Au moment où le chef du gouvernement tunisien manœuvre pour rehausser l’aide américaine à la Tunisie, réduite de 67% dans les prévisions du département d’Etat, les sénateurs ont choisi une carte improbable : « l’exhortation » de la Tunisie à être plus docile à l’égard d’Israël dans les agences de l’ONU. Autrement dit, ce groupe de sénateurs américains, dont Marco Rubio candidat aux primaires républicaines lors des dernières présidentielles, veulent que la Tunisie révise son soutien aux territoires occupés palestiniens, principalement au déracinement culturel de leur population. Une carte abattue alors que l’attention des observateurs est rivée sur le sort du budget d’aide à la Tunisie qui risque fort de chuter de 141 millions de dollars en 2016 à 54,6 millions en 2018.

Antiterrorisme, démocratie et Israël comme priorités

Pour sa part, le chef du gouvernement, a nié, dans une déclaration aux envoyés spéciaux de la presse tunisienne, avoir évoqué Israël lors de ses échanges avec les membres de la Commission des affaires étrangères du Sénat américain, tout en rappelant les sujets abordés dans les 10 autres points. Ils concernent principalement le soutien des Etats-Unis à la transition démocratique et la lutte contre le terrorisme. Les sénateurs américains y consacrent un intérêt particulier pour la « prévention » des flux de djihadistes vers la Syrie et l’Iraq. Ils y « encouragent » également le gouvernement et l’assemblée à « accélérer le travail sur les réformes économiques et les mesures anti-corruption » tout en veillant à la poursuite de la mise en œuvre des dispositions de la nouvelle constitution et la protection des libertés civiles. Si le choix des termes est conciliant dans la majorité des points, il prend la forme de directives dans le huitième et le dixième, relatifs aux flux des djihadistes tunisiens et aux positions tunisiennes hostiles à l’entité sioniste.

Un appel à l’alignement régional ?

Contacté par Nawaat, Rob Prince, maître de conférences à l’Ecole Josef Korbel des Etudes Internationales relevant de l’Université de Denver, situe le 10ème point de la motion du Sénat américain dans le contexte géopolitique régional. « Il y a toutes sortes de négociations en cours pour renforcer le nouveau triangle amoureux réunissant Etats-Unis, Arabie Saoudite et Israël (…) C’est dans ce contexte que Washington exerce des pressions sur la Tunisie pour qu’elle fasse partie de l’équipe (…) en échange du soutien politique et économique du gouvernement américain », explique-t-il. Et d’ajouter :

Dans la stratégie des Etats-Unis dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, la Tunisie joue un rôle modeste, mais vital -c’est ce qu’on appelle un « nénuphar »- une sorte de refuge dans un quartier par ailleurs turbulent, tout comme la Jordanie, un centre de communication et probablement un tremplin pour les opérations menées par les forces spéciales américaines en Afrique du Nord et dans le Sahara.

Pour cet universitaire américain, l’administration Trump compte sur l’alignement historique de la Tunisie. « Sur le plan diplomatique, la Tunisie a toujours suivi les projets régionaux des Etats-Unis depuis que Bourguiba s’est rendu à Washington pour rencontrer Kennedy », rappelle Rob Prince.

L’Unesco déclare Hébron « zone protégée »

La Tunisie a toujours soutenu les résolutions adoptées par l’Unesco contre l’occupation sioniste. Parmi les plus récentes, celle d’octobre 2016, quand cette organisation a dénoncé les « fouilles illégales » commises par Israël dans des sites sacrés. Il y a tout juste deux mois, en mai 2017, l’Unesco a condamné Israël pour avoir « changé le caractère et le statut » de la ville. A peine quelques jours avant la visite de Chahed, exactement le 7 juillet, le Comité du patrimoine mondial de l’Unesco a déclaré Hébron « zone protégée » suite à une demande de la Tunisie, du Koweït et du Liban, tous membres de sa 41ème session qui se tient du 2 au 12 juillet. « La décision de l’Unesco au sujet de la Tombe des Patriarches est une bavure morale. Cette impertinente organisation promeut la falsification de l’Histoire », a écrit le porte-parole du ministère des Affaires étrangères israélien, Emmanuel Nahshon, sur Twitter.

D’ailleurs, la grille historique invoquée par Rob Prince, nous impose aussi de rappeler que la libération de la Palestine est une cause adoptée par la Tunisie depuis son indépendance en 1956 dans un élan de solidarité entre mouvements indépendantistes arabes et dans une convergence des luttes anticolonialistes de par le monde.

Historique conflictuel à l’ONU

Les rapports entre la Tunisie et Israël ont atteint un point de non-retour depuis le 1er octobre 1985, date du raid aérien mené par Israël sur la ville de Hammam Chott, banlieue sud de la capitale. Une attaque ciblant l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) qui a eu pour conséquence la mort de 50 palestiniens et 18 tunisiens. A l’époque, le gouvernement américain, allié de Bourguiba, n’a pas prévenu le gouvernement tunisien de l’attaque en approche, malgré ses moyens de renseignement en Méditerranée et son statut traditionnel de protecteur de la Tunisie. Les Etats-Unis ont carrément qualifié l’acte de « légitime ». Saisi par la Tunisie appuyée par plusieurs condamnations européenne, le Conseil de sécurité de l’ONU a condamné l’attaque dans sa résolution 573, affirmant que la Tunisie avait droit aux réparations sans pour autant culpabiliser Israël ou lui faire assumer ces réparations. Sous la pression tunisienne, les Etats-Unis se sont abstenus d’opposer leur veto.

Aussi voilée soit-elle, la volonté des Etats-Unis de voir Israël, moins isolé dans la région en poussant vers la multiplication des pays arabes décomplexés vis-à-vis de la normalisation, est manifeste. Un enjeu politique où la part du culturel est prise très au sérieux par les sénateurs américains, d’où le choix d’évoquer particulièrement l’Unesco. L’aide américaine à l’unique démocratie de l’Afrique du Nord et du monde arabe se retrouverait l’otage d’un chantage. Une manœuvre qui en dit long sur la vision de l’administration Trump et ses priorités dans la région.