L’usage des réseaux sociaux par les enfants âgés de 13 à 17 ans a augmenté de 88 % au cours de la période entre 2019 et 2022. Quelque 500 mille utilisateurs appartiennent désormais à cette tranche d’âge. Devenus des utilisateurs massifs des réseaux sociaux, beaucoup d’enfants consomment les contenus publiés sur internet. Et ils les alimentent également à leur tour, avec leurs comptes personnels sur les réseaux sociaux.

L’éducation des enfants passent aussi de nos jours par une certaine sensibilisation à l’usage des réseaux sociaux. D’autant plus que les smartphones sont désormais à la portée des plus jeunes. Ils s’en servent d’abord pour jouer, permettant à leurs parents de les occuper, histoire de grappiller des moments de tranquillité. Conséquence immédiate : les enfants investissent internet et s’exposent trop souvent à la violence.

Exposition accrue

L’utilisation d’internet par les enfants relève de la responsabilité parentale. Or, certains parents se révèlent démissionnaires. « Les parents laissent les enfants seuls devant les écrans sans avoir un œil sur les contenus qu’ils consultent », déclare à Nawaat le président de l’Association tunisienne de défense des droits de l’enfant (ATDDE), Moez Cherif.

Livrés à eux-mêmes, les adolescents s’infligent entre eux des formes de violences. Contacté par Nawaat, le délégué général à la protection de l’enfance, Mehyar Hamadi,note que la violence revêt plusieurs formes dont celle entre des groupes sportifs ou des élèves de lycées concurrents. Le harcèlement sexuel entre des adolescents est aussi monnaiecourante. Il en est de même pour les bizutages. D’après le responsable ministériel, la violence dans la vie réelle se prolonge dans la sphère virtuelle.

Dans ce sens, Moez Cherif estime que les réseaux sociaux n’ont pas créé la violence. Ils sont les outils à travers lesquels elle s’exprime et prend de l’ampleur. L’exposition des enfants sur les réseaux sociaux s’est accentuée depuis le confinement lié à la crise sanitaire du Covid-19, relève le responsable associatif. « La violence, jadis cantonnée dans l’enceinte des établissements scolaires, a basculé vers le virtuel. Et elle s’est depuis  banalisée », commente-t-il. Mais la violence émanant des enfants n’est que le reflet de la violence qu’ils subissent à leur tour de la part de leur famille, relève le spécialiste. « Un enfant, sujet à de la violence parentale, a lui-même tendance à la reproduire sur d’autres personnes », explique le président de l’ATDDE. Le culte de la violence se transmet également via l’accès à des jeux violents, à des contenus faisant l’apologie de la violence ou encore des images pornographiques.

Autre danger sur ces réseaux :l a mise en valeur excessive d’éléments superficiels comme l’apparence physique. « Basés sur l’image, des réseaux comme TikTok et Instagram présentent tous les ingrédients susceptibles d’ébranler l’estime de soi des adolescents. On relève ainsi des cas d’anorexie due au culte de la maigreur », explique la psychologue Emna Bel Haj Amor à Nawaat.

Les adolescents suivent des influenceurs (euses) exhibant la facette édulcorée de leur vie ou mettant en avant un standard de beauté. « Les adolescents comparent leur vie à la leur, ce qui suscite des frustrations. La vie réelle ne les contente plus », indique la psychologue. La dissonance entre le monde réel et son avatar virtuel cause une détresse psychologique. Parmi les symptômes : un renfermement sur soi, un état de tristesse, une susceptibilité accrue ou encore l’abandon scolaire, énumère-t-elle

Harcèlement sexuel

Devenue populaire lors du confinement, l’application TikTok séduit les jeunes. D’ailleurs, ce sont deux adolescentes américaines, Charlie et Dixie D’Amelio qui l’ont rendu célèbre en 2019 à travers leurs vidéos de danse. En Tunisie, de nombreux adolescents y partagent des vidéos de playback ou de chorégraphies accompagnés de musique et de filtres, ayant des fois des aspects hypersexués et exhibitionnistes.

Les vidéos de quelques secondes sur les réseaux sociaux ont un effet hyper stimulant plus important auprès des plus jeunes, explique Emna Bel Haj Amor. Cet aspect addictif renforce la présence des enfants sur ces plateformes et les conséquences néfastes qui en découlent.

