Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

Ces paroles ne représentent peut-être rien pour nombreux qui se voient à l’abri des aléas de la vie. Ceux dont la vie toute tracée et se croyant au-dessus de toutes les mêlées qui nous secouent au quotidien et continueront à nous agiter davantage ou plus dans les années à venir. L’école publique demeure malgré tout l’espoir de tous ceux qui ne disposent d’aucun moyen pour accéder à un savoir ou savoir-faire pour aller de l’avant dans la vie et espérer vivre des journées meilleures, ce qui est plein dans leurs droits de citoyens. Malgré l’image véhiculée par tout type de média que l’école est le lieu où les chances sont les moins inégales, cette vision écornée de la réalité cache des disparités que peu de gens évoquent. Une des questions qui fâchent est la suivante : les écoliers tunisiens ont-ils les mêmes chances d’accès au savoir et de réussite s’ils fréquentent des écoles publiques différentes ?

Indépendamment du fait qu’un élève scolarisé en milieu urbain a plus de facilité d’accès à l’école que son collègue en milieu rural, il est bien plus rare au premier de se voir privé d’enseignant que le dernier, comme c’est le cas lors de cette rentrée. Cette situation n’est malheureusement pas nouvelle, et nombre d’écoliers restent pour plus d’un mois (pour ne pas dire plus) sans instituteur, simplement parce que l’administration n’a pas prévu le recrutement d’enseignants suffisants avant la rentrée scolaire. Ce genre de situation n’est que rarement connu en milieu urbain, sinon absent, pour une raison évidente, c’est que la position de l’école est attractive pour les enseignants. En conséquent, un déséquilibre dans l’affectation des enseignants est vécu toutes les années où des mutations ont lieu.

Le phénomène des instituteurs remplaçants n’a jamais pris l’ampleur vécue cette année. On ne comprend d’ailleurs pas pourquoi le ministère de l’Education n’a pas prévu le recrutement d’enseignants suffisants pour remplacer les départs à la retraite. Tout cela est prévisible d’avance, et il est clair que les autorités qui veillent sur ce secteur ne cherchent pas à stabiliser les remplaçants engagés depuis des années déjà dans l’enseignement. On ne comprend pas non plus pourquoi le statut de remplaçant est devenu un statut permanent dans un secteur qui ne peut pas supporter une instabilité des exerçants.

Il semble que les syndicats sont conscients de la situation, mais leurs tentatives pour remédier à cette situation sont restées vaines. On peut comprendre qu’un enseignant remplace un autre en cas d’absence prolongée (maladie, accouchement…), mais on ne peut pas le saisir lorsqu’il s’agit d’un statut inédit dans la fonction publique, car ces remplaçants sont recrutés à plein temps et durant toute l’année scolaire, pour plusieurs années déjà !

Les victimes de cette situation sont essentiellement les écoliers étudiant en milieu rural. En effet, les enseignants exerçant dans les écoles rurales sont soit originaires des localités où sont situées ces écoles, soit recrutés et donc quittent ces régions aussitôt que la possibilité leur est offerte. En conséquence, ces écoles souffrent d’un manque de qualification des enseignants qui ne disposent pas de suffisamment d’ancienneté pour assurer une formation de qualité. Des propositions ont été faites dans le sens du maintien des enseignants recrutés pour un minimum d’années d’exercice, mais se heurtent au droit de muter et à l’absence de volonté de trouver une solution à ce problème récurrent. Pour appuyer ce qui vient d’être évoqué, nombreux témoignages de responsables locaux confirment le fait que dans plusieurs écoles, le personnel permanent est parfois réduit au directeur uniquement !

Au-delà du problème des enseignants déjà évoqué, dans les zones rurales, l’école constitue le seul espace où une activité est réservée aux enfants, du moins ceux en âge d’être scolarisés. L’absence d’autres espaces (clubs d’enfants, bibliothèques…) fragilise encore plus ces petits, et il est juste d’équiper ces écoles -en plus des besoins pour l’enseignement- de supports de différentes natures pour motiver les petits et ouvrir leurs horizons (livres, dvds, cdroms…) et de démocratiser l’utilisation de l’informatique, car souvent les enfants ne disposent pas d’ordinateurs chez eux.

Nombreuses sont les écoles –toutes situées en dehors des zones urbaines- ne disposant pas d’eau potable, ce qui pousse les enfants à recourir à des sources d’eau non contrôlées et être par conséquent victimes de nombreuses maladies d’hygiène dont l’hépatite A en particulier. Le problème ne semble pas avoir une solution immédiate puisqu’il n’est pas du ressort du ministère de tutelle, et les écoles subissent souvent les problèmes de gestion des GDA qui les desservent en eau. La fermeture des écoles pour raisons sanitaires (dans le cas de diagnostic de maladies contagieuses) prive les écoliers concernés de nombreuses journées d’études et ne résout pas le problème. Des efforts sont donc à consentir pour que ce genre de situation ne prévale plus dans la Tunisie d’aujourd’hui.

Plusieurs images d’enfants en situation difficile s’accrochant à leurs études circulent au début de chaque année scolaire. Les efforts des associations et de certains mécènes pour leur venir en aide ne semblent pas être suffisants, et des mécanismes institutionnels sont à prévoir pour que de telles images ne soient plus d’actualité. Même si la pauvreté n’est pas uniquement rurale, les enfants en difficulté financière pour pouvoir étudier décemment se doivent d’être soutenus ou aidés. Une des pistes de solutions possibles serait le regroupement des associations s’occupant de ce genre de cas en fédération, ce qui permettrait de couvrir l’ensemble du territoire et de répondre aux besoins spécifiques de ces petits.

L’espace rural, marginalisé de par la nature de ses habitants, vivant le plus souvent de leurs activités agricoles peu génératrices de revenus et loin des bruits de la ville et ses convulsions. Il a toujours été considéré comme un espace de ponction d’impôts pendant la période beylicale et de réserve de vote pour le parti au pouvoir pendant dans la Tunisie post-indépendante. Avec le développement du réseau routier, de la sédentarisation de la population et de l’accès aux services minimaux (eau, électricité, santé, école), il a largement évolué, et le mode de vie de ses habitants est sensiblement similaire à celui des citadins. Le manque, voire l’absence d’espaces d’activités culturelles laisse ses enfants à la marge de la société malgré les efforts consentis pour leur scolarisation. Or, nous savons tous que les programmes d’enseignement sont insuffisants pour ouvrir leurs perspectives et les préparer à la complexité de la vie qui les attend. Il est alors temps que ces enfants qui constituent un autre potentiel et espoir pour le pays soient considérés dans leurs droits, tout comme leurs congénères vivant en ville. Les injustices dont ils subissent les conséquences et desquelles ils ne sont pas responsables se doivent d’être levées. Ce processus devrait être amorcé, pour ne pas amputer le pays d’une part des potentialités de ses enfants.