Sentir les frissons du désir. Eprouver une envie irrésistible de se donner et recevoir le corps de l’autre. Entamer les préliminaires, s’en délecter. Puis, au moment du coït, se crisper au point de rendre impossible toute possibilité de pénétration. C’est le lot de certains couples en Tunisie quand la partenaire souffre de vaginisme. Et elles sont « très nombreuses » à en pâtir, affirme la présidente de la Société tunisienne de sexologie clinique (STSC), Meriam Mahbouli, à Nawaat. « Le vaginisme constitue le motif de consultation le plus fréquent chez les femmes ayant des problèmes d’ordre sexuel et pour les couples n’ayant pas consommé leur mariage », avance-t-elle.

Ce trouble demeure cependant largement méconnu. Certains l’attribuent à un coup du sort, une manifestation du mauvais œil, ou à un caprice féminin. Des croyances balayées par la sexologue : « Le vaginisme est une phobie de la pénétration. Elle est d’ordre psychologique. Et elle se traduit par une peur exagérée et inadaptée de cet acte. Concrètement, il se manifeste par une contraction involontaire des muscles autour du vagin, rendant la pénétration impossible et extrêmement douloureuse ».

Détresse conjugale

C’est le cas de Sana, 31 ans. Mariée depuis 5 ans, la jeune femme n’a pas totalement consommé son mariage. Avant le mariage et malgré l’existence d’une vie sexuelle avec son partenaire, la pénétration n’était pas envisageable pour eux, raconte-t-elle. Pendant leur voyage de noces non plus. «Trop fatigués pour y songer », se souvient-elle. Ce n’est qu’après quelques semaines, de retour à Tunis, qu’ils ont essayé un coït. En vain. L’histoire de Sana rappelle celle d’Amel, 28 ans, à la différence que cette dernière n’est plus vierge. Après une défloration expéditive, la jeune femme s’est rendue compte qu’elle ne pouvait plus renouveler l’expérience. « La vue du sexe de mon partenaire annihilait toute envie d’aller plus loin », se lamente-t-elle.

Pour parer à cette situation, Sana, salariée dans une ONG et originaire de Tunis, s’est installée dans ce qu’elle appelle sa « zone de confort ». Concrètement, dans l’évitement de la pénétration tout en ayant des rapports sexuels avec son époux. « Tout y était sauf la pénétration », dit-elle. Idem pour Amel, employée dans une société et originaire de Sfax. « Le but était de combler l’éventuelle insatisfaction de mon partenaire avec d’autres pratiques visant à maintenir la flamme du désir », relate-t-elle. Cette parade est fréquente et s’inscrit dans une stratégie de l’évitement de la pénétration, explique la représente de la Société tunisienne de sexologie.

Cependant, cette stratégie montre ses limites avec la durée. Sana évoque un désir déclinant avec le temps et détourné vers un investissement professionnel et une sociabilité excessive laissant peu de place à l’intimité du couple. Elle regrette que ce trouble sexuel déborde pour atteindre sa confiance en elle. Son partenaire n’en sort pas indemne. Il lui communique aussi une détérioration de sa confiance en lui. Ces remises en question partagées sont les conséquences d’une détresse susceptible d’atteindre également la sexualité du partenaire masculin. « Le vaginisme comme trouble sexuel féminin peut engendrer des troubles sexuels masculins à l’instar des troubles érectiles ou le manque de désir », explique la sexologue.

Le désarroi imprégnant le couple de Sana s’est surtout envenimé avec le désir d’enfant persistant exprimé par son époux : « Pour n’importe quelle dispute futile, mon mari me ressort sa frustration de n’a pas avoir eu d’enfant », s’inquiète la jeune femme. Cette pression, exercée également par l’entourage familial, l’a poussée à consulter un gynécologue. Une fausse piste pour ce trouble. Mais le désir d’enfant motive souvent une consultation auprès d’un sexologue pour les couples mariés. Et ce, même des années après leur mariage, fait savoir la sexologue.

D’autres, d’après elle, vont voir des charlatans pour endiguer ce qu’ils considèrent comme relevant de l’ensorcellement. L’exorcisme, sollicité autant comme moyen de guérison, est en vérité une des causes du vaginisme (voir la vidéo en arabe ci-dessous).

Verrouillage du corps féminin

La sexologue pointe ainsi du doigt les conséquences dramatiques du « tasfih » (verrouillage, rituel de charlatan) sur la psychologie des femmes et dans la survenue du vaginisme.

