mode
Le coaching de vie a émergé comme un nouveau paradigme pour améliorer la condition humaine dans les sociétés modernes, caractérisées par une culture de consommation et de productivité. La fédération internationale du coaching définit le coaching comme étant un processus interactif qui aide les individus à se perfectionner plus rapidement pour produire des résultats plus satisfaisants. Le coaching a émergé aux États-Unis au début des années 1960, initialement dans le domaine du sport, puis il a envahi celui de l’entreprise. Depuis 2010, il a connu une expansion mondiale, touchant divers domaines tels que le développement personnel, la psychologie, la nutrition, la médecine et même différents aspects de la vie professionnelle, scolaire, ou académique.
Le coaching gagne en popularité en Tunisie, tant dans le domaine du développement personnel que dans les sphères socio-entrepreneuriales et sportives. Cette ascension découle aussi de la demande croissante de solutions aux défis contemporains tels que le stress, l’anxiété et l’épuisement, tout en reflétant une quête collective de performance et de rendement. Cela peut être dû aussi à la fois à une recherche individuelle de bien-être et une résonance collective avec les changements psycho-socioculturels en Tunisie. Alors que le pays se trouve dans un paysage sociétal en évolution, influencé par des idéaux occidentaux de modernisation et de bien-être physique et mental véhiculés par les nouveaux médias et une réalité qui ne répond pas aux exigences de bien être.
Depuis 2011, on observe une augmentation des ventes d’antidépresseurs et d’anxiolytiques, phénomène exacerbé par la pandémie des trois dernières années. La déclaration de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) en mars 2022, mettant en lumière une augmentation significative de 25 % de la prévalence de l’anxiété et de la dépression au cours de la première année de la pandémie, souligne l’ampleur des défis auxquels de nombreuses personnes sont confrontées dans le monde. Selon le “World Happiness Report” de 2023, la Tunisie a enregistré une baisse de son score depuis 2018, se situant désormais à 4,497 points et la classant ainsi à la 110ème place sur 137 pays évalués. Dans la région de l’Afrique du Nord, la Tunisie affiche la régression la plus notable depuis le début des années 2010. Cela la positionne dans une place peu enviable au classement mondial du bonheur.
Un aspect positif de tous ces défis ces dernières années est que les mentalités évoluent lentement vers une meilleure prise de conscience de la santé mentale. L’éducation et la lutte contre la stigmatisation des troubles mentaux sont désormais soutenues par des professionnels de la santé mentale tels que les psychologues et les psychiatres, ainsi que par des émissions, des pages et des podcasts diffusés sur les réseaux sociaux. De plus, plusieurs associations de la société civile s’engagent activement dans la promotion de la santé mentale.
Cependant, le coaching de vie en Tunisie présente un aspect ambigu. Il est de plus en plus idéalisé par certains jeunes qui le considèrent comme une clé du bonheur, offrant une solution toute faite pour agir et penser. Cette conception est largement véhiculée par les médias, qui invitent régulièrement des intervenants-coachs pour partager leurs conseils sur la vie, le bien-être et l’épanouissement personnel, créant ainsi l’illusion que ces experts détiennent la formule magique du bonheur. Leur notoriété se renforce sur les réseaux sociaux, notamment auprès d’une génération qui tend à surconsommer le virtuel.
La question qui se pose est de savoir s’il s’agit d’une simple tendance, d’un effet de mode, d’une nouvelle arnaque opportuniste, ou bien d’un outil psychologique visant à accompagner les petites souffrances et à instaurer des règles d’hygiène de vie qui pourraient aider à surmonter les malheurs du quotidien. Il est légitime de se demander dans quelle mesure le coaching de vie est applicable, pourquoi il fonctionne pour certains et pas pour d’autres. Peut-on réellement traiter un trouble mental par un coach de vie ? Dans de tels cas, est-il possible de recourir à un coach de vie sans consulter un professionnel de la santé ? Que dit la science concernant le coaching psychologique ? Si la santé aujourd’hui est définie par l’OMS comme étant ‘’un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité’’, le coaching pourrait s’appliquer pour renforcer cet état de bien-être ?
Coaching de vie : la nouvelle tradithérapie des jeunes tunisiens ?
