Anis Riahi, trésorier de Nidaa Tounes et PDG de UPS Tunisie

Hafedh Caïd Essebsi, Ridha Charfeddine, Sofien Toubel, Neji Jalloul, Ridha Belhaj sont tous à l’hôtel Iberostar Royal Mansour & Thalasso à Mahdia en ce 21 décembre. A part les principaux responsables du parti cités, 55 autres membres de Nidaa Tounes y ont été hébergés durant deux nuitées pour la somme de 8691,800 dinars. Ils n’auraient probablement pas été réunis dans cet établissement touristique 5 étoiles sans l’apport d’une figure nettement moins connue : Anis Riahi, trésorier de Nidaa Tounes depuis le 19 octobre 2018, date d’annonce de la nouvelle composition du comité politique du parti suite à la fusion avec l’UPL.

Conférence des coordinateurs régionaux de Nida Tounes. Mahdia, 21 décembre 2018 Crédit photo: page Facebook de Nidaa Tounes

Anis Riahi, trésorier et bailleur de fonds

Les frais relatifs à la conférence nationale des coordinateurs régionaux de Nidaa Tounes ont été intégralement pris en charge par la société Express Logistic (voir le chèque ci-dessous et la facture ici). Il s’agit du représentant officiel en Tunisie de l’entreprise américaine United Parcel Service plus connue sous le nom d’UPS, leader mondial dans le domaine des services postaux et du transport aérien de marchandises. Son président-directeur général n’est autre qu’Anis Riahi, le trésorier de Nidaa Tounes.

Or, l’Article 19 du Décret-loi n° 2011-87 du 24 septembre 2011, portant organisation des partis politiques, interdit ce type de financement :

Il est interdit aux partis politiques d’accepter : – un financement direct ou indirect, en numéraire ou en nature en provenance d’une partie étrangère. – un financement direct ou indirect de source inconnue. – les aides, dons et donations des personnes morales publiques ou privées, à l’exception du financement imputé sur le budget de l’Etat. – les dons, donations et legs des personnes physiques et dont le montant annuel dépasse soixante mille (60.000) dinars par donateur.

Non seulement interdite par la législation tunisienne, la prise en charge des frais de cette activité partisane l’est également par UPS. Le code de conduite de cette firme américaine est assez clair. « En tant que citoyens, nous pouvons participer au processus politique, y compris à travers des contributions aux candidats et aux partis politiques de notre choix. Toutefois, de telles activités et politiques personnelles et contributions ne doivent pas impliquer ou apparaître comme impliquant l’usage des fonds d’UPS et ses ressources », est-il écrit noir sur blanc dans le code de conduite d’UPS. L’entreprise semble très soucieuse par rapport à la question des « Activités politiques et des contributions » (Page 34) à laquelle elle consacre une partie de son code de conduite.


Anis Riahi dans une conférence de presse d’Express Air Cargo. Tunis, janvier 2018. Crédit photo : page Facebook d’Express Air Cargo

Cafouillage interne

Contacté par Nawaat, Anis Riahi a nié que le chèque soit destiné à régler les frais de l’activité de Nidaa Tounes. « Nous avons organisé un séminaire de formation dans le cadre des activités d’Express Logistic. C’est quoi le problème ? », a-t-il déclaré. Une version des faits peu crédible dans la mesure où la facture émise par l’hôtel et le chèque d’Express Logistic contiennent quasiment le même montant : 8691,800 dans la facture et 8691,200 dans le chèque. Autre concordance : le chèque d’Express Logistic a été émis le 23 décembre 2018, date de la fin de la conférence nationale des coordinateurs régionaux de Nidaa Tounes. « A ma connaissance, Kacem Makhlouf a reçu une subvention de la part du propriétaire de l’hôtel », nous a confié Anis Riahi.

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Kacem Makhlouf n’est autre que le nouveau secrétaire national chargé des structures à Nidaa Tounes. A-t-il vraiment reçu ce don ? « Et qu’est ce que ça peut vous apporter de savoir si j’ai pris une subvention ou pas ? », a-t-il répondu avant d’ajouter : « Je ne prends pas de subventions. C’est le trésorier qui s’en occupe. Il faut le contacter », nous a répondu Kacem Makhlouf sur un ton évasif. Confronté à la déclaration d’Anis Riahi, Makhlouf a fini par murmurer : « Si le trésorier l’a dit… c’est lui qui sait ». Toutefois, nous avons contacté plusieurs employés d’Express Logistic à différentes échelles de l’entreprise. Aucun d’entre eux n’a suivi de formation ni entendu parler de la tenue d’un séminaire dans un hôtel 5 étoiles à Mahdia.

Financer pour être privilégié ?

Si Express Logistic a débuté ses activités en novembre 2011 et a pris son temps pour s’installer dans le marché, Anis Riahi a l’air très pressé depuis l’annonce de la création de sa nouvelle compagnie aérienne de cargo en octobre 2015. L’investissement est conséquent avec entre 46 millions de dinars et 52 millions de dinars sur les 3 premières années d’activité. Il a d’ailleurs pu obtenir l’agrément d’exploitation aérienne (AOC), très rarement accordé par le ministère des Transports quand son camarade de Nidaa Tounes, Anis Ghedira, lui-même déjà cible de soupçons de clientélisme, était en charge de ce portefeuille. En juillet 2017, il a signé à Washington, en présence du chef du gouvernement Youssef Chahed, un accord avec le géant mondial de la construction aérospatiale Boeing. D’après Anis Riahi, le projet consiste en un centre de maintenance et de formation certifié Boeing baptisé Express Air Technique, nécessitant un investissement de 90 millions de dinars.

Anis Riahi signe un accord avec Boeing, en présence du chef du gouvernement Youssef Chahed. Washington, 12 juillet 2017. Crédit photo : page Facebook Express Air Cargo

Cette ascension relativement rapide, surtout vu la nature des activités et les ressources importantes qu’elles mobilisent, s’est heurtée aux contestations des syndicalistes de Tunisair et à leurs accusations contre Anis Riahi et Express Air Cargo d’avoir des passe-droits nuisant aux intérêts de la compagnie aérienne nationale. Le 26 octobre 2018, une réunion s’est tenue notamment avec ce sujet à l’ordre du jour entre syndicalistes et représentants de la direction de Tunisair. Le secrétaire général d’un des syndicats de Tunisair, Najm Mzoughi, va jusqu’à traiter Anis Riahi de « voleur » et d’« escroc » sur sa page Facebook.

Au moment où le président Caïd Essebsi, fondateur de Nidaa Tounes, vient d’être poursuivi en justice pour avoir accordé une amnistie spéciale à Borhen Bsaies suite à sa condamnation pour corruption, au moment où il est accusé de favoriser l’impunité et défendre l’intérêt partisan au détriment de l’intérêt public, au moment où son fils Hafedh est pointé du doigt pour ses anciens rapports avec le mafieux actuellement incarcéré Chafik Jarraya, au moment où Slim Riahi, le nouveau secrétaire général de Nidaa Tounes, séjourne à l’étranger alors qu’il est appelé à comparaitre dans des affaires liées à la corruption, cette affaire vient prouver et rappeler que chez Nidaa Tounes, le clientélisme est roi.