Souad Abderrahim, Karcher en main au centre-ville de Tunis – Juillet 2018

On se souvient de ces images de la maire de Tunis, Souad Abderrahim, poussant des bennes et nettoyant l’avenue Habib Bourguiba, et ses rues avoisinantes, à grands coups de karcher. Sauf qu’on s’en doute bien, ça ne suffit pas. Face aux risques écologiques de plus en plus grandissants, la solution se trouve peut-être dans le développement d’une politique environnementale à l’échelle des communes.  Celles-ci ont, en effet, la responsabilité d’assurer une fourniture efficace et durable des services publics relatifs à la mobilité intra-urbaine, à la gestion de l’eau, à l’accès aux nouvelles normes énergétiques, et à la collecte et le transport des déchets. Dans la ville d’El Guettar, à une vingtaine de kilomètres de Gasfa, Mabrouk Ammar, ancien président de la délégation spéciale avant d’être élu maire aux dernières élections municipales, s’inquiète : « Nous devons faire face à des nombreux problèmes environnementaux qui vont de la perte de la biodiversité, en passant par la contamination de nos sols, la raréfaction de l’eau ou encore la multiplication des décharges illégales… ». Difficile de faire entendre sa voix lorsqu’encore trop de décisions continuent d’être prises au niveau national. « Nous n’avons pas la capacité d’agir sur ces questions… nous ne sommes même pas représentés au sein du conseil régional de Gafsa », regrette Mabrouk Ammar.

Malgré l’espoir incarné par les élections municipales, sur le plan environnemental, pas d’évolutions signifiantes

Décentralisation, vraiment ?

Si la décentralisation est au cœur du Code des collectivités locales (CCL), voté à l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) au mois d’avril dernier, sa mise en œuvre risque d’être complexe. Ressources budgétaires limitées, bureaucratie administrative, faible coordination entre les structures publiques, etc. Le nouveau ministre des Affaires locales et de l’Environnement, Mokhtar Hammami, a lui-même rappelé lors d’une allocution à l’ARP, mardi 27 novembre 2018, l’existence de nombreuses difficultés : suspension de la mise en œuvre des projets programmés au niveau des régions, lenteur de nombreux autres projets, manque de moyens humains et matériels. Prenons un exemple concret : les stations d’épuration. Lorsqu’une ville se retrouve sans station d’épuration, ou avec des stations d’épurations en surcharges, les conséquences écologiques sont dramatiques. En effet, les eaux usées sont alors déversées telles que, en mer, dans les lacs, les rivières ou les plaines salines. Premières victimes : les habitants des villes concernées. Or, qui décide de l’installation d’une station d’épuration ? Certainement pas les communes. C’est l’Office National de l’Assainissement (ONAS) qui, en fonction de ses priorités et de son budget, décide de ce type d’installations. Sans forcément prendre en compte les revendications des municipalités.

« Autrefois, c’était le gouverneur qui jouait le rôle d’intermédiaire et de coordinateur entre les communes et les entreprises nationales. Mais maintenant que le gouverneur n’est plus l’autorité de tutelle des mairies, c’est compliqué », reconnaît Nazek Ben Jannet, directrice de la Fédération Nationale des Villes Tunisiennes (FNVT). Même problème sur la question de la gestion des déchets. Si la commune s’occupe de la collecte, c’est l’Agence Nationale de Gestion des Déchets (ANGed), qui dépend du ministère des Affaires Locales et de l’Environnement, qui assure le traitement et la valorisation des déchets. « Comment les communes peuvent-elles mettre en place une stratégie si elles ne maîtrisent pas toute la chaîne ? », s’interroge la directrice de la FNVT, tout en relativisant : « le processus de décentralisation est décliné en trois étapes, de 9 ans chacune. La première étape consiste à améliorer le taux d’encadrement, qui est actuellement entre 3 et 10%, et à organiser le transfert des fonds et des compétences », précise-t-elle. Comprendre : l’autonomie budgétaire et administrative des municipalités se fera progressivement.

Actions environnementales, actions locales

Quand bien même le principe de décentralisation serait mis en œuvre, pas sûr qu’en matière d’environnement les communes puissent engager de réels changements. Si l’article 45 de la Constitution garantit « le droit à un environnement sain et équilibré et le droit de participer à la protection du climat », pour lequel « l’Etat doit fournir les moyens nécessaires pour éradiquer la pollution et l’environnement », il semblerait que cela ne se jouera pas au niveau local. En effet, le nouveau Code des collectivités prévoit une place limitée à la question environnementale. Un rapport de la Heinrich Böll Stiftung alertait déjà en novembre 2017, que le CCL « souffrait de plusieurs insuffisances », et de poursuivre : « les attributions en la matière ne répondent pas à une nouvelle vision du législateur s’agissant de la politique urbaine des communes encore mois dans sa relation avec la protection de l’environnement ». Par ailleurs, le rapport dénonce « une présence prépondérante de l’autorité centrale » sur les questions environnementales, précisant que « plusieurs dispositions renvoient désormais aux compétences de l’Etat, à la coordination avec les structures centrales ou encore à la législation en matière d’aménagement du territoire ». A noter par ailleurs que la notion d’ « économie verte », présente dans la version de 2016 du CCL, n’a pas été retenu dans la version définitive. Dans la même logique, on observe qu’une partie du budget communal composée des recettes provenant des transferts de l’Etat, pouvait être utilisée pour la réalisation de projets environnementaux et pour faire face à des catastrophes. Seule la deuxième partie de l’article a été retenu pour la version finale du CCL.

Autant d’éléments qui nous laissent penser que les problématiques environnementales ne seront pas celles qui animeront les conseils municipaux, alors même que la Tunisie est signataire de l’Agenda 21. Or, les communes ne sont-elles pas des acteurs incontournables de la mise en œuvre du développement durable ? Ne peuvent-elles pas initier une véritable stratégie environnementale qui impliquerait l’administration, la communauté scientifique, les entreprises et les milieux associatifs et syndicaux ? Si le processus de décentralisation s’opère, il ne pourra faire l’impasse sur la question environnementale qui touche profondément les populations.