C’est à l’ombre d’un cinéma social que 60 Waiting Shots and a Shot filme la vieillesse, ou une certaine idée de la vieillesse : dans une maison de retraite à Gammarth, à la banlieue nord de Tunis, des personnes âgées passent leur temps peu enviables à attendre, parfois à ne rien faire, avant qu’un jour « la feuille se brise ». Filmer ce quotidien laisse craindre les facilités d’une démarche en prise avec des sujets larmoyants. Mais il n’y a qu’à prêter attention au sens de l’observation clinique dont Youssef Sanheji a doté sa caméra pour se rendre compte que le film tend à jouer sur un certain rapport au temps spatialisé. Le fil ténu de cette attente se distend à longueur des journées, où la routine, la solitude, l’ennui et l’abandon laissent place entre autres à la résignation.

À quel rythme passent les journées ? C’est selon. Parfois très vite, mais le plus souvent avec une lenteur extrême. L’un lâche quelques bribes de son histoire à la caméra, avant de passer au contrôle médical ; au plan suivant, capté depuis la fenêtre, il fume sa clope loin des regards. Une autre cuisine avant de s’adonner à une euphorique partie de danse sur des rythmes folkloriques. Un troisième, sur une chaise roulante, semble complètement déconnecté quand il ne se plaint pas d’être rejeté par les autres résidents. Sur ce quotidien fait de silences troublé de temps à autre par des disputes entre binômes, le film propose un regard qui ne s’en trouve pas perdant dans sa discrétion.

Ce regard est un patient geste d’observation qui nappe les vingt minutes de 60 Waiting Shots and a Shot, piochant dans le cadre institutionnel de cette maison de retraite de quoi faire de l’isolement son carburant. Ici, les lignes de partage social font que le regard du cinéaste va droit à l’essentiel. Les corps immobiles, ou leurs mouvements infimes d’entrée et de sortie du champ, marquent les difficultés liées au grand âge. S’il y a là de quoi capter un réel qui filtre, rien ne se construit sur le dos de ces âmes solitaires. Invisible à l’écran, le cinéaste utilise une certaine variété d’angles de caméra pour laisser une certaine profondeur de champ ou nous mettre au contact de quelques visages, loin de  l’indifférence distraite que l’on accorde aux seniors en déshérence. Sans lâcher la temporalité de ces tronçons de vie, l’attention à l’espace permet surtout de décupler l’équilibre précaire au sein d’un ménage à trois : celui qui filme, ceux qui sont filmés et la caméra.

Certes, 60 Waiting Shots and a Shot n’est pas exempt de quelques maladresses, à l’instar de la scène du contrôle médical qui donne l’impression d’une situation négociée, ou encore d’autres mouvements de caméra plus ou moins intrusifs, semble à deux doigts de déflorer l’intimité d’un personnage. Mais parce que le désir de réel qu’il charrie ne se ronge pas l’os, le film ne quitte pas les coordonnées du problème de départ. La confiance, l’assurance est bien la qualité de ce bel exercice documentaire : sa modestie face à la solitude du troisième âge permet de mieux en accueillir la fragilité.