Le retard pris sur le vote du Code des Collectivités Locales (CCL) entame sérieusement la crédibilité des élections municipales, qui devraient avoir lieu dimanche 6 mai 2018. Au rythme où s’acheminent les votes, il est fort probable que le CLL ne soit pas adopté avant les élections. Ce retard pose problème à double-titre. D’un côté, l’absence de cadre légal finalisé pour les collectivités locales rend impossible l’évaluation de la crédibilité des programmes fournis par les listes candidates aux élections municipales. Si le code électoral prévoit qu’en cas de retard sur la loi nouvelle le texte de 1975 prévaut, il n’en reste pas moins que les candidats et les électeurs sont exposés à un flou. De l’autre côté, la possibilité que le vote soit finalisé après les élections, voire, après la proclamation des résultats, ouvre la voie des dépassements. Des élus eux-mêmes soupçonnant certains partis de retarder le vote de façon préméditée, dans le but d’amender le texte en fonction des nouveaux équilibres politiques qu’il dégagera.

La commission des consensus au cœur des discordes

La loi organique sur les collectivités locales ou le CLL, censée donner forme à l’engagement de décentralisation qu’a pris l’Etat tunisien dans la constitution de 2014, se compose de 363 articles. Elle organise, entre autres, le travail des 350 municipalités qui composent le territoire tunisien. Cette loi, élaborée par le ministère des Affaires locales et de l’Environnement a été déposée à l’ARP le 5 mai 2017. Elle a été discutée six mois durant au sein de la commission de l’organisation de l’administration et des affaires des forces armées. Toutefois, bon gré mal gré, le travail en commission a été achevé et le projet de loi a été présenté en plénière le 22 mars dernier.

C’était sans compter la commission des consensus, qui s’est saisie du texte dans sa totalité pour le rediscuter. Pour Lamine Ben Ghazi, chef de projet Marsad Majles d’Al-Bawsala, « la commission des consensus est en train de reproduire les débats de la première commission. Elle discute les articles, les amendements parlementaires et les amendements gouvernementaux. Il leur arrive de tourner en rond sur des articles techniques, qui n’ont rien de particulièrement de litigieux ». Répondant aux questions de Nawaat, Sofiène Toubel, chef de file de Nida Tounes à l’ARP, clame qu’au contraire : « Le vote de la loi n’est pas en retard. Au contraire, le travail fourni par la commission des consensus est en train d’accélérer les travaux de la plénière ».

S’il est vrai que les articles discutés et agréés par la commission des consensus sont votés sans débats au sein de la plénière, Ben Ghazi fait remarquer toutefois « que les séances en plénière sont levées aussitôt les articles discutés en commission des consensus épuisés ». C’est donc la commission des consensus, imposée par la majorité parlementaire sans avoir quelconque existence légale, dicte le rythme des votes en plénière. Kalthoum Badreddine, députée Ennahdha membre de la commission des consensus, juge que « le travail de la commission est surtout lié aux quelques 600 amendements qui ont été présentés pour cette loi ». Elle se dit confiante par rapport au rythme qui est adopté. « Pour l’instant, la commission de consensus a pu discuter quelques 224 articles, il ne reste qu’un tiers de la loi à discuter, je pense que c’est possible », déclare-t-elle à Nawaat, précisant que la commission siégeait jusqu’à 22h pour accélérer le travail.

L’absentéisme des députés, un autre outil de blocage

Un autre frein à l’adoption de la loi dans les délais est l’assiduité des élus. D’année en année, les absences s’amplifient à l’ARP comme le montrent les infographies d’Al Bawsala (à voir ci-dessous).  La première commission qui a eu à discuter du projet de CCL illustre parfaitement ce constat puisqu’elle a accumulé 79h de retards avec un taux de présence des députés aux réunions qui ne dépasse pas 43%, d’après les données de Marsad Majles. L’absentéisme pèse de façon négative sur l’avancement du vote en plénière, puisque, jusqu’à présent, quelques 17 articles ont été rejetés pour la simple raison qu’ils n’ont pas pu réunir les 109 voix requises à leur adoption, du fait de l’absence des élus en plénière. « Pour le vote de cette loi, la moyenne des présents tourne autour de 115 élus, ce qui constitue une prise de risque inutile compte tenu de l’écart de ce nombre avec le minimum de voix requises pour faire passer un article », observe Lamine Ben Ghazi. Ces 17 articles refusés devront être rediscutés à la commission des consensus et seront à nouveau proposés en vote en plénière. Une autre perte de temps qui aurait pu être évitée aisément.

Deux chefs de groupes parlementaires, Noureddine Bhiri d’Ennahdha et Ahmed Seddik du Front Populaire ont quant à eux exprimé des soupçons quant aux intentions équivoques des élus absents ou en retard. C’est ainsi que Seddik a déclaré en plénière : « Je crains qu’il y ait une volonté politique délibérée de ne pas adopter le CCL en attendant de voir les résultats des élections. Je dis tout haut ce que tout le monde pense tout bas ». Et en effet, les soupçons commencent à peser lourd sur Nida Tounes, qui, face à l’issue incertaine des élections, pourrait être en train de retarder le vote du CCL afin d’en modifier le texte une fois les résultats des élections connus, par le biais d’amendements gouvernementaux. C’est peut-être à une étrange forme de prise en otage que nous assistons aujourd’hui à l’ARP, celle d’une loi par un pouvoir qui joue du temps pour ses petits intérêts partisans.