Fresque urbaine de Street Man et TNZ, centre-ville de Tunis, septembre 2019

Il faut le reconnaitre. Saied a cartonné en raflant 18,4% des voix contre 15,58% pour Nabil Karoui. Un succès mis en relief par l’échec retentissant de tous ses concurrents. Les faits sont têtus, plus têtus que cette classe appelée, à tort, par certains « élite », alors qu’elle s’est condamnée à jouer tantôt les chiens de garde, tantôt les parasites. Si ses annexes peuvent paraitre lumineuses, et lui donner ainsi un semblant d’espoir scintillant, l’illusion ne tarde guère à se dissiper dans les méandres de l’entrisme drapé dans une prétendue volonté de réformer.

La nébuleuse Nida Tounes et ses avortons, de Qalb Tounes à Tahya Tounes, en sont la preuve. Chahed (7,4), Marzouk (0,2), Jalloul (0,2), Aidi (0,3), Elloumi (0,2), leurs cinq candidats réunis n’atteignent pas 9% des suffrages exprimés. Des frères ennemis qui s’affrontent, essentiellement pour des considérations affairistes, tout en cachant leur bâtardise derrière un portrait poussiéreux de Bourguiba. Des partis fourre-tout dont les annexes ne sont que les transfuges d’un syndicalisme, d’organisations citoyennes et d’une tendance de gauche à bout de souffle, résolus à s’enliser dans le compromis avant même de le définir ou de mesurer leur capacité de survie dans un environnement aussi hostile à leurs aspirations. Sept ans passés dans le bricolage, le leurre, les acrobaties ratées, pour aboutir à revendiquer le maintien du statu quo. Progressistes, dites-vous ?

Les électeurs ont décidé, non seulement de les bouder, mais de leur cracher dessus. Tout comme les islamistes. Il suffit de voir la dégringolade des votes pour Ennahdha de la Constituante de 2011 au premier tour des Présidentielles de 2019 en passant par les Législatives de 2014 et les Municipales de 2018. Tous les ex-ministres, l’actuel président de l’Assemblée, l’ancien président de la République et anciens chefs de gouvernement se sont fait cracher dessus par les urnes. Il n’y a pas que les électeurs de Kais Saied qui leur ont craché dessus. Ceux d’autres candidats, sans parti, ni structure quelconque, ni médias à leur solde l’ont fait. Il suffit de comparer, par exemple, les scores de Safi Said (7,11%) et Lotfi Mraihi (6,56%) à ceux de Youssef Chahed (7,38%) et Abdelkarim Zbidi (10,73). Et ce, sans nous attarder sur les tristes résultats d’autres anciens ministres comme Mehdi Jomaa (1,82%), Elyes Fakhfakh (0,34%), Mohamed Abbou (3,63%) et Said Aidi (0,30%). Quant à la gauche partisane, confinée tout en bas, qu’elle repose en paix. Elle n’est pas touchée par le crachat. Elle sombre dans l’indifférence.

Bien que ce soit une razzia populiste, le résultat de ce scrutin présidentiel dans son premier tour vient scander haut et fort le besoin urgent sur le plan socio-économique. Il est incarné par la réponse favorable à l’offre fourbe de Nabil Karoui aux effets éphémères et aux conséquences désastreuses. Mais il crie encore plus fort le besoin urgent d’ancrage social des institutions et de moralisation de la vie politique incarné par Kais Saied qui trouve le conservatisme soluble dans sa potion. Bref, les électeurs l’ont dit : « Tout sauf ce qu’on a connu ». Exit les camps « progressiste » et « islamiste », droite et gauche aussi. Le nouveau clivage sera entre moralisateurs et profanes, entre partisans de la rupture et adeptes du rafistolage commode. Ce sera entre l’enseignant modèle aux airs d’illuminé et le businessman grimé en Robin des Bois. Mais dans les besoins exprimés par ces voix, les libertés n’ont dramatiquement pas de place. Elles suffoquent sous les priorités des deux candidats. Or, aussi alimenté soit-il, un corps a besoin d’oxygène pour vivre. De quoi alerter encore plus sur la nécessité d’écouter leurs voix si pressées, si déterminées à avoir un tel ordre de priorités.