Fondé par le psychologue Gaith Souissi et l’analyste financière Lamia Chouk, ce centre a été opérationnel depuis février. Il a acquis le statut d’une startup le 1er mai, «quand des clauses ont été remplies conformément à un cahier de charge, notamment en ce qui concerne la confidentialité des données personnelles pour que tout soit déontologique et dans la légalité», assure Gaith Souissi.
Ayant un modèle économique basé sur la surtaxation des appels, le centre A7kili a opté pour la quasi- gratuité durant la période de confinement général (l’appel est facturé 40 millimes pour une minute contre 650 millimes avant le confinement). Une dizaine de psychologues ont été recrutés pour répondre aux appels de Tunisiens en quête d’assistance psychologique. Et cette demande n’a cessé de croitre pendant le confinement général : « Au début du lancement du centre, on recevait environ 150 appels. Le confinement a fait exploser la demande avec environ 400 appels par jour », affirme le co-fondateur d’A7kili.
Des statistiques très parlantes
« Au début du confinement, ceux qui m’ont contacté souffraient principalement de troubles obsessionnelles compulsifs liés aux mesures drastiques d’hygiène et de crise de panique», précise Souissi. 75% des appels à l’aide sont lancés par des femmes contre 24% des hommes. Et 79.55% d’entre eux ont un niveau d’enseignement supérieur. Les deux tiers (66,98%) font partie de la classe moyenne, précise le responsable d’A7kili.
« Beaucoup d’homosexuels, d’usagers de drogues et de personnes touchées par des violences, rassurés par l’anonymat, ont sollicité notre aide », ajoute-t-il. En effet, celui qui appelle n’est pas amené à communiquer sa vraie identité. Seul son numéro sert d’identifiant pour pouvoir assurer le suivi avec le même psychologue. Par ailleurs, il précise qu’avant le confinement, 25.35% des appels étaient liés aux violences conjugales. Lors du confinement, ce chiffre a grimpé pour atteindre les 45.22%. En outre, Gaith Souissi insiste sur les multiples témoignages relatant des formes de violences exercées sur des enfants. Le représentant d’A7kili souligne la compétence des psychologues, ayant une expérience de la prise en charge des personnes fragiles.
Parmi eux, Jihen, 26 ans, qui qualifie «d’humanitaire » son travail accompli lors du confinement. « Je me suis sentie utile en me consacrant pleinement à rassurer ces personnes tout en les sensibilisant à la nécessité de rester chez eux », raconte-t-elle. Et de poursuivre : « Dans un premier temps, beaucoup ont eu des attaques de panique. Puis, progressivement, le temps de l’adaptation de l’organisme à cette peur était venu », souligne-t-elle. Souissi ajoute qu’avec la durée du confinement, d’autres craintes sont apparues : « Certains se sont demandés s’ils peuvent tenir financièrement. D’autres troubles ont émergé avec le changement de rythme de vie pour certains ou le stress du télétravail pour d’autres ».
Avec le déconfinement progressif, les appels ont diminué, affirme la psychologue. Mais les soucis ne disparaissent pas pourtant. « Les gens restent marqués par le confinement. Certains ont du mal à sortir désormais de ce confinement ou de reprendre un rythme de vie chamboulé ces derniers mois », explique Gaith Souissi.
Valoriser le travail des psychologues
Pour le co-fondateur d’A7kili, le métier de psychologue n’est pas assez valorisé. « Il existe 35 cabinets de psychologue en Tunisie, soit un psychologue pour environ 350000 citoyens », déplore-t-il. Jihen évoque de son côté le déni entourant les troubles mentaux.
« Les gens avaient honte d’en parler de peur d’être stigmatisés. Et ceux qui en avaient conscience se dirigeaient plutôt vers les psychiatres, puisque notre société valorise davantage le métier de médecin par rapport aux psychologues. Même si certaines personnes n’avaient pas réellement besoin de se diriger vers le traitement médicamenteux proposés par la psychiatrie». Et de nuancer aussitôt : « Certains avaient besoin d’une prise en charge psychiatrique ou de voir un psychologue pour effectuer des tests dans un cabinet, ceux-là ont les dirigeait vers les personnes compétentes avec qui nous collaborons », assure la psychologue.
Souissi rebondit dans ce sens en regrettant l’absence de « culture psychologique chez la plupart des Tunisiens ». Une carence qui se traduit par l’incapacité de comprendre ce qui leur arrive, pour décider vers qui se diriger. « Les autorités n’accordent pas non plus beaucoup d’importance à l’aspect psychologique. Dans certaines entreprises publiques, aucun soutien psychologique n’est fourni aux fonctionnaires », déplore-t-il. D’autres entreprises semblent toutefois plus conscientes de cette problématique : « On est en train de créer une cellule psychologique pour des grandes entreprises », se félicite-t-il.
Parmi les projets en chantier, A7kili vise à développer une application permettant aux Tunisiens dans le pays et ailleurs, de solliciter l’aide de psychologues via des appels audio, vidéo et grâce au tchat.
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