Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

Trois types de tortues sont connus en Tunisie :

  • Les tortues marines, représentées surtout par la Caouanne qui fréquente essentiellement les eaux du Golfe de Hammamet et de Gabès. Deux sites de nidification connus dont le principal se trouve aux îles Kuriates. Deux autres espèces de tortues marines sont également signalées en Tunisie, mais leur fréquence est de moindre importance.
  • Les tortues terrestres, avec une seule espèce : la tortue mauresque qui habite différents types d’écosystèmes : forêts, steppes, oliveraies, oasis…
  • Les tortues d’eau douce, représentées par deux espèces :
    • La cistude d’Europe, connue de quelques cours d’eau et barrages du Cap Bon et de la Kroumirie. L’espèce est peu connue en raison notamment de son caractère discret et de la faiblesse de ses effectifs. Cette espèce est considérée comme bio-indicateur de la qualité des eaux dans lesquelles elle vit et est sensible à leur altération (pollution, eutrophisation…).
    • L’émyde lépreuse, avec une très large distribution dans le pays, se rencontrant sur presque tous les plans et cours d’eau, ainsi que dans les canaux de drainage des oasis. Elle s’accommode des eaux douces et saumâtres et est peu sensible à la pollution des eaux. Elle est aussi souvent très abondante.
Emyde lépreuse

L’importance de cette espèce vient du seul fait qu’elle a une distribution mondiale restreinte : Péninsule ibérique, sud de la France et nord-ouest de l’Afrique (du Maroc à l’ouest de la Libye).

  1. Les tortues terrestres et d’eau douce

Il est notoire que les pressions qu’a subies la tortue mauresque ont pratiquement décimé nombreuses de ses populations. En effet, le caractère paisible de l’espèce la rend particulièrement attractive pour les enfants et les touristes. Cette espèce est collectée de son milieu naturel pour être « élevée » en captivité en vue « d’éliminer le mauvais œil » selon certaines croyances citadines. Il était banal que des tortues soient vendues vivantes sur certains marchés pour qu’elles soient placées dans des jardins ou parfois même des balcons d’appartements. Il est inutile de commenter la persistance de ces croyances ancestrales et de voir que le « mauvais œil » ne frappe que les Tunisiens et que leur élimination dépend de la présence d’animaux dans le foyer !

Tortue mauresque en milieu naturel

Le tourisme a été aussi une des causes de prélèvement de tortues, car ces dernières étaient vendues vivantes aux touristes, notamment ceux accompagnés par des enfants. Le devenir de ces tortues est souvent déplorable : elles sont saisies par les douanes ou meurent au premier hiver du moment où elles ne peuvent pas supporter les rigueurs du froid européen. Ces dernières années, on assiste à un nouveau phénomène, à savoir que des carapaces vernies de tortues mortes dans des conditions atroces (mises vivantes dans une eau bouillante pour n’en garder que les carapaces) sont offertes à la vente dans des magasins de souvenirs.

La résultante de ces pressions continues est que nombreuses populations ont été décimées et d’autres réduites à des effectifs qui ne leurs permettent pas de se maintenir sur le long terme. L’appauvrissement génétique des populations est aussi une des conséquences de ces prélèvements. La diversité –au moins sur le plan morphologique- des populations naturellement séparées dans l’espace est elle aussi altérée, car les tortues saisies par la douane tunisienne (ou parfois étrangères) sont parfois libérées dans des espaces protégés sans tenir compte de leur origine géographique –difficile à remonter dans ces cas-. Il en résulte une pollution génétique de nombreuses populations « conservées ». Cette tortue était très abondante, partout dans le pays, selon le témoignage de naturalistes pendant la période coloniale. Son déclin s’est donc précipité au cours des cinquante dernières années. L’évolution de la société n’a malheureusement pas endigué ces phénomènes, et il est regrettable de constater que cette espèce continue à subir des pratiques que rien ne justifie.

