Il y a bien quelque chose de facile et de déplaisant dans la façon dont quelques comédies se vautrent dans leur baudruche endimanchée pour mieux faire passer la pilule d’authenticité. Un divan à Tunis est de cette trempe-là. Du titre au casting, qui a pour seule attraction une Golshifteh Farahani en demi-sommeil, cette comédie de Manèle Labidi sent à plein nez la recette-qui-tue. Il suffirait de gratter un peu le vernis du sujet du film, au sens clinique et au sens scénaristique. Prenons les ingrédients : une psy qui débarque au bled ; du monde qui, du jour au lendemain, fait la queue devant son cabinet, et la police qui pointe vite le nez. De quoi égayer les amateurs d’ennuis.

Dès pipés

Pourtant, Un divan à Tunis vaut qu’on s’y arrête parce qu’il est le symptôme même des antinomies qu’il esquisse au pied de son édifice. On est sensé y suivre les atermoiements de Selma, une psychanalyste franco-tunisienne que le film cueille dès son retour au bled, posant ses valises sur les toits de la capitale. C’est à cette hauteur que se place le point de vue de notre trentenaire célibataire, avant de toucher terre. Que fait-elle là ? Elle veut prendre le pouls du peuple, au lendemain de la révolution, en faisant parler ceux et celles qui ne vont pas bien. Mais elle découvre que sa propre santé n’est pas irréprochable. Sur ce canevas, Un divan à Tunis consiste à mettre le bordel dans la vie de sa protagoniste, pour la bouter hors de sa zone de confort. Inutile de s’étendre davantage sur l’idée sortie d’une sitcom, pour trouver un os à ronger dans sa logique. Il ne faut pas non plus être un grand sorcier freudien pour se dire que, tôt ou tard, notre protagoniste devra repasser par la case départ. Car rien de bien nouveau sous le scénario : pour être mieux dans sa peau, la promesse d’une conciliation avec soi reste le bout du chemin.

En réalité, Un divan à Tunis ne fait que relancer les dés pipés d’une névrose sociétale. L’effet catalogue guette : la scène au salon de coiffure annonce déjà la couleur, avec une espèce d’accumulation qui devient vite fastidieuse, puisqu’elle ne mènera à rien d’autre qu’étaler les échantillons. De ce côté-là, Labidi dégaine sa trousse de secours figuratifs, charriant un défilé de stéréotypes : n’y manque pas plus la mère voilée que l’imam perdu, ni l’homosexuel adepte de kung-fu ni la jeune fille révoltée. Cette galerie vient en rajouter une couche à l’enrobage graveleux du film, entre le délit de faciès qui range parmi les frères musulmans un Freud arborant son chapeau turc, et la confusion du protocole payant de la séance avec les « prestations tarifées ». Pour le reste, rien de neuf à l’horizon : le policier, c’est-à-dire la Loi, séduit devant la porte du cabinet à coup de petites attentions frelatées ; le couple se querelle autour d’une cachotterie portée au carré ; et puis tout le monde finit par se rabibocher sur fond de pétrins communs. Collectionnant les naïvetés, le scénario fait mine de les déshabiller en deux coups de cuillère.

Round de clichés

Si l’apparente cocasserie du scénario est constamment rappelée à un principe de réalité, la zone d’absurdité dans laquelle évolue la psychanalyste l’enroule au cœur d’une série d’obstacles. Car là où elle commence à trouver ses marques, Selma découvre qu’il lui manque de la paperasse pour continuer d’exercer. Place alors à un second round de clichés, mais sans rien démonter, lorsque l’incursion dans la mécanique administrative se veut lourdingue, ou quand Selma se sépare de sa patientèle dont les souffrances ne la lâchent plus. Hormis une ou deux scènes d’où s’échappent quelques percées d’humour involontaire, l’opposition de caractères et l’inversion de places auxquels s’en remettent les personnages de Manèle Labidi, surfent sur un mode d’emploi confortable. Le comique de situation vise ici, à chaque fois, à rafler la mise de l’empathie en même temps que celle d’un idéal très plan-plan : chacun repart, à la fin, comme si tout était sans suite, conforté dans son petit moi réconcilié. Mais le film perd sur les deux tableaux. Même les ruptures de ton, introduites par moments par la musique, ne remportent pas le morceau.

Ce compactage de situations lessivées, s’il ne se ramasse au moindre accroc, retombe sur une mise en scène au ventre mou. À son meilleur, la caméra jette au spectateur quelques amorces qui floutent la profondeur de champ ou les bords du cadre, laissant entrevoir un policier endormi par terre, un citoyen figé par ses longues heures d’attente. Au pire, comme dans les scènes de consultation, elle fait voir ce qu’il y a simplement à voir à coups de zooms avant et arrière, lorgnant vers les réflexes indécrottables d’un regard qui au du mal à faire sourdre un chouïa de personnalité. Serait-ce trop demander à un film incapable de se refourguer autre chose qu’un comique rance ? Loin de la désinvolture que certains ne manqueraient peut-être pas d’y trouver, Un divan à Tunis est à l’image des grattements de tête de son héroïne décontenancée : sa volonté fumigène de ne pas baisser les bras est à mettre sur le compte d’un propos assez lourd et caricatural.

Que reste-il sur le divan à ressort de ce film ? Les intentions mollassonnes de sa réalisatrice et la caution narcissique de ses têtes d’affiche, laissées en roue libre. Golshifteh Farahani, dans un rôle qui se passerait bien d’elle, n’est là que pour remplir pâlement son contrat. Et si Majd Mastoura n’a pas chômé, sa prestation laisse peu de relief et peine à sauver les meubles. Évitons donc la complaisance de considérer ce film comme un bon divertissement populaire. Manèle Labidi ne serait pas vexée si on lui apprenait qu’elle a, à l’image de sa protagoniste, un inconscient qui la trahit aussi.