Au cours des sept dernières années, d’anciens employés d’importantes institutions internationales, à l’instar de la Citibank américaine, de la Banque africaine de développement (BAD) ou de la Banque mondiale (BM) ont été placés à la tête des centres de décision économique de l’Etat tunisien. Ces personnalités ont ainsi été appelées à prendre les rênes  du ministère des Finances, du ministère de l’Énergie et des Mines, comme de la Banque Centrale de Tunisie (BCT).

Marouane Abbassi, de la BM à la BCT

Ainsi, la nomination de Marouane Abbassi à la tête de la BCT a-t-elle été approuvée le 15 février, après une semaine mouvementée, dans un contexte marqué par la polémique provoquée par le limogeage de l’ancien gouverneur, Chedly Ayari. La mesure a suscité les critiques de plusieurs députés de l’opposition à l’égard du parcours d’Abbassi, qui est passé du poste de représentant de la Banque Mondiale en Libye, au fauteuil du gouverneur de la BCT. L’initiative intervient au terme de changements majeurs qui se sont poursuivis les cinq dernières années au sein de la BCT. Ces mesures ont principalement permis de neutraliser le rôle du l’institution dans la politique fiscale ou l’investissement public, mais aussi à restreindre les possibilités  d’autofinancement.

A cet égard, le nouveau gouverneur de la BCT ne fait pas figure d’exception dans la série de recrutements opérés dans les rangs des employés des institutions financières internationales. Dès 1997, Marouane Abbassi  a en effet occupé, auprès du ministère du Commerce et du Tourisme, le poste de conseiller chargé de la coordination avec la Banque mondiale pour le financement de projets visant à stimuler les exportations. En 2008, il a été nommé économiste principal à la Banque mondiale et coordonnateur régional de ses programmes en Libye. En novembre 2010, il a été désigné représentant de la Banque mondiale à Tripoli, avant d’être propulsé au poste de Gouverneur de la BCT.

Transfuges des institutions internationales au ministère des Finances

Après le 14 janvier 2011, le ministère des Finances a constitué un département vital en raison de son rôle crucial dans le développement de la politique fiscale et économique du pays. Une position qui l’a placé en première ligne face aux protestations sociales, coïncidant avec l’aggravation de la crise économique. Les centres de décisions financières et économiques de l’État ont été particulièrement attractifs pour les anciens employés des institutions financières internationales, les plus concernées par la mise en œuvre de programmes de réformes structurelles. Trois ministres se sont succédé au cours des dernières années, à la tête du département des Finances. Les conditions de leur nomination ont pu différer, tout comme les postes qu’ils ont précédemment occupés. Cependant, ils ne dévieront pas de la politique économique et fiscale, dont les traits ont été esquissés en 2011.

Après la fuite de Ben Ali, et l’éviction du gouvernement de Mohamed Ghannouchi, c’est à Jalloul Ayed qu’a été attribué le portefeuille du ministère des Finances. Il assumera en effet ces fonctions ministérielles du 27 janvier au 24 décembre 2011. Au cours de sa carrière, Ayed a gravi les échelons au sein de la Citibank américaine, passant du poste de directeur général de la filiale en Tunisie en 1980, avant d’accéder sept ans plus tard au poste de vice-président de Citicorp, la maison mère de l’institution bancaire. L’avènement de Jalloul Ayed, qui a quitté ses fonctions ministérielles après les élections de l’Assemblée nationale constituante, a ouvert la voie au recrutement d’anciens employés des institutions financières internationales.

Après l’éviction de la Troïka, et dans le sillage de l’assassinat du martyr Mohamed Brahmi, c’est le conseiller spécial auprès du Président de la Banque Africaine de Développement (BAD) en Tunisie, Hakim Ben Hammouda, qui a été appelé à occuper le fauteuil de ministre des Finances du 29 janvier 2014 au 06 février 2015. Avant sa prise de fonction sous le gouvernement de Mehdi Jomâa, il avait occupé le poste de directeur de l’Institut de formation et de coopération technique de l’Organisation Internationale du Commerce entre 2008 et 2011.

A son tour, la Banque mondiale, apportera également sa contribution : l’un de ses anciens employés, le défunt Slim Chaker, dirigera le ministère des Finances au sein du gouvernement d’Habib Essid de février 2015 à août 2016. Chaker a travaillé auprès de la Banque mondiale en tant que consultant international spécialisé dans les stratégies de développement et de contrôle des exportations. En outre, il a assumé les fonctions de consultant international auprès du Programme de la Commission européenne pour la promotion des exportations en Jordanie. Il a à cet égard été chargé de la mise à niveau du secteur des services et du tourisme, jusqu’à la date de sa prise de fonction au ministère tunisien des Finances.

De la BAD au ministère de l’Energie

Le ministère de l’Énergie et des Mines est l’un des départements les plus importants et les plus controversés en raison du chevauchement des intérêts de multiples parties étrangères et locales. Ce ministère est très concerné par les dossiers brûlants de la transparence, des contrats d’exploitation ou d’exploration, outre les questions sensibles de l’environnement et de l’emploi. Le département a été notamment secoué par la controverse suscitée par les projets d’exploitation du gaz de schiste. On aura également noté les tiraillements provoqués par les dossiers Petrofac et Cotusal.

Autant de questions épineuses qui n’ont pourtant pas dissuadé le chef du gouvernement Youssef Chahed, de nommer un autre haut fonctionnaire international à la tête de départements sensibles de l’Etat tunisien. Ainsi, Hela Cheikhrouhou sera-t-elle nommée en 2016 à la tête du ministère de l’Energie et des Mines. Elle a été précédemment  directrice du département climat de la BAD puis directrice exécutive du Fonds vert pour le climat (relevant de l’ONU), en passant également par la Citibank.

Accélération du processus après 2011

Après le renversement du régime de Ben Ali le 14 janvier 2011, le dossier de l’économie a été l’une des principales priorités des gouvernements qui se sont succédé au cours des sept années écoulées. Certes, la dimension du changement politique a rendu inéluctable l’apaisement des tensions sociales dans l’optique d’assurer la stabilité politique. Cependant, l’étendue des enjeux internationaux de l’expérience tunisienne et le besoin urgent d’alléger la crise économique ont joué un rôle crucial dans l’adoption totale et  inconditionnelle des programmes préconisés par les organismes monétaires internationaux. Les recommandations, les programmes et les discussions à huis clos ne suffisent plus à assurer l’application littérale des diktats de ces organismes. Voici que d’anciens employés de ces mêmes institutions internationales sont chargés de garantir le bon déroulement des plans programmés. A noter que le changement radical de la politique des nominations à la tête des institutions financières et économiques de l’Etat coïncide avec l’avancement du programme de réformes structurelles imposées par le FMI.

Cette politique reflète en partie la nature de l’approche actuelle de la question de la souveraineté, et la décision du régime de miser sur  les prescriptions émises par les organismes financiers internationaux en vue de juguler le déclin économique. Cependant, elle ne doit pas être considérée dans le cadre d’une comparaison avec les options de l’ancien président Zine El Abidine Ben Ali, ni dans le contexte du récit de la soi-disant prospérité d’avant le 14 janvier 2011. Il s’agit simplement de la continuité  de la politique initiée depuis les années 80 du siècle dernier, et développée à l’ère de Ben Ali, avant de s’accélérer après 2011.