Le président de Qalb Tounes et candidat au deuxième tour des élections présidentielles de 2019 n’est pas le seul à avoir bénéficié des services d’UReputation. C’est aussi le cas du Comorien Azali Assoumani, de l’Ivoirien Henri Konan Bédié et du Togolais Faure Gnassingbé. Quand Facebook a supprimé des dizaines de comptes Facebook d’utilisateurs tunisiens durant la nuit du 29 au 30 mai, la stupeur de nos compatriotes s’est largement exprimée sur les pages du réseau social. Suite à l’intervention d’organisations « partenaires de confiance » de Facebook à l’instar d’I Watch, de nombreux comptes supprimés ont été réactivés. Une semaine plus tard, Atlantic Council, un autre partenaire de Facebook, a fini par révéler l’origine de ces désactivations. Vendredi 5 juin, l’investigation du DFRLab est tombée, quelques heures après la publication par la firme de Zuckerberg de son intrigant rapport de comportement inauthentique coordonné.

Campagnes de désinformation

Il s’agit d’un rapport recensant les activités douteuses d’un type bien particulier : il s’agit des groupes incluant un grand nombre de faux comptes et de pages aux activités trompeuses par rapport à leurs activités réelles, relayant de fausses informations. Ce rapport prend également en compte les interférences gouvernementales ou étrangères. Il annonce la suppression de 446 pages, 182 comptes Facebook, 96 groupes, 60 événements et 209 comptes Instagram. Ils sont dans leur majorité de faux comptes liés à l’entreprise UReputation. C’est l’investigation du DFRLab, relevant de l’Atlantic Council qui a révélé les politiques bénéficiaires de cette campagne dont Nabil Karoui. Et ce ne serait pas le premier recours du fondateur de Qalb Tounes, Nessma Tv et l’association Khalil Tounes à une agence de communication digitale dans des opérations de désinformation sur Facebook. Il y a un an, en mai 2019, Facebook a supprimé plus de 250 comptes et pages de 13 pays dont la Tunisie. A l’origine de cette opération, la société israélienne Archimedes Group. A l’époque, Nawaat s’est rapidement penché sur l’affaire, mettant en exergue la menace d’une ingérence israélienne dans les affaires tunisiennes. Quant à nos confrères d’Inkyfada, ils ont privilégié l’hypothèse d’une activité au profit de Nabil Karoui.

Lotfi Bel Hadj, un profil hétéroclite

Une recherche sur le Registre National des Entreprises a abouti à une société portant le même nom que celle dénoncée par le rapport de Facebook et l’investigation du DFRLab : UReputation. Son adresse est identique à celle d’une société éponyme trouvée sur Linkedin. Idem pour le site web indiqué en référence. Elle présente ses activités et se positionne de la manière suivante : « La veille, la cyberinfluence, l’intelligence et l’analyse de big data conditionnent désormais la communication traditionnelle. UReputation sculpte les contours de votre empreinte digitale ». Bien qu’elle a la forme juridique d’une « société anonyme » (SA), nous avons pu remonter à l’homme derrière cette entreprise. Diverses sources du secteur de la communication digitale et autres proches de Karoui concordent à nous assurer qu’il s’agit du lobbyiste franco-tunisien Lotfi Bel Hadj. Ses connexions africaines ne sont pas récentes. Fondateur du groupe Alternative Carbon actif en Afrique, il a également créé Greenrock Funds, un fond d’investissement basé au Luxembourg. Originaire de Seine-Saint-Denis, il a fondé l’Observatoire économique des banlieues et compte à son actif quelques ouvrages dont l’essai La Bible du Halal paru en 2015. Il a également lancé le fond Digital Big Brother, probablement incubateur d’UReputation.

Les différentes sources médiatiques évoquant un intérêt de Lotfi Bel Hadj pour la vie politique tunisienne révèlent un appétit instable et aux penchants variés. Rapprochement avec Ennahdha en 2014, pourparlers avec Tahya Tounes en mars 2019 avant de collaborer avec Karoui et son Qalb Tounes plus tard lors de la même année.