Mise à jour : L’Assemblée des Représentants du Peuple a ajourné, in extremis cet après-midi, l’examen du projet de loi à une date non-définie suite à une demande de retrait du projet de loi adressée par le ministère de l’Intérieur afin d’élaborer une nouvelle version.

En juillet 2016, le ministère de l’Intérieur propose le projet de loi organique n°62/2016 amendant  la loi organique n°27 du 22 mars 1993 relative à la carte d’identité nationale (CIN). Approuvée par le conseil des ministres, la loi passe à l’ARP le 5 août 2016 pour être examinée presque un an plus tard, le 7 juillet 2017, par la commission des droits, des libertés et des relations extérieures. Malgré les risques flagrants que signalent la mise à jour proposée, le débat autour du remplacement de l’actuelle CIN par une carte biométrique passe relativement inaperçu par l’opinion public. Il a fallu attendre jusqu’en novembre 2016 pour que plusieurs associations signent un communiqué à l’initiative de l’ONG Access Now pour dénoncer le projet de loi qui « porte atteinte aux droits garantis par la constitution Tunisienne et les lois nationales sur la vie privée des citoyens ». Ils y rappellent l’article 24 de la Constitution : « L’Etat protège la vie privée, l’inviolabilité du domicile et le secret des correspondances, des communications et des données personnelles ».

Pour les signataires du communiqué, c’est une mesure qui « ne fait référence à aucune procédure ou garde-fou substantiels sur le type de données qui sera collecté et son utilisation ». Ils y dénoncent également l’approche unilatérale de concevoir le projet, sans consultation avec la société civile et l’Instance nationale de la protection des données personnelles (INPDP). Dans une interview accordé à Nawaat en juin 2017, Chawki Gaddes, président de l’INPDP, a confirmé que « le ministère de l’intérieur pratique une sorte d’arrogance et de mépris pour ce que les ministères ont toujours fait en rédigeant les projets de loi: c’est à dire, de consulter les Instances constitutionnelles ou semi-constitutionnelles, la société civile et les spécialistes pour que ce projet de loi soit participatif et interactif ». En fait, depuis juillet 2017, Gaddes ne cesse de soulever les lacunes juridiques du projet de loi et de préciser que ce n’est pas le format biométrique qui pose problème mais l’absence de garanties de protection de la vie privée et des données personnelles des citoyens.

En effet, en l’absence de précisions dans la loi, plusieurs questions alimentent les craintes avant de mettre en marche une telle technologie : Quelles données seront stockées sur la carte biométrique ? Qui aura accès à son contenu ? Et à quel titre?  Quelle société sera responsable de gérer et conserver ces données? Quels mécanismes pour les sécuriser et assurer qu’elle ne tombe pas dans les mauvaises mains ? Pourtant, le projet de loi est aujourd’hui à l’ordre du jour de la séance plénière de l’ARP. Et ce, malgré les auditions tenues en commission depuis le début du mois. Jeudi 4 janvier, Gaddes se présente devant les députés pour faire part d’un exposé sur « la CIN biométrique et les dangers sur les droits et libertés des citoyens ». Le lendemain, c’est à Lotfi Brahem, ministre de l’Intérieur, d’expliquer comment la nouvelle carte biométrique « assurera plus de sécurité par rapport à l’ancienne ». Et de préciser que « la base de données de la carte d’identité biométrique va être gérée par le ministère de l’Intérieur, précisément l’organe de police technique ». L’actualité internationale vient d’ailleurs décrédibiliser Brahem. Tout récemment, l’Inde a connu un fiasco : Aadhaar, le plus grand système biométrique d’identité dans le monde, a connu des fuites massives de données personnelles, à travers des sites gouvernementaux. Plus de 130 millions de citoyens indiens sont concernés selon des articles de la presse indienne rapportés par The Guardian. Depuis le début du mois, des hackers auraient lancé une opération pour vendre les données personnelles stockées sur Aadhaar et de les utiliser pour générer de fausses cartes d’identité.

A part l’opacité et les risques, un autre aspect demeure défavorable au projet de carte d’identité biométrique : son prix. Au moment où les mesures d’austérité prévues par la loi de finances de 2018 suscite une vague de contestation, les quelques 30 millions de dinars consacrés à la mise à jour de la CIN questionnent le sens des priorités du gouvernement de Youssef Chahed.