En 2024, la tradithérapie perdure encore comme une pratique répandue en Tunisie, où la consultation d’un tradithérapeute demeure un élément rituel au sein de nombreuses familles, influencées par des croyances socioculturelles. Les tradithérapeutes s’adressent généralement à un groupe sociodémographique caractérisé par un niveau psychoéducatif bas et une adhésion au concept des forces surnaturelles, témoignant d’une fascination pour l’irrationnel. La tradithérapie est renommée pour sa facilité d’accès, mais surtout parce qu’elle s’inscrit harmonieusement dans un contexte d’héritage socioculturel. Le guérisseur propose un système d’interprétation qui l’assiste dans la compréhension positive de sa souffrance, tout en fournissant une explication qui dépasse son aspect physique ou mentale. En effet, si la tradithérapie témoignait d’une méconnaissance des maladies, qu’elles soient physiques ou mentales, et qu’elle pouvait être perçue comme un dernier espoir pour la guérison, le coaching de vie semble émerger comme une alternative récente, qui peut être choisie en premier recours pour éviter un professionnel de la santé mentale par peur de l’étiquetage. Ainsi, la posture de coach de vie psychologique pourrait être perçue comme une figure rassurante, car elle n’est pas directement liée à la maladie mentale. Cependant, cela comporte le risque que des personnes portant une vulnérabilité quelconque, voire même un fort risque de décompensation psychiatrique, soient dirigés vers ces nouvelles formes de pourvoyeurs de bien-être, mettant ainsi en péril le suivi spécialisé dont ils pourraient avoir besoin.
Le coaching de vie psychologique, tel qu’il est présenté aujourd’hui en Tunisie, suscite l’intérêt, surtout parmi les populations instruites, notamment les jeunes universitaires, ou encore parmi les adolescents, qui cherchent toujours un modèle à suivre et des instructions qui peuvent leur assurer un sens à leurs vies. Que ce soit la tradithérapie ou le coaching de vie, ces pratiques visent à répondre à des questions de bien-être, à rechercher un confort social ou spirituel guérisseur et à se protéger contre les aléas de la vie pour atteindre un bien-être physique, psychique et social.
Je partage deux expériences que j’ai vécues et qui m’ont poussé à m’interroger a posteriori sur ces enjeux éthiques du dérapage que certains coachs risquent de faire. En 2019, lors d’un événement culturel auquel j’ai assisté, animé par un coach de renom. Dans sa bande-annonce du bonheur et son cours magistral portant sur le sens que nous devons avoir dans la vie, le coach avançait avec certitude que la dépression était un choix personnel et que la personne déprimée est responsable entièrement de son malheur. Ces propos ont négligé les dimensions biologiques influençant la personnalité, une lacune incompatible avec la compréhension contemporaine de la psychologie humaine. Sa vision réductrice de la dépression ignorait les nuances des troubles tels que la dépression bipolaire ou la dépression chronique récurrente, démontrant une compréhension limitée de la réalité psychologique de l’humain.
Mon second témoignage, datant de 2022, se déroule dans le cadre d’une initiative dédiée à la santé mentale dans une université tunisienne. Durant cette rencontre, un coach de vie a abordé les troubles du sommeil et l’épisode maniaque avec des théories qu’il a annoncées, traitant le sujet avec une légèreté déconcertante, comme s’il s’agissait d’une simple question de préférences personnelles, négligeant ainsi la gravité de ces problèmes de santé publique mondiale. Pour le coach, il faut laisser un épisode maniaque d’un trouble bipolaire se résoudre spontanément car la manie peut l’aider à se réaliser et à être ce qu’il est. Alors, on sait aujourd’hui, que l’épisode maniaque s’inscrivant dans le trouble bipolaire, parmi les dix troubles les plus invalidants selon l’Organisation mondiale de la santé et que pendant un épisode maniaque avec l’excès maladif d’énergie peut entraîner des répercussions délétères sur sa santé physique, psychique et sociale.
Ces deux expériences ont suscité en moi des questions sur l’authenticité et la pertinence des approches adoptées dans le domaine du coaching psychologique en Tunisie. Pour moi, les qualifications réelles de ces deux coachs sont remises en question. Je me demande s’ils s’appuient sur des critères tels que le nombre de fans sur Instagram ou sur Facebook pour établir leur crédibilité plutôt que sur une expertise réelle en psychologie humaine.