Les images des enfants défilent ainsi sur les réseaux sociaux. Elles sont publiées par leurs familles ou par les concernés. Des harceleurs ont trouvé dans les réseaux sociaux un terrain propice àla chasse aux enfants. Mère de deux fillettes, Emna Ben Jemma relate le cas de sa fille, âgée de 9 ans, membre d’un groupe sur TikTok dédié à des performances de danse d’adolescents. « Des hommes étaient membres du groupe. L’un d’eux a liké la performance de ma fille avant que je ne le bloque. Une autre mère raconte le cas d’un homme ayant envoyé la photo de son sexe à sa fille ».

Et il ne s’agit pas de cas isolé. « Des pédophiles se servent des réseaux sociaux pour manipuler des adolescents en les bombardant de commentaires élogieux. Fragiles, ayant un faible estime de soi, ils sont des proies facilement manipulables », fait savoir la psychologue.

Le délégué général de la protection de l’enfance parle d’un phénomène d’exploitation sexuelle via internet. Manipulés, les enfants communiquent des informations personnelles à des amis virtuels sur les réseaux ou encore des photos intimes. « Cela dégénère en chantages à caractères sexuels, en menaces de publication de leurs échanges. Dupées par leur harceleur, certaines filles fuguent pour le rejoindre. Certaines de ces mésaventures finissent par des agressions sexuelles », déplore Mehyar Hammadi.

L’exploitation sexuelle des enfants constitue 90% des cas de cyberviolences signalés auprès aux délégués de la protection de l’enfance, révèle la ministre de la Femme et de l’Enfance, Amel Bel Haj Moussa, le 15 mars.

Les répercussions sur les enfants sont désastreuses. « Ayant peur de la réaction de leurs parents, certaines victimes ne leurs en parlent pas. Ils craignent leurs représailles. Par conséquent, ils cèdent à leur harceleur ou se taisent et s’enfoncent dans leur détresse », regrette le représentant de l’ATDDE. L’exposition des enfants à des images pornographiques sur internet provoque également des troubles psychologiques, relève Moez Chérif. « Des enfants éduqués sexuellement à travers ces images violentes sans avoir les moyens de les filtrer, seront eux-mêmes enclin à reproduire cette violence », alerte-t-il.

Pour endiguer ce phénomène, la délégation générale de la protection de l’enfance mène une campagne sur les réseaux sociaux pour mettre en garde contre les dangers de la présence incontrôlée des enfants sur internet. « Pour enrayer ce fléau, il faut que les familles soient conscientes des risques encourus par leurs enfants. L’addiction au monde virtuel n’affecte pas seulement les enfants, mais conduit également à la dislocation des liens familiaux. On est en train de façonner des personnes sans repères et sans vrais liens sociaux », déplore le représentant du ministère de la Femme et de l’Enfance. Et de poursuivre :

J’incite les parents à arrêter d’exposer leurs enfants sur des groupes ou des pages ouvertes. L’enfant est un sujet de droit dont il faut protéger les données personnelles.

Enrayer la violence cybernétique passe également par la saisie de la justice. L’article 26 du décret-loi 54 de 2022 relatif à la lutte contre les infractions se rapportant aux systèmes d’information et de communication sanctionne les auteurs d’agressions sexuelles envers les enfants sur internet d’une peine d’emprisonnement de 6 ans et d’une amende de 5 mille dinars. Toutefois, la ministre de la Femme et de l’Enfance appelle à promulguer une loi spécifique à la cyberviolence envers les enfants pour endiguer ce fléau.

Dans ce cadre, Mehyar Hammadi indique qu’en cas de dépôt d’une plainte, l’Instance nationale des télécommunications a les moyens de démasquer les faux profils derrière lesquels se cachent le plus souvent les agresseurs. Encore faut-il que les policiers soient eux-mêmes conscients de la dangerosité des crimes cybernétiques. Emna raconte que la police n’a pas donné suite à sa plainte contre un homme qui a harcelé sa fille de 8 ans sur WhatsApp. « Le policier m’a dit qu’il suffit de le bloquer », nous raconte-t-elle.

La cyberviolence envers les enfants prend de l’ampleur sous l’œil complice de certains parents. Les effets sournois de la présence massive des enfants sur les réseaux sociaux ne sont pas anodins. Ils peuvent compromettre la psychologie de l’enfant. Et le virtuel risque ainsi d’avoir un réel impact dévastateur.