Cette pratique fait «l’objet d’une première phase rituelle, qui se déroule avant la puberté des petites filles (entre 6 et 10 ans) et repose sur deux précautions touchant tant la gent féminine que masculine: sous son action, la jeune fille est censée devenir impénétrable et tout homme s’approchant d’elle est supposé perdre sa puissance sexuelle. Théoriquement, l’acte sexuel pré-marital, volontaire ou forcé, n’est donc plus possible. À la veille des noces, une seconde phase rituelle permet à chacun de retrouver ses capacités sexuelles. Ainsi le rituel fait-il se succéder un temps de « fermeture » et un temps d’« ouverture » de la sexualité. « Ces deux étapes s’accompagnent de paroles magiques qui se doivent d’être correctement prononcées afin d’en assurer l’efficacité », explique l’anthropologue tunisienne Ibtissem Ben Dridi, auteur de l’ouvrage « Le tasfih en Tunisie : un rituel de protection de la virginité féminine ».

Ce contrôle familial de la virginité des femmes se manifeste par ce rituel mais aussi par la diabolisation de la sexualité par les mères ou femmes de l’entourage, complices de la domination masculine sur les corps féminins. Pour Sana, ce contrôle strict de son corps s’effectuait par sa mère et sa tante. « Ferme les jambes, ne porte pas de jupes courtes », sont parmi les injonctions ressassées par son entourage. Idem, concernant Amel, pour qui les exhortations maternelles à préserver sa virginité ont abouti à la peur du sexe masculin.

Dans le contexte arabo-musulman, les tabous et la sacralisation de la virginité conjugués à la transmission d’images pornographiques extrêmes autour de l’acte sexuel par les copines, les sœurs, etc, entachent l’imaginaire des femmes, relève la sexologue.

A ces inhibitions ritualisées se greffe le manque d’éducation sexuelle. « Les femmes n’ayant pas eu d’éducation sexuelle ou n’ayant pas eu accès à une expérience sexuelle avant le mariage se retrouvent face à leur peurs le jour J. Souvent leurs partenaires sont aussi des novices en la matière », constate Meriam Mahbouli. A ces facteurs s’ajoutent un tempérament anxieux ou des traumatismes engendrés par des agressions sexuelles chez certaines, ajoute-t-elle.

Des solutions existent

Pour remédier au vaginisme, la spécialiste recommande une consultation d’un sexothérapeute dès les premières semaines de la découverte du phénomène. « Plus la prise en charge est retardée, plus elle sera compliquée », alerte-t-elle.

Durant ses cinq années de mariage, Sana a tenté de se prendre en charge mais se dit déçue par la qualité du soin proposé. « Les sexologues me proposent tous les mêmes exercices, non personnalisés. Aucun d’entre eux n’a essayé de décortiquer les raisons profondes de mon vaginisme, qui remonte aussi à une histoire familiale particulière », se désole-t-elle. Une insatisfaction non partagée par Amel, pour qui les exercices proposés par sa sexologue l’ont particulièrement aidée. «Cela n’aurait pas été possible sans le soutien de mon partenaire et sa patience. Relâcher la pression sur l’enjeu de la pénétration et explorer nos corps respectifs étaient notre planche de salut ». Le couple s’est presque remis de ce trouble. En effet, le vaginisme doit être traité à deux, insiste la spécialiste. Si le partenaire d’Amel s’est impliqué d’emblée dans le processus de soin, celui de Sana s’est montré réticent. « Le rôle du partenaire masculin est primordial. Le désengagement du partenaire dans le processus de soin, sa culpabilisation ou la disqualification de sa partenaire aggravent le vaginisme », note la présidente de la STSC.

Les voies de prises en charge varient entre éducation sexuelle, thérapies cognitives et comportementales. Dans certains cas, un traitement médicamenteux est proposé, indique la spécialiste.

Le travail préventif autour du vaginisme est aussi important que sa prise en charge. Il englobe la société entière, à commencer par le noyau familial. «En tant que Société savante en sexologie clinique, nous insistons sur la prévention à travers une éducation sexuelle systématique et intégrée dans l’éducation nationale. Mais nous préconisons en outre un travail de déconstruction des images péjoratives et culpabilisantes autour du sexe dans les familles. Les parents doivent pouvoir répondre aux questionnements de leurs enfants sur la sexualité de manière objective et scientifique », plaide Meriam Mahbouli.

En attendant un chamboulement des mentalités concernant la sexualité, la prise de conscience des ravages des troubles sexuels à l’instar du vaginisme est nécessaire. Des couples privés d’épanouissement sexuel trainent une détresse mais aussi la potentialité de dépressions, de complications socio-professionnelles, de divorce, alerte la sexologue. L’enjeu dépasse donc les chambres à coucher. Il est aussi sociétal.