Avec assurance et arrogance, le gouvernement Chahed a inauguré la Conférence Internationale sur l’Investissement “Tunisia 2020”, grande braderie de projets vestiges de l’époque de Ben Ali, remis au goût du jour sans honte cinq ans après la Révolution. Les maquettes ont été dépoussiérées pour l’occasion, et l’on ressort les mêmes vieux slogans, le même mythe : l’Investissement Direct Etranger nous apporterait progrès et développement. Avons-nous encore besoin de preuves de l’inefficacité des politiques des bons élèves du FMI ? En réalité, l’Investissement Direct Etranger est une charge sur l’économie Tunisienne.
Dans un pays ravagé par le clientélisme, la corruption et les crimes économiques de tous genres, le gouvernement appelle les capitaux du monde à investir dans tous les secteurs stratégiques et sensibles : des ressources naturelles aux télécommunications en passant par l’agriculture et l’eau. Toutes les garanties sont déjà mises en place pour accueillir « les sauveurs », les Partenariats Public-Privé pour brader les services publics, un code d’investissement qui place les investisseurs étrangers au-dessus des nationaux (voire même au-dessus de l’Etat), les dispositifs d’arbitrage toujours en faveur des capitaux, un système bancaire sous perfusion, une banque centrale dépourvue de toute capacité d’action, etc.
Nous avons vu passer toutes ces lois, une par une, devant un parlement inconscient et autiste, étrange concours d’intérêts politiques et économiques, locaux et internationaux. Les votes se sont succédés pour compléter le puzzle dessiné par les institutions financières internationales et imposé à coups de prêts et de dons conditionnés. Tout est savamment orchestré par la Banque Mondiale et le FMI depuis le Partenariat de Deauville de 2011, et tous les gouvernements postrévolutionnaires n’ont fait que poursuivre les politiques de libéralisation dictées par les « Grands de ce Monde » sans jamais faire de bilan sérieux de la situation. Nous y voilà donc, un événement sous le signe de la nouvelle colonisation, dans un climat social chargé de mécontentement et désillusion. Le tapis rouge est déroulé pour les lobbies internationaux et les multinationales et les paravents sont placés sur leurs chemins pour cacher la misère et la saleté. Les radios et les télés décrivent la Tunisie utopique, pays du bonheur et de la sécurité. Derrière ces paravents, l’appareil policier fera régner le calme et le silence… comme au bon vieux temps.
A-t-on objectivement le moindre intérêt à nous plonger la tête première dans ce gouffre ? Nos gouvernants ne font que poursuivre des politiques ayant conduit à l’injustice sociale, aux disparités régionales, à la détérioration des services publics et à la perte de notre Souveraineté. Ces mêmes politiques qui ont donné le Pouvoir aux corrompus et ont fait de la Tunisie le paradis des fraudeurs et le pays de l’impunité. Les bilans parlent d’eux-mêmes : un taux de chômage affolant, une balance de paiement saignée par les sorties de dividendes, des secteurs économiques entiers à l’agonie et, bien sûr, un dinar en chute libre, pour mieux nous lester. En quoi consistent ces politiques ? Elles sont en réalité très simples : libérer les marchés, réduire les risques pour les investisseurs, empêcher l’Etat de réguler ou d’agir, le priver de ses revenus et faire en sorte qu’il s’endette, encore et encore.
Les projets du 2020 ne présentent que très peu de valeur ajoutée, leurs montages financiers en gonflent les coûts, ils n’apportent pas de solutions pérennes au chômage et ne répondent à aucun modèle ou stratégie de développement réels. Ils sont que des opportunités destinées à des firmes étrangères qui jetteront au passage quelques miettes aux Tunisiens. En réalité, rien n’attire plus les investisseurs en Tunisie depuis que l’instabilité politique y règne, ni les incitations, ni les avantages ni même les bas salaires car nous avons perdu cet « avantage comparatif » depuis longtemps déjà, enfin, presque rien ne les attire…La Tunisie est en phase de devenir un paradis fiscal où règne l’impunité pour les hommes d’affaires mais continue à être un enfer pour son propre Peuple.
Si le dernier congrès de l’Investissement avait pour slogan « Investissez en la démocratie », pour celui-ci « Investissez en la corruption » irait à merveille. Mais ce serait sans compter avec le désir de changement radical et général que nourrit la jeunesse de cette Nation. Si les investisseurs seront protégés de l’insoutenable image d’un Peuple en lutte les 29 et 30 novembre 2016, ils verront très vite là où ils tenteront de s’installer qu’aucun nouveau colon n’aura de répit.
Quelques chiffres à retenir
Entre 2011 et 2014, 7808 millions de dinars ont été investis en Tunisie par des investisseurs étrangers, pendant la même période, les sorties de dividendes ont presque atteint un milliard de dinars.
La fuite des capitaux a représenté entre 1970 et 2010 38.9 Milliards de dinars, soit quasiment deux fois le stock de dette en 2010 (21.8 Milliards de dinars). Autrement dit, si l’Etat avait limité cette fuite, rien que de moitié, nous aurions remboursé totalement nos dettes externes mais le choix s’est porté sur la politique d’endettement et de libéralisation.
70% de l’impôt sur les entreprises collecté entre 2002 et 2011 a été dépensé en incitations fiscales sans compter les incitations financières et autres avantages.
Collectif de CitoyenNEs TunisienNEs pour la souveraineté nationale
Pertinente analyse que beaucoup accusera d’être de gauche ou d’extrême gauche. Appeler cela de la cécité politique du pouvoir en place n’expliquera rien? Or les faits sont têtus et c’est les contradictions du réel qui s’imposent. Or l’analyse idéologique des contradiction est la seule qui peut fournir l’explication la plus valable. Paradoxalement les politiciens de tout bord et surtout les intellectuels refusent de traiter les problèmes en fonction du prisme idéologique: Personne ne veut poser le problème du choix de modèle de société que nous voulons batir? Personne aussi ne veut remettre en question le modèle de développement économique que nous subissons depuis l’indépendance jusqu’a ce jour?