« Une dakhla qui dure 10, 15 minutes, c’est des infographistes, des dessinateurs, des nuits blanches et beaucoup d’argent et de temps. Les jours de grands matchs, on y va dès 6 heures du matin pour mettre des cordes, accrocher les banderoles », renchérit notre interlocuteur. Tous les supporters que nous avons rencontrés s’accordent sur une chose : le mouvement ultra est un mouvement qui brasse dans toutes les strates de la société, dans les limites de la non-mixité masculine. Comme nous l’explique Jamel: « Chez nous, on trouve l’architecte, l’ingénieur, qui travaille main dans la main avec le fils des quartiers populaires qui braque pour se nourrir lui et sa famille. Le fils d’un juge se retrouve avec le fils d’une femme de ménage à allumer une flamme, ça c’est un truc que les policiers ont du mal à comprendre ». L’univers ultra est même devenu une source d’inspiration artistique. « Quand on y pense, où en Tunisie trouve-t-on une si grande énergie collective, une telle mixité sociale ? », nous confie le rappeur Vipa, un habitué du virage nord tunisois.
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Le groupe peut jouer parfois un rôle social très éloigné des terrains de football. « Quand on voit qu’un de nos frères n’a pas les moyens de se marier, on se cotise pour l’aider. Une fois l’un de nous avait des difficultés à loger sa famille, on lui a amené le matériel et on s’est relayés pour construire la maison », nous explique le leader d’un groupe ultra de l’EST. « C’est une vraie famille, les membres les plus âgés essayent d’exercer une bonne influence sur les jeunes qui font des grosses bêtises », ajoute-t-il.
Le « droit au défoulement » bafoué par la police
Que ce soit sous la dictature ou après la révolution, les affrontements avec la police sont récurrents. Connus pour les tags « ACAB » (All Cops Are Bastards, expression venue tout droit des stades britanniques), les groupes ultras ont développé très tôt des relations conflictuelles avec les forces de l’ordre, notamment à cause des multiples interdictions que la police décrète dans les stades. Parmi les raisons de ces tensions, il y a ce qu’un des plus anciens militants ultra du Club Africain a appelé « la migration forcée », soit le déplacement de tous les matchs de la capitale vers le stade de Radès. Toutefois, les supporters et les ultras que nous avons rencontrés affirment que leurs relations avec les policiers ne sont pas totalement manichéennes : « Il y a de bons policiers qui supportent le club et laissent entrer les fumigènes, voire parfois les font rentrer eux-mêmes », affirme un autre fidèle du virage du club de Bab Jdid . Chez les espérantistes, on se montre compréhensifs. « Quand on va au stade à 6 heures pour préparer l’accrochage des tifos, on les voit. Leurs supérieurs les laissent des heures dans la chaleur en attendant le match, parfois sans eau ou nourriture, ce n’est pas étonnant qu’ils deviennent violents après ». Les supporters affirment que les violences de la police sont volontaires et recherchées. Les stratégies des policiers sont bien connues des supporters. « Ils gazent et ils envoient les chiens dans le stade, pour nous faire sortir, en ne laissant qu’une seule porte ouverte, et à la sortie, ils nous ramassent dans un fourgon de police », décrit un ultra espérantiste. Si bien que le virage sud, celui de l’Espérance a boycotté le stade le 15 février dernier, lors d’un match EST-ESS face à l’exacerbation de la violence policière.