Elles sont 214 femmes contre 1213 hommes à se porter candidats aux élections législatives prévues le 17 décembre. Les femmes représentent ainsi à peine 15% des candidatures. Et la participation féminine aux élections ne cesse de décroitre. Aux élections législatives de 2014, les femmes constituaient 48% des candidats contre 47.5% en 2019. Cette présence féminine a été assurée par la loi électorale de 2014, exigeant que la composition des listes de candidats soit alternée entre hommes et femmes. Avec le très faible nombre de candidates à la députation lors des élections du 17 décembre, le prochain parlement sera de toute évidence composé dans son écrasante majorité d’hommes. En 2014, les femmes ont remporté 31% des sièges au parlement. À la fin de la législature en 2019, elles en occupaient près de 36%.

Des obstacles multiples

Le 15 septembre, Kais Saied a promulgué une nouvelle loi électorale renonçant au principe de parité entre les sexes dans les assemblées élues en Tunisie. En vertu de ladite loi, les candidates ont dû récolter 400 signatures d’électeurs inscrits dans leur circonscription pour pouvoir se présenter.

Les candidates nous ont rapportées que cette exigence a été un véritable frein. Au final, il n’y a aucune candidature féminine dans plus de 60 circonscriptions électorales. Celles qui ont pu se présenter ont le mérite de braver de nombreux obstacles,

a souligné Torkia Chebbi de la LET à Nawaat.

Dans le cadre d’un projet visant à renforcer la capacité des femmes à accéder aux postes de décision, cette association a formé une vingtaine de femmes candidates en vue du scrutin du 17 décembre. Ces candidates ont souligné leurs difficultés à accéder aux espaces publics, notamment ceux réservés exclusivement aux hommes comme les cafés. Un sondage mené en décembre 2019 a montré que 41% des répondants ont mentionné les cafés comme le principal forum de discussion politique, les ménages sont en deuxième position, loin derrière, avec 18 %.

En vertu de la nouvelle loi électorale, les candidats n’ont plus accès à un financement public pour leurs campagnes. Ils sont amenés à compter sur leurs propres moyens ou sur des fonds privés. Or les femmes ne disposent pas des mêmes moyens d’accès à la richesse par rapport aux hommes. Le taux de chômage des diplômés de l’enseignement du supérieur selon le genre est de 17.6% chez les hommes et de 40.7% chez les femmes au 3ème trimestre de l’année 2020. S’ajoutent à cela, les disparités salariales et l’inégalité des lois en matière d’héritage.

Une étude portant sur le financement politique et le genre dans les élections de 2011 et de 2014 a révélé que parmi les facteurs importants favorisant la nomination des femmes et leur placement sur les listes, il y a ceux liés à leur richesse individuelle. Ce facteur est donc d’autant plus déterminant en l’absence de financement public.

Faire de la politique est également perçu en Tunisie comme un attribut masculin. Cette idée est renforcée par le tribalisme et le népotisme. Un ensemble d’éléments préjudiciables pour les femmes candidates,

relève Sarah Ben Said, directrice exécutive de l’association Aswat Nissa.

Son association a mis en place de 2012 à 2019 une académie politique pour former les femmes politiques. «Cette mentalité est particulièrement ancrée dans les régions intérieures», souligne-t-elle.

Identité politique indéterminée

Ceci n’a pas empêché 11 femmes de se présenter à la députation dans le gouvernorat de Sidi Bouzid. C’est ce gouvernorat qui enregistre le plus grand nombre de candidatures féminines. Mais elles sont en concurrence avec 60 candidats. Les candidates de Sidi Bouzid, comme celles des autres circonscriptions, insistent particulièrement sur le développement de leur région. Un constat confirmé par Torkia Ben Khedher. « Le programme électoral des candidates formées par l’association a été axé sur les besoins de leurs régions. La plupart se présentent comme étant indépendantes de tous partis politiques et en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes », affirme-t-elle.

Mais les revendications féministes sont vagues et abstraites. A Sidi Bouzid, les candidates Awatef Khlifi et Arwa Hamouni ont mentionné la nécessité que les femmes accèdent aux postes de pouvoir. Khlifi et une autre candidate, Amel Gamoudi, ont plaidé brièvement pour l’amélioration de la condition des femmes rurales. Quant à la candidate Raja Dahmani, elle dit vouloir préserver les acquis des femmes.

Hormis quelques passages médiatiques, on ne trouve leurs programmes nulle part. Elles sont dépourvues de profils publics sur les réseaux sociaux. Pourtant, les principales demandes de formation des candidates accompagnées par la LET portaient sur la communication politique et la direction des campagnes électorales.

Ce manque de visibilité des femmes candidates est perceptible auprès des associations féministes. «Le mode de scrutin uninominal écartant les partis politiques ne permet pas de cerner le positionnement idéologique et les choix socio-politiques des femmes candidates. Auparavant, leur appartenance à des partis le permettait. On ignore ainsi si elles sont vraiment conservatrices ou progressistes», explique la représentante d’Aswat Nissa. Toujours à Sidi Bouzid, seule une candidate, Amel Gamoudi, a mis en avant son appartenance au Mouvement Echaâb. Sa concurrente, Raja Kadoussi, avait fait campagne, quant à elle, pour le oui au référendum de 25 juillet 2022. Une autre, Yosra Ouni, se contente de se présenter comme étant à l’image de la femme tunisienne, cultivée et jeune.

A noter que les principaux partis en Tunisie ont annoncé leur boycott des élections. En l’occurrence, la Coalition de la dignité, le parti de l’Espoir, le Parti destourien libre (PDL), le Parti républicain, le Parti des travailleurs et le Hirak Tounès al-Irada, comme Ennahdha ou QalbTounès, ne participent pas à ces législatives.

Boycottant également les élections, la présidente de l’association tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD), Naila Zoghlami, déclare à Nawaat, que son association prédit que le prochain parlement sera essentiellement constitué de députés conservateurs, indépendamment de leur sexe. «Le problème dépasse la question de la présence féminine, même si on plaide toujours pour la parité. C’est tout le système politique mis en place par le président de la République qui est aberrant». Et de conclure : «De toute façon, ce n’est pas une élection basée sur les programmes. Le parlement sera dépossédé de ses pouvoirs législatifs. Il ne sera qu’une façade légitimant les choix de Saied».