Risques potentiels
L’état actuel du coaching de vie en Tunisie suscite des inquiétudes, non pas en raison de l’outil lui-même, mais en raison du risque associé à l’absence de régulation. Ce flou concernant ce nouveau métier permet à des non-professionnels d’exercer, ce qui soulève des interrogations sur la légitimité et la qualité des services proposés. Le manque de données concernant les profils et les formations des coachs de vie contribue à cette ambiguïté, compliquant la distinction entre les professionnels qualifiés et ceux qui prétendent l’être. La recherche sur google donne accés à certains coachs de vie en Tunisie travaillent avec des cabinets, proposant des consultations à des tarifs non réglementés par la loi, ce qui alimente un véritable business sans garantie de qualité ni de sécurité éthique pour les coachés. De plus, le manque de transparence quant aux méthodes et aux approches utilisées par ces coachs soulève des préoccupations quant à l’efficacité et la pertinence de leurs interventions. À ce jour, l’absence de fédération spécifique et de code déontologique clairement établi pour encadrer cette pratique pourrait entraîner des dérives et mettre en danger des individus vulnérables.
Il faut rappeler que l’approche du coaching, par définition, ne convient pas à la quasi-totalité des troubles mentaux. Prenons l’exemple d’une personne souffrant de dépression, incapable d’éprouver du plaisir ou de se projeter dans l’avenir, suivant les conseils d’un coach pratiquant la psychologie positive. Une telle démarche pourrait aggraver la culpabilité de la personne, car la dépression l’empêche de ressentir des émotions positives. Ceci est contre-productif voire même antithérapeutique dans le traitement de la dépression. En l’absence de qualifications ou de compétences, comment un coach peut-il savoir ce qui relève de la médecine, de la psychologie ou de son propre domaine d’expertise ? Cela peut impliquer le risque d’une relation coach-coaché dans un cadre non défini. De plus, il y a le risque de dépendance, qui pourrait se retrouver à rechercher constamment l’approbation et les conseils du coach, au lieu de trouver ses propres solutions. Le risque de déresponsabilisation, où le coaché pourrait se décharger de sa responsabilité sur le coach, refusant ainsi d’assumer les conséquences de ses propres choix et actions.
Cependant, les recherches scientifiques mettent en évidence l’efficacité du coaching psychologique dans certaines situations de détresse ou lorsqu’un trouble de l’adaptation survient à la suite d’un événement stressant. En effet, ce type de soutien peut aider à revitaliser la personne et à renforcer ses mécanismes de défense psychologiques. Il est pertinent aussi que le coaching psychologique trouve des applications dans des domaines liés à la performance. Par exemple, on peut citer le cas d’Ons Jaber, qui bénéficie du soutien dans son parcours sportif d’une psychologue clinicienne spécialisée dans le coaching sportif, Mélanie Maillard. Un autre exemple est celui de Tony Robbins, un coach de vie américain qui exerce une influence marquante sur les jeunes. En tant que conférencier, philanthrope et écrivain, Robbins a produit plusieurs ouvrages portant sur le développement personnel, qui constituent une précieuse source d’inspiration pour les jeunes en quête de réussite. Aux États-Unis, Tony Robbins incarne l’idée que la détermination est la clé du succès, illustrant ainsi le principe selon lequel la volonté peut transformer les aspirations en réalité.
Réflexion finale
L’émergence du phénomène du coaching de vie en Tunisie semble refléter une société en transition quant à sa prise de conscience en matière de santé mentale. Cette transition pourrait malheureusement entraîner une exploitation du marché de la détresse mentale, s’inscrivant dans un contexte socio-culturel en évolution.
Dans les années à venir, il est plausible que le coaching de vie prenne encore plus d’importance en Tunisie, risquant d’attirer des individus déjà fragilisés sur le plan psychologique. En l’absence d’un cadre défini régulant cette relation, il existe un risque potentiel pour les personnes qui recourent à ces services de coaching. Une question socio-phénoménologique se pose : le coaching de vie serait-il la nouvelle incarnation contemporaine de la “tradithérapie” chez la jeunesse tunisienne ?
Bien que des progrès modestes aient été réalisés en ce qui concerne la perception de la santé mentale, les troubles mentaux demeurent jusqu’aujourd’hui stigmatisés. Puisque la culture joue un rôle essentiel dans notre cohésion sociale et notre identité collective, il sera judicieux de revoir notre conception culturelle de la santé mentale afin de relever les défis de notre société, plutôt que de céder passivement à l’émergence de pseu-dothérapies médiatiquement validés.
“L’éducation est l’arme la plus puissante que l’on puisse utiliser pour changer le monde”,
Nelson Mandela.
iThere are no comments
Add yours