Un juge israélien demande à la jeune Ahed Tamimi, arrêtée dans la nuit du 18 au 19 décembre dernier, comment elle a giflé un soldat israélien. Elle, de répondre : « Enlevez-moi les menottes, je vais vous montrer ! ». Cette scène n’a jamais eu lieu et, sans doute, n’aurait-elle pas pu avoir lieu. Mais celui qui l’a imaginée et propagée sur les réseaux sociaux a exprimé en quelques mots l’attitude et l’état d’esprit naturel d’un Palestinien face à un représentant quelconque de l’autorité coloniale. A la suite des propagandistes sionistes, de nombreux médias occidentaux, dont France 2, appellent cela de la « provocation ». Ahed Tamimi serait une provocatrice. On peut lire ainsi, dans le quotidien français Le Monde, ce commentaire d’autant plus odieux que chaque mot est judicieusement choisi pour convaincre sans en avoir l’air : « Ses faits d’armes relèvent surtout de provocations face à des soldats israéliens qui demeurent parfois impassibles. Sa jeunesse, sa liberté et sa fierté interpellent ; les médias israéliens dénoncent d’ailleurs une manipulation de la jeune fille par ses proches, ainsi que son jeu forcé, face aux caméras, pour pousser les soldats à bout ».

Le terme « provocation » est employé pour suggérer plusieurs choses. Le « provocateur » est dans son tort ; il est coupable. Son action est artificielle, elle ne saurait être légitime. Le contexte dans lequel elle intervient devient secondaire. Un Palestinien qui « provoque » ne se défend pas, il envenime la situation. Il l’exploite pour attirer l’attention des médias, pour se poser en victime, pour leurrer en d’autres mots l’opinion publique. Quand c’est une jeune personne ou un enfant qui est le « provocateur », il n’agirait pas en toute autonomie ; il serait manipulé par des parents indignes pour en faire un instrument de propagande au service d’une cause qui ne concernerait pas l’enfant en tant qu’enfant. Un enfant, nous dit-on en substance, devrait être tenu en dehors des conflits. Il faut préserver « l’innocence de l’enfance ». Les Palestiniens ont-ils besoin de manipuler leurs enfants pour les faire participer à des mises en scène supposées ? Assurément pas. La violence coloniale se charge elle-même de leur inculquer la volonté et le courage de résister que le lexique sioniste, souvent repris par les « pacifistes », nomme la « haine ».

Comment les enfants palestiniens pourraient-ils être préservés du conflit alors qu’ils sont eux-mêmes victimes de l’occupation, qu’ils la subissent tous les jours, dans leurs vies quotidiennes, directement et à travers leurs parents, leurs familles, leurs voisins ? Comment reprocher aux Palestiniens de chercher à avoir accès à la presse internationale ? Comment, sinon pour mettre en doute leur parole, soupçonner les Palestiniens d’en « rajouter », de jouer de la « provocation » ou carrément de scénariser leur action, quand on sait – et seuls ceux qui refusent de savoir ne le savent pas – l’ampleur des exactions qui sont leur lot quotidien au-delà du fait colonial en tant que tel ? Certes, certains médias occidentaux dont Le Monde, ne manqueront pas de regretter parfois la violence jugée excessive des militaires israéliens. Au prétexte de paraître « équilibrés », « objectifs », dépourvus de parti-pris sinon le parti-pris de la « paix », ils usent en vérité d’une gymnastique rhétorique parfaitement perverse qui consiste, en rejetant dos-à-dos Palestiniens « provocateurs » et Israéliens « excessifs », à délégitimer la résistance.

Mais l’accusation de « provocation » exprime aussi autre chose ; en l’occurrence l’incapacité à comprendre que l’attitude qualifiée de provocatrice n’est justement pas une provocation. Elle est un langage. Un langage qui leur échappe. Ahed Tamimi parle cette langue et c’est pourquoi, nous, nous la comprenons. Elle dit la dignité dans la langue de l’opprimé. Elle dit la résistance face à la puissance arrogante et à la violence de l’occupation coloniale.