Radwan Masmoudi, membre d’Ennahdha, n’en finit pas de susciter la controverse. La dernière polémique en date a été déclenchée suite à l’un de ses tweets autour des aides américaines prévues pour la Tunisie dans le cadre de la lutte contre le Covid-19 après le Virage 80 du président de la République. Son commentaire justifiant une éventuelle suspension des aides américaines a provoqué un tollé. « Si les experts juridiques concluent qu’il y a eu un coup d’Etat, ce qui est manifestement le cas, ils seront obligés de suspendre tout type d’assistance et de soutien. C’est la loi et je crois qu’ils sont sur le point d’annoncer que c’était effectivement un coup d’Etat contre la démocratie et les institutions démocratiques ! », a-t-il posté avant de supprimer ce commentaire. Depuis, il a nié les accusations à son encontre.

Le dirigeant d’Ennahdha n’a cessé depuis le coup de force de la présidence de mener une campagne contre Kais Saied, soutenant que « le coup d’Etat » de Saied a été appuyé par certains pays arabes, en l’occurrence les Emirats Arabes Unis et l’Egypte de Sissi.

Ce n’est pas la première fois que les déclarations de cette personnalité islamiste attisent autant la polémique et soulèvent des interrogations sur ses liaisons à l’intérieur et à l’extérieur du pays.

Militant islamiste de longue date

Natif de Sfax, Radwan Masmoudi est ingénieur de formation. Il a fait ses études aux Etats Unis. Son père était un militaire de l’armée tunisienne. Sous le règne de Ben Ali, il a été interdit d’entrée en Tunisie à cause de son militantisme au sein d’Ennahdha, entamé depuis son parcours lycéen.

En 1999, il fonde à Washington le Centre pour l’étude de l’islam et de la démocratie (CSID). Mais le personnage serait-il vraiment le lobbyiste d’Ennahdha auprès des Américains tel qu’il est si souvent présenté ? A noter que le lobbying est une activité admise aux USA. Sur ce point, Julian Pecquet, fondateur du site américain « Foreign Lobby Report » indique à Nawaat : «”lobbyiste” n’est pas une profession reconnue comme un médecin ou un avocat (vous n’êtes pas diplômé d’une école de lobbying). C’est plus un terme fourre-tout qui s’applique aux personnes qui défendent leurs intérêts ».

Et de poursuivre : « Le terme s’applique traditionnellement aux personnes qui sont tenues de divulguer ce travail en vertu de l’une des deux lois suivantes : la LDA, qui couvre le lobbying pour les intérêts nationaux ainsi que les entreprises privées étrangères ; et le FARA, qui couvre le lobbying au nom de gouvernements étrangers, d’acteurs politiques étrangers et d’entreprises publiques étrangères. Ni monsieur Masmoudi, ni le CSID n’ont été jamais enregistrés en vertu de l’une de ces lois ».

La « Lobbying Disclosure Act »(LDA) et la « Foreign Agents Registration Act »(FARA) « sont des lois sur la transparence exigeant la divulgation de l’identité de ceux qui font du lobbying, de leur activité en la matière et combien ils ont été payés, etc », a fait savoir Pecquet. Et de préciser aussitôt : « Ces lois ne réglementent pas la manière dont les lobbyistes s’y prennent pour présenter une pétition au gouvernement, ce qui est un droit garanti par le premier amendement de la Constitution américaine. Il y a des tonnes de gens qui défendent leur position sans jamais s’enregistrer en tant que lobbyistes. En vertu de la LDA, vous ne devez le faire que si vous atteignez certains seuils en termes d’argent et de temps passé à plaider devant le gouvernement fédéral ».

Vivant aux USA depuis des années, Radwan Masmoudi a ainsi compris, comme tant d’autres, que pour défendre ses positions, il faut être au cœur du pouvoir américain, à Washington, lieu de convergences entre décideurs politiques, médias et think-tanks. Le fait qu’il affiche les moyens de le contacter sur son propre compte Twitter tend à remettre en cause sa supposée notoriété dans les cercles d’influence américains.

Selon une spécialiste tunisienne de la politique américaine résidant aux Etats-Unis, Masmoudi comme Soumaya Ghannouchi et autres figures d’Ennahdha ayant fait leurs études à l’étranger, ont avant tout compris les règles du jeu locales en matière de stratégie médiatique. Ils sont très présents sur Twitter, parlent anglais et surfent sur les craintes de l’opinion publique américaine. Cette opinion publique est sensible avant tout à la préservation des institutions démocratiques et à la liberté d’expression. En présentant Kais Saied comme une menace envers les institutions et les libertés, ils tentent de gagner l’adhésion de l’opinion US.

Rawdan Masmoudi fait ainsi partie des militants islamistes qui proposent un narratif des évènements en Tunisie. Il le défend dans les médias. En face, les opposants des islamistes sont mal structurés, absents des médias étrangers et adoptent des stratégies médiatiques archaïques et inadéquates pour un public américain, constate la spécialiste. La publication d’une tribune comme celle de Rached Ghannouchi dans le New York Times ne relève ni de l’inédit, ni de l’inaccessible, souligne-t-elle. « Même les Talibans ont publié une tribune dans ce journal. Les médias américains se plaisent à défendre la diversité de positions », renchérit la spécialiste tunisienne.

