Il est environ 11h. Ahmed, l’air d’un quadragénaire, est accompagné de sa femme portant un bébé. Il s’agit de son fils malade qu’il cherche à transporter d’urgence à l’hôpital. Il lève la main pour arrêter un de ces taxis sans plaque. En vain. « Regardez-les ! Ils refusent d’embarquer un bébé malade », conteste Ahmed sur un ton colérique. Une foule se forme autour de lui : « Calme toi, ça n’a rien de personnel. Une patrouille de police du côté du quartier voisin d’El Saida guette les taxis clandestins », avance un des habitants du quartier. A Hay Hlel, entre taxis clandestins et policiers, on joue au chat et à la souris.

A quelques mètres d’Ahmed, Slah, 50 ans, observe. C’est l’un des chauffeurs de taxis clandestins contraints à s’arrêter. « Je ne peux rien pour lui. Je veux bien l’aider mais je risque une amende de 700 dinars et ça sera la deuxième en moins d’un mois. Même la voiture ne m’appartient pas. Je cherche juste à gagner mon pain », lance-t-il. Deux autres taxis clandestins affluent. Tous fuient le contrôle policier. « Nos voitures ne sont pas volées. Nos cartes grises sont en règle. On a déposé nos dossiers au gouvernorat pour circuler légalement. Mais on nous dit que le trajet à couvrir est trop restreint pour avoir l’autorisation », s’offusque Slim, 33 ans, chauffeur de taxi clandestin. Et d’ajouter : « Les taxis individuels ne veulent pas entrer à Hay Hlel. L’itinéraire jusqu’à Bab El Jazira où beaucoup d’habitants de Hay Hlel travaillent, est trop court. Ce n’est pas rentable pour eux », explique-t-il. Les taxis clandestins sont des taxis collectifs. Il faut compter un dinar par personne pour aller de Hay Hlel à Bab El Jazira. « Ici, on essaye de se débrouiller comme on peut. On cherche des solutions pour s’entraider. Le chauffeur de taxi a besoin de travailler et les habitants ont besoin d’aller travailler. On a trouvé cette solution. Comment faire autrement ? On ne travaille plus ? Ils veulent qu’on crève ? », s’indigne Ali, 40 ans, client des taxis clandestins.

Parmi les chauffeurs de clandous à l’arrêt, nous avons croisé Fethi, 49 ans, un vétéran de Hay Hlel. « Nous sommes au total 50 à en avoir à Hay Hel. Nous employons environ une autre cinquantaine d’habitants du quartier », prétend-il. Fethi est très remonté contre les policiers. Ils lui ont récemment infligé une amende de 700 dinars. Son intrigant pansement sur le cou a suscité notre curiosité. « Ça ? Je me suis taillé le cou avec une lame quand les flics m’ont arrêté pour qu’ils me lâchent les baskets. Les bras aussi. J’ai pourtant eu à payer l’amende », nous raconte Fethi. Et il poursuit : « J’en ai marre de payer ces amendes sans compter les pots de vin ». Slah aborde la question avec ironie, mais non sans amertume : « Ce qui est encore plus marrant, c’est que parfois tu files 10 ou 20 dinars à une patrouille le matin. Et l’après-midi, on tombe sur une autre. Et rebelote ! ». Aussi remonté que Fethi, Slim va plus loin.  Pour lui, le dilemme des taxis clandestins s’inscrit dans une politique de marginalisation de Hay Hlel : « Ils ne veulent pas qu’on gagne nos vies dignement. Ils nous veulent toujours enfoncés dans l’illégalité : zatla, héroïne… ». Fethi abonde dans le même sens : « Faites un tour dans le quartier ! Ici, jeunes et moins jeunes, sont engourdis dans des cafés moisis. D’autres errent dans les rues en cherchant à s’extasier avec différentes drogues ». D’ailleurs pour payer son amende, Fethi dit projeter de se procurer une plaquette de zatla et la vendre : « C’est mieux que de crever de faim. J’ai une famille à nourrir », dit-il d’un ton cynique.

A Hay Hlel, aucune ambulance ne circule sans autorisation policière. Pour les urgences médicales, même tard dans la nuit, ce sont les taxis clandestins qui assurent, concordent à dire plusieurs habitants du quartier dans une tentative de nuancer ce tableau sombre.