Le rôle central de la famille
La famille joue souvent un rôle décisif dans la décision de partir. Il y a ceux comme Malik, 43 ans, qui sont partis accompagnés de leurs familles, avec l’idée d’offrir un meilleur environnement de vie à leurs enfants. « En Tunisie, ce que tu apprends à tes enfants, par exemple jeter leurs déchets à la poubelle, la rue le détricote en cinq minutes », regrette-t-il. Malik est de ceux qui ont travaillé à l’étranger pour ensuite se réinstaller en Tunisie. Revenu en 2010, il dit y avoir cru à l’époque, avant de renoncer, « épuisé par les petits détails qui rendent fous, comme la conduite et les administrations ». Pareil pour Yassine, un père de cinq enfants qui compte emmener toute sa famille avec lui dès que la météo le permettra, et pour qui « la vie est devenue trop chère et les services de santé hors de prix ».
Pour les plus jeunes, la famille est souvent un facteur qui pousse vers la porte de sortie. Farès, même s’il n’est jamais parti, voit très bien l’attrait que ça peut avoir : « Tu vis avec ta famille, tu as tout un tas de choses que tu ne peux pas faire devant eux, et eux passent leur temps à te commander, à t’interdire ceci ou cela, surtout si tu es une fille. Alors oui, c’est sûr que partir là, c’est une bonne idée et qu’à partir du moment où tu as cette indépendance, tu ne peux plus revenir. » Un constat qui est partagé par Zohra, élève ingénieure qui a longtemps vu le départ pour l’étranger comme le meilleur moyen d’échapper à une certaine autorité familiale : « Depuis mon bac, partir est devenu une pensée assez récurrente et la raison la plus importante était que j’aurais, ailleurs, plus de liberté. Étant femme dans une famille de la classe moyenne attachée à certains principes archaïques, j’ai toujours eu recours à des stratagèmes pour être qui je suis. » Bien qu’elle semble progressivement mise à mal, l’autorité des parents et son lot d’interdits à « détourner »1 continue d’être un paramètre important pour motiver un départ à l’étranger. À un âge où l’on veut se découvrir loin des limites imposées par d’autres que soi, l’étranger devient le synonyme d’une liberté difficile à espérer autour des siens, non pas parce que cette liberté serait spécifique, mais en vertu de la distance et des possibilités qu’il offre.