Sur un groupe Facebook fermé destiné aux étudiants, Wajih Dhokkar, en 3ème année médecine, a formulé une critique concernant les conditions de travail dans la bibliothèque de la Faculté de Médecine de Tunis. L’étudiant a contesté la désactivation de la climatisation en pleine période de révision en juin 2019. Ce qui lui a valu une convocation à un conseil de discipline, tenu le 26 juillet 2019, qui a fini par décider de le renvoyer durant 4 mois. Une décision entérinée par le recteur de l’Université Tunis-El Manar le 6 septembre. Wajih Dhokkar a été sanctionné pour « diffamation », « diffusion de fausses informations contre l’administration » et « infraction au droit de réserve » (sic).

« Wajih a fait recours au tribunal administratif afin de faire valoir ses droits à suivre les cours. Sa demande a été rejetée. De notre côté, nous nous sommes abstenus de mener quelconque action avant le verdict qui a été prononcé le 20 octobre, d’où notre récente mobilisation », nous confie Jed Henchiri, secrétaire générale de l’Organisation Tunisienne des Jeunes Médecins (OTJM) qui a appelé à une grève nationale des étudiants en médecine ainsi que des médecins internes et résidents le 4 novembre.

Wajih Dhokkar

Bras de fer

Le doyen de la faculté de médecine Mohamed Jouini a expliqué, lundi 4 novembre sur Shems FM, que l’étudiant aurait pu s’excuser pour annuler le renvoi. Mais Dhokkar a refusé de se conformer à la proposition du doyen et a préféré le recours auprès du tribunal administratif pour arrêter l’exécution de la décision du conseil de discipline. « Nous n’avons aucun problème avec la liberté d’expression, mais il ne faut jamais abuser de ce droit pour harceler les autres », ajoute Jouini, lundi soir, sur Attessia TV.

« M’imposer de m’excuser est une manipulation administrative pour m’humilier et se venger des étudiants qui exercent leur liberté d’expression », réagit Wajih Dhokkar. Selon lui, s’excuser confirme la justesse de la décision du conseil de discipline. Pour sa part, Jed Henchiri de l’OTJM évoque « un abus de pouvoir » de la part de l’administration de la faculté qui fait du « chantage » aux étudiants.

Jed Henchiri, secrétaire général de l’OTJM

Quant au ministre de l’enseignement supérieur Slim Khalbous, il a rappelé que « Les conseils de discipline sont un des mécanismes internes dans les établissements universitaires ». Et il poursuit : « Nous n’y intervenons jamais. Cependant, nous avons été surpris par les proportions prises par cette affaire. La question a aujourd’hui dépassé le cadre de la faculté concernée par ce litige ». Dans cette déclaration relayée par Mosaïque Fm, le jour de la grève, il a expliqué qu’ « en tant que ministère, nous veillerons à mieux comprendre le problème. C’est normal que les doyens prennent des décisions disciplinaires. Mais si elles sont excessives par rapport aux faits reprochés, on interviendra afin de calmer les ardeurs et trouver des solutions ».

Un contexte inédit

La décision du renvoi se base entre autres sur la loi N°19 de l’année 2008 relative à l’enseignement supérieur qui dispose dans son article 9 que :

« L’étudiant a l’obligation de respecter le personnel enseignant, l’administration des universités et des établissements d’enseignement supérieur et de recherche ainsi que leurs personnels. Il a l’obligation de se conformer aux exigences qui impliquent le respect des institutions universitaires, conformément à la réglementation en vigueur ».

Contacté par Nawaat, Sadok Hammami, maître de conférences à l’Institut de Presse et des Sciences de l’Information (IPSI), explique que la jurisprudence tunisienne n’a pas régulé l’utilisation des réseaux sociaux. D’où l’absence d’une base légale qui prévoit les sanctions aux infractions. D’après Hammami, il s’agit de certaines variables à prendre en considération dans des situations pareilles.

« Il faut tenir compte du nombre d’amis du détenteur de la publication, ses paramètres de confidentialité et l’espace où elle a été émise. Là, nous sommes sur un groupe privé, où l’administration n’est pas censée être représentée », relève le chercheur qui a fait des réseaux sociaux sa vocation depuis plus de dix ans. Hammami propose également la mise en place d’une « charte négociée » entre l’administration et les étudiants comme outil d’autorégulation.