Pour ce qui est des tortues d’eau douce, seule la cistude d’Europe devrait susciter un intérêt pour la conservation. Cette espèce atteint en Tunisie la limite de son aire de distribution mondiale (espèce essentiellement européenne), et il est regrettable de la voir disparaître dans un avenir prévisible.

Cistude d’Europe

Même si elle n’est pas objet de collecte, cette tortue souffre de l’altération de la qualité de ses habitats, par leur destruction, la grande fréquentation du bétail, la pollution chimique ou organique…

  1. Les tortues marines

En Tunisie, ces espèces sont essentiellement représentées par la Caouanne. Cette tortue a une très large distribution mondiale. En Méditerranée, ses principaux sites de ponte sont localisés plus à l’Est de la Tunisie ; surtout en Libye, Grèce et Turquie. L’espèce est connue pour hiverner en grand nombre dans le golfe de Gabès et, comme indiqué plus haut, les Kuriates représentent le plus important site de nidification dans le pays.

Caouanne pondant aux-îles Kuriates. Photo Imed Jribi

Cette espèce est protégée par de nombreuses Conventions internationales (celles de Barcelone, de Berne, de Bonn, de Washington…) et nombreux plans d’actions internationaux lui ont été dédiés au cours des dernières décennies. Ses sites de ponte sont protégés pratiquement partout dans le monde et constituent une attraction touristique pour les pays qui les hébergent. La caouanne est actuellement considérée comme une espèce vulnérable à l’échelle mondiale. Les causes naturelles de la raréfaction de l’espèce comprennent la prédation des œufs au nid, surtout par les renards, le chacal et les chiens errants. La prédation des nouveau-nés par les oiseaux est faible en Méditerranée, et celle des femelles sur les plages est uniquement imputée au chacal. Les activités humaines étant de loin la cause principale de la raréfaction de l’espèce.

Au niveau mondial, les menaces qui pèsent sur cette espèce sont liées à la pollution marine (physique ou chimique) et à l’interaction avec les engins de pêche. En effet, les rejets de sachets plastiques en mer menace directement cette tortue qui les ingère (les confond avec les méduses) et est intoxiquée en conséquence. Le ramassage des œufs des sites de ponte et la sur-fréquentation des plages sont autant d’autres menaces sur l’espèce. Les causes connues de mortalité des tortues sont surtout liées à des noyades dans les engins de pêche, notamment les chaluts de fond et les palangres.

En Tunisie, cette tortue est protégée par la Code forestier et est notoirement connue par les pêcheurs comme espèce interdite à la pêche. Cependant, des estimations avancent que près de 5500 individus sont annuellement capturés accidentellement par les chaluts benthiques dans le golfe de Gabès. Les tortues piégées dans des nasses sont parfois libérées et rendues à la mer sans se voir capturer par les pêcheurs (région de la Chebba).

Des menaces indirectes pèsent sur la caouanne, notamment la pollution marine, surtout au golfe de Gabès. En effet, les rejets en mer de phosphogypse en particulier par les industries chimiques. Il est facile de constater le nombre de tortues échouées mortes sur les plages de la région de Gabès, même si les rapports de cause à effet ne sont pas clairement définis dans ce cas (les tortues pouvant mourir d’autres causes que la pollution, ou qu’elles seraient mortes loin de leur lieu d’échouage).

Les échouages des tortues sont connus sur d’autres plages du centre et sud de la Tunisie. Dernièrement, des explorations de terrain ont permis de recenser une trentaine d’individus échoués sur quelques kilomètres. Les alertes récentes concernant la présence de tortues mortes sur une plage à Djerba ne semble pas sortir de l’ordinaire, selon certains spécialistes de l’espèce.

Caouanne échouée sur une plage à Djerba. Photo Imed Jribi

Toutefois, les principales menaces qui pèsent sur les tortues marines en Tunisie actuellement sont la pêche active dont elles sont victimes. En effet, la caouanne est pêchée pour être vendue dans certains marchés de poissons, notamment à Moknine et Sfax. Le phénomène est bien plus inquiétant à Kerkennah où des carcasses de tortues jonchent certains sites et animent de temps à autre les médias sociaux.