C’est dans ce cadre de la promotion du pluralisme que l’organisation américaine The National Endowment for Democracy Newsletter (NED) finance le CSID fondé par Radwan Masmoudi, estime l’experte.

La société civile comme cheval de bataille politique et idéologique

Dans le monde post-2001, « vendre la thématique de l’islam et la démocratie » est porteur, estime Chérif Ferjani, islamologue, professeur honoraire de l’Université Lyon 2, et président du Haut conseil scientifique de Timbuktu Institute, African Center for Peace Studies.

En 2006, Radwan Masmoudi comme d’autres personnalités à l’instar de Samir Dilou ou encore Slaheddine Jourchi ont été reçus à l’ambassade américaine en Tunisie. « L’objet des discussions était l’état des lieux des libertés en Tunisie à l’époque », affirme Jourchi à Nawaat. L’alliance entre les islamistes d’Ennahdha et les forces démocratiques en 2005 sous la bannière du « Collectif du 18 octobre 2005 », a permis d’entériner l’hypothèse de la « conversion démocratique » des islamistes auprès de la classe politique tunisienne mais aussi étrangère, explique Ferjani.

Profitant de sa nouvelle posture, la direction d’Ennahdha a poursuivi ses tentatives de rapprochement avec le pouvoir jusqu’après le soulèvement de fin décembre 2010. Elle a également développé ses relations avec les Etats-Unis, notamment via Najmeddine Hamrouni et Radwan Masmoudi dans le cadre du CSID. Ceci avec d’étroites collaborations avec des fondations et services américains pour amener des mouvements et des personnalités se réclamant de la démocratie et de la gauche de différents pays arabes et musulmans à travailler avec les islamistes, fait savoir l’islamologue.

Il indique que des rencontres ont eu lieu en Turquie, en Jordanie, au Maroc, au Qatar, etc., « sur la base d’un compromis permettant aux islamistes de maintenir leur référence à la religion et ne prenant pas en compte les références laïques ou sécularistes des autres protagonistes. L’unique référence commune à tous est celle des parrains américains : la démocratie et les droits humains que chacun décline à sa manière. Le même flou a présidé aux tentatives de rapprochements entreprises en Europe aussi bien avec les composantes de l’opposition tunisienne qu’avec les pays européens », écrit le spécialiste tunisien dans l’ouvrage collectif « Révolution et compromis », publié en 2017.

Chérif Ferjani relève que la problématique des rapports d’Ennahdha avec l’Arabie Saoudite, la Turquie d’Erdogan, l’Iran, l’organisation mondiale des Frères musulmans dont Rached Ghannouchi était l’un des dirigeants, n’a pas été posée en scellant ces compromis. Idem concernant le soutien d’Ennahdha aux régimes dictatoriaux au Soudan et ailleurs ou leur revendication d’une application de la loi religieuse.

Radwan Masmoudi comme les autres islamistes ont profité du climat démocratique post-révolution de 2011. Le CSID a mené plusieurs activités allant de la formation des imams en Tunisie à la lutte contre la corruption. Ayant participé au projet de formation des imams, Slaheddine Jourchi explique qu’il s’agissait de sessions de formation destinés à ces religieux afin qu’ils adoptent les principes de la démocratie. Le tout étant chapeauté par le ministère des Affaires religieuses.

Derrière sa posture « d’homme indépendant libre de tout engagement politique », Masmoudi n’a jamais caché ses visées politiques. Celui qui n’a rejoint officiellement le bureau politique d’Ennahdha qu’en mars 2021, n’a cessé sous sa casquette de président du CSID de jouer un rôle dans l’arène de la politique politicienne. En mai 2011, il invite Hamadi Jebali, à l’époque secrétaire général d’Ennahdha, à une conférence à Washington devant un parterre de responsables du département d’État.

Il s’est attaqué tantôt à Hamma Hammami, tantôt à l’UGTT. Il a soutenu Moncef Marzouki dans la campagne présidentielle de 2014 dans son duel face à Béji Caid Essbesi pour « barrer la route à un parti unique et hégémonique ». Et de saluer un an plus tard « la sagesse » d’Essebsi. En 2019, il a annoncé son intention de se présenter aux élections présidentielles organisées la même année. La nomination de sa fille à un poste au ministère de l’Emploi, dirigé par la nahdaouie Saida Ounissi, a fait aussi jaser en 2019.

Déjà en 2020, il avait agité « la menace d’un coup d’Etat » mené en Tunisie par les forces de sécurité, les militaires et la présidence de la République sans donner plus de détails. Le virage 80 de Kais Saied a été une aubaine pour cet islamiste pour mettre en avant son récit favori de « coup d’Etat » contre la démocratie, version islamiste.