Il est étonnant de noter que nombreux de nos concitoyens défendent la consommation de viande de tortues lui attribuant des vertus desquelles elles sont dénuées (aphrodisiaque, traitement de certaines maladies…) sans se soucier nullement des menaces qui pèsent sur l’espèce ! Ces prétendues qualités de la viande de tortues sont apparues dès que l’interdiction de sa pêche a été mise en application il y a de cela quelques années.

Malgré les mouvements citoyens, notamment en 2012 et les pétitions lancées sur la toile, les menaces directes sur les tortues marines continuent à sévir, même si certaines actions louables sont à soutenir (achat et libération des tortues vivantes de chez les pêcheurs). En effet, suite à la diffusion dans les médias de l’image d’une tortue égorgée dans un marché à Moknine, la vente de la viande de tortue semble s’être arrêtée depuis.

Les deux seuls points où la pêche intentionnée des tortues et la vente de leur viande continuent à sévir se situent à Sidi Mansour (Sfax) et Kerkennah. L’action des autorités semble timide ou inexistante pour voir continuer le massacre –au sens propre- de ces créatures paisibles. Les services chargés de la protection de cette espèce n’ont aucune excuse pour ne pas appliquer la loi en vigueur et arrêter définitivement cette pêche !

Ces actions sont en train de réduire à néant des efforts consentis depuis plusieurs décennies autour de la Méditerranée (à supposer que les tortues qui fréquentent les zones de pêche sont d’origine méditerranéenne). Il est tout simplement honteux de voir perdurer des pratiques d’un autre temps que l’on a cru dépassées depuis longtemps. A remarquer que la protection de l’espèce à ses différents stades de développement (œufs, nouveau-nés, immatures et adultes) concerne pratiquement l’ensemble des pays méditerranéens et n’est pas limitée à un seul pays ou une zone géographique précise. A préciser qu’en Méditerranée, on trouve aussi des tortues d’origine atlantique.

Caouanne approchant son site de ponte. Photo Imed Jribi

Ceci prouve tout simplement la défaillance des actions dites de sensibilisation, menées aussi bien par les médias que dans les écoles. Les associations de protection de l’environnement ne sont malheureusement pas encore capables d’agir pour empêcher les tueries que subissent les tortues marines. On touche aussi les limites des services chargés de la protection de cette espèce. L’on se demande des fois –et pas uniquement dans ce cas précis- à quoi sert de signer des Conventions ou de promulguer des lois si l’on n’est pas capable de les faire respecter sur le terrain ?

Par l’occasion, l’expérience a démontré que la Tunisie a failli dans le développement des métiers de l’environnement qui, pourtant, assurent la subsistance de millions de personnes autour de la planète. Pourquoi n’a-t-on pas réussi à développer des métiers en dehors de ceux de l’administration et de quelques privés (secteur du recyclage) ? La question est très légitime et démontre une réelle volonté de ne pas aller dans ce sens. Pourtant, les idées et modèles autour de nous ne manquent pas !

Pour mettre un terme aux pressions directes sur les tortues marines, une application de la législation en vigueur est une des mesures urgentes à prendre, en y mettant la volonté et les moyens nécessaires. D’autres actions sont à entreprendre, notamment la sensibilisation des différents acteurs pouvant avoir des interactions avec ces espèces, notamment les pêcheurs, plaisanciers, touristes et nos concitoyens pour démystifier les croyances liées à la consommation de la viande de tortue et les impliquer davantage dans les efforts à entreprendre pour la conservation des différentes espèces. Un plan d’action spécifique pour la conservation des tortues marines est à mettre au point, en concertation avec les différents acteurs, particulièrement les scientifiques et la société civile engagée dans la défense de ces espèces, à condition d’y prévoir les moyens nécessaires pour le mettre en